Chantage à la sextape ou sextorsion. De plus en plus de cas avérés aux Burkina Faso. Les victimes se comptent parmi une population aisée mais il arrive que des personnes moins nanties en soient victimes. Une centaine de cas depuis 2018, où des victimes ont été sommées de payer des sommes faramineuses, entre 2 et 90 millions pour éviter la révélation de vidéos à caractère sexuel les concernant. Bienvenue dans le monde de la sextorsion ! Et pour en parler, nous avons rencontré Younoussa Sanfo, expert en cybersécurité qui traite régulièrement de ces questions.
Lefaso.net : Le chantage par des moyens et/ou des contenus numériques prend de l’ampleur. Quelles sont les différentes formes que l’on rencontre fréquemment ?
Il existe malheureusement plusieurs types de chantage sur Internet ou à l’aide d’Internet. Mais cela finit toujours par avoir une répercussion sur la vie réelle, car le maitre-chanteur finit par contacter la victime pour proposer un « arrangement ».
La forme la plus fréquente consiste à envoyer un message alarmant à une victime en lui disant que son compte est piraté. Pour prouver cela, le malfaiteur envoie un message à la victime en lui montrant par exemple son mot de passe et parfois un contenu de sa boite email. Ensuite, il dit qu’il a des vidéos compromettantes de la victime. Ensuite, il va lui demander une sorte de rançon pour que le secret soit gardé. Là il s’agit d’un chantage appelé chantage à la sextorsion. Extorsion d’argent en prétendant obtenir des informations à caractère sexuel.
Lefaso.net : Avez-vous une idée de l’ampleur du phénomène au Burkina ?
Nous n’avons pas de statistiques exactes mais je peux vous affirmer que dans les commissariats et dans les brigades de gendarmerie, ainsi que dans les palais de justice, des plaintes sont reçues quasiment tous les jours.
J’ai fait un compte rapide des affaires que j’ai connues. En 2018 : 5 cas, en 2019 : 39 cas et au 1er semestre 2020 : 67 cas. On constate donc que cela augmente au fil des ans.
Lefaso.net : On parle parfois de photo-montages ; qu’en est-il en réalité ?
Oui, cela existe et désormais, grâce à l’intelligence artificielle, il sera de plus en plus possible de créer des images ou des vidéos réalistes mais fausses.
Mais malheureusement dans la plupart des cas avérés, ce sont de vraies images enregistrées par des malfaiteurs, surtout dans les cas de chantages à la sextape ou sextorsion.
Lefaso.net : Y a-t-il un portrait-robot de la victime parfaite ?
La victime parfaite est un homme adulte. Ayant une bonne situation ou étant riche. Les travailleurs ne sont pas épargnés même si les victimes les plus prisées sont des hommes politiques en activité, des DG de grandes entreprises ou des opérateurs économiques qui ont pignon sur rue. Dans ce type de chantage, il est rare que la victime soit une femme mais cela arrive néanmoins. Parmi la centaine de cas que j’ai cités plus haut, il y a 8 victimes féminines.
Lefaso.net : Que faut-il faire ou éviter de faire pour éviter d’être victime de tels chantages ?
Comme je le répète à chaque fois, le meilleur remède contre les soucis sur Internet, c’est le bon sens. Comment un être humain normal peut avoir 5000 « amis » sur Internet ? Nous savons tous que nos contacts sont appelés « amis » sur Internet mais dans la réalité cela ne peut être possible. Dans ce cas pourquoi partager son intimité avec de parfaits inconnus ?
N’acceptez pas les séances vidéo intimes à caractère sexuel même avec votre partenaire sexuel habituel, car le problème des transactions numériques, c’est qu’une tierce personne peut s’inviter dans une communication privée entre deux personnes. Ce n’est pas compliqué à faire, ça s’appelle du spoofing et c’est à la portée de toute personne motivée qui souhaite le faire.
Autant que possible, éviter de discuter avec des inconnus et surtout de livrer des informations intimes.
Dans la mesure du possible
• Faites régulièrement les mises à jour de sécurité de tous vos appareils.
• Utilisez un antivirus et tenez-le à jour.
• Évitez les sites dangereux tels que les sites de téléchargements ou de vidéos en ligne (généralement illégaux).
• Utilisez des mots de passe solides, différents sur tous les sites et changez-les régulièrement. La longueur minimum d’un mot de passe doit être de 12 caractère et doit mélanger majuscules, minuscules, chiffres et caractère spéciaux. @, #, $, ?, €, & sont des caractères spéciaux.
• Ne répondez pas, ne cliquez pas sur les liens, n’ouvrez pas les pièces jointes de messages d’expéditeurs inconnus ou d’expéditeurs connus mais dont la structure du message est inhabituelle ou vide.
• Masquer votre webcam quand vous ne vous en servez pas avec juste un simple morceau de ruban adhésif (scotch).
• Méfiez-vous des « amis » que vous ne rencontrez jamais dans la vraie vie. Si vous en avez malgré tout, filtrez ce que vous leur dites ou écrivez.
• Gardez à l’esprit que vos séances vidéos sont susceptibles d’être enregistrées par des inconnus. Par conséquent, renoncez à tout acte qui pourrait vous mettre dans l’embarras.
Lefaso.net : Mais quand vous êtes néanmoins l’objet de chantage, que faut-il faire ?
Règle numéro 1 : ne jamais payer de rançon au cybercriminel.
Non seulement vous nourrissez et encouragez un cybercriminel, mais soyez-en certain, le paiement n’arrêtera pas définitivement le chantage. Quelques mois après votre paiement vous serez à nouveau harcelé et pire, le cybercriminel peut revendre les informations à d’autres cybercriminels qui vous contacteront.
Il faut immédiatement contacter les services compétents tels que toute brigade de gendarmerie, tout commissariat de police ou toute personne dépositaire de l’autorité judiciaire.
Bonne nouvelle, le ministère de la sécurité a créé la Brigade de Lutte Contre la Cybercriminalité (BCLCC) ; il s’agit d’une équipe pluridisciplinaire dirigée par un Commandant en la personne du Commissaire Yoni Bantida Samir. Nous les connaissons, ils sont compétents et ils font du résultat depuis qu’ils sont installés. Ils sont habilités pour recevoir les plaintes à caractère cybercriminel au sein de la Direction Générale de la Police Nationale.
Règle numéro 2 : Déposer une plainte en bonne et due forme.
Il ne faut pas juste en parler à son cousin policier. Il faut déposer une plainte contre X pour faits de chantage.
Faites des captures d’écran et enregistrez toute preuve utile pour une enquête.
Ne répondez pas aux messages des cybercriminels !
N’essayez pas de régler vous-mêmes le problème, ça peut très mal se passer.
Changez immédiatement votre mot de passe partout où vous l’utilisez s’il a été divulgué ou au moindre doute.
Lefaso.net : Quel autre conseil avez-vous à donner à nos lecteurs ?
Depuis l’année dernière, des personnes mal intentionnées installent des caméras dans des chambres qui servent à des rencontres entre adultes. Si vous allez dans ces endroits, vous pouvez être victime de chantage plus tard car les criminels vont récupérer des vidéo de vos ébats. Ces caméras passent inaperçus car elles peuvent avoir la forme d’un objet banal. Une ampoule, une horloge, un cadre photo, ou tout autre objet utilitaire dont la présence dans une chambre ne choquerait personne !
Notre conseil : méfiez-vous des endroits sur lesquels vous n’avez aucun contrôle lorsqu’il s’agit de rencontres coquines.
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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