Dans un document intitulé « Burkina Faso : Risque d’un nouveau Rwanda ? », l’Observatoire pour la démocratie et les droits de l’homme s’inquiète des attaques et violences commises dans la période du 4 avril 2015 au 31 mai 2020. Des attaques qui font du Burkina Faso, en 2020, le pays au monde où le risque de massacres à grande échelle est le plus important, selon le Centre de recherche américain de la mémoire de la Shoah.

En proie aux attaques terroristes depuis 2014, le Burkina est sous la loupe des organisations de défense des droits humains qui s’inquiètent de plus en plus de ce qu’ils qualifient de « massacres ethniques » occasionnant des déplacements de populations. « Comment expliquer ce basculement dans la terreur en seulement cinq ans ? », s’interroge les ONG dont l’Observatoire pour la démocratie et les droits de l’homme (ODDH), qui a produit un document intitulé « Burkina Faso : Risque d’un nouveau Rwanda ? ».

Selon l’ODDH, ce document, qui est la synthèse d’entretiens réalisés avec des responsables politiques, communautaires, religieux, traditionnels, des acteurs de la société civile, des membres des forces de défense et de sécurité et des experts, repose principalement sur des sources telles que Amnesty international, le Centre de ressources et d’information sur l’intelligence économique et stratégique (IE), le Collectif contre l’Impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), Human Rights Watch (HRW) et bien d’autres organisations de défense des droits humains.

Carte des incidents de nature terroriste de janvier à octobre 2018

Au moins 580 attaques en cinq ans

Le document révèle que dans la période allant du 4 avril 2015 au 31 mai 2020, le Burkina Faso a subi au minimum 580 attaques par des jihadistes dont la grande majorité ont eu lieu en 2019 et 2020. « 221 attaques ont été menées contre les Forces de défense et de sécurité (FDS), occasionnant la mort de 436 FDS, Koglwéogo et Volontaires pour la défense de la patrie. Quant aux attaques dirigées contre des cibles civiles, plusieurs sources dénombrent 359 attaques terroristes causant la mort de 1 219 civils », détaille l’ODDH, qui précise qu’en seulement trois mois, le Burkina a enregistré, en 2020, 467 morts dont 386 civils et 81 éléments des FDS.

Le 18 juin à Ouagadougou lors de l’accord de paix avec les groupes séparatistes

Au commencement était l’effritement de la Libye

Comment en est-on arrivé là ? Selon l’ODDH, tout est parti de la chute, en 2011, du régime libyen de Kadhafi qui a vu la prolifération d’armes et le réveil de groupes armés au Sahel. Conséquence, la rébellion touareg reprend du service avec ses appétits indépendantistes au Mali.

Pour une sortie de crise dans ce pays qui fait quatre fois et demie la superficie du Burkina, un accord de paix est signé, le 18 juin 2013 à Ouagadougou, entre le gouvernement de transition malien et les représentants des groupes armés séparatistes. Cet accord, qui a permis d’organiser l’élection présidentielle remportée en 2013 par Ibrahim Boubacar Keïta, ne valait plus un pet de lapin. Il vole en éclats après la chute en octobre 2014 du président Blaise Compaoré, médiateur de la CEDEAO.

Et ce départ aura des conséquences sur la réorganisation de l’armée, selon les entretiens réalisés. « Dès le départ de Blaise Compaoré, l’armée burkinabè et les services de renseignement furent entièrement réorganisés. Le RSP [Régiment de sécurité présidentielle], corps d’élite des forces armées, composé de 1 300 éléments – soit environ 10 % des effectifs de l’armée – est dissout le 6 octobre 2016 (…) La gendarmerie est alors renforcée au détriment de l’armée, considérée par le nouveau régime comme trop proche de Compaoré », peut-on lire dans le document.

Selon les organisations de défense des droits humains, les Koglweogo bénéficient d’une impunité de hauts responsables de l’Etat

De la naissance des Koglweogo

Le pays va connaître sa première attaque le 4 avril 2015, avec l’enlèvement d’un expatrié roumain, à Tambao, dans la province de l’Oudalan. Cette attaque revendiquée par Al-Mourabitoun fait également deux blessés dont un gendarme. Ouagadougou sera attaqué en plein cœur en mi-janvier 2016, soit deux semaines après l’investiture du président Roch Kaboré.

Alors que les attaques se perpétuent un peu partout sur le territoire avec la recrudescence du grand banditisme, les ONG relèvent le manque de moyens des forces de l’ordre et leur faible répartition géographique sur le territoire. « C’est devant ce vide sécuritaire préjudiciable à la paix sociale et à la sécurité des citoyens que naissent en 2016 les groupes d’auto-défense Koglwéogo. »

La gangrène est interne

En 2017, le jihadisme devient endogène, selon l’ODDH, qui note l’apparition de groupes qui « s’insurgent pour des raisons différentes contre les autorités, combattant surtout l’Etat burkinabè sous toutes ses formes (…) La composition de ces groupes armés, poursuit l’organisation, est hétéroclite avec des agriculteurs ou éleveurs victimes d’injustices foncières ou de rackets ; bandits, orpailleurs en quête de protection et des populations stigmatisées. » Selon les ONG, l’affaiblissement de l’armée burkinabè, la faillite de la gouvernance régalienne du monde rural et le retrait progressif de l’Etat des zones d’insécurité ont beaucoup favorisé la montée en puissance des groupes terroristes.

En 2019, le massacre de Yirgou, dans le Centre-Nord, va marquer les esprits en début d’année. Selon des ONG, 220 personnes y ont trouvé la mort alors que le gouvernement dénombre 43 victimes. Yirgou marque, selon l’Observatoire pour la démocratie et les droits de l’homme, le déclenchement d’un « nettoyage ethnique » mené par les Koglweogo, qui sont considérés par des organisations de défense des droits humains comme des « milices qui bénéficient clairement d’une impunité, favorisée par les haut-responsables de l’Etat. »

Selon les ONG, l’objectif des terroristes n’est pas de prendre le pouvoir à Ouagadougou, au regard de leur mode opératoire. « Ces combattants cherchent le changement du système et de l’ordre établis. Ils recherchent des zones où ils peuvent bénéficier d’une certaine autonomie et de la reconnaissance des populations. Les groupes terroristes ont compris qu’il fallait tout faire pour ne pas s’aliéner ces populations délaissées par l’Etat ».

Une vue de femmes déplacées internes dans la ville de Fada N’Gourma

Des recommandations

Pour éviter que le Burkina ne devienne un nouveau Rwanda, l’ODDH recommande entre autres à l’Etat d’octroyer aux FDS les moyens et les équipements nécessaires pour lutter contre les attaques terroristes, mais aussi de « leur demander des comptes et de veiller à ce qu’elles agissent dans le strict respect de la loi. » Aussi, l’ODDH suggère que l’Etat « interdise les milices civiles et les Volontaires pour la défense de la patrie ou, à défaut, de fortement renforcer leur encadrement » et que les partenaires internationaux s’abstiennent « de financer les unités de FDS burkinabè ayant commis de graves violations des droits de l’homme. » L’autre recommandation concerne les chefs coutumiers, les leaders religieux et d’opinion. L’Observatoire pour la démocratie et les droits de l’homme estime qu’ils devraient interpeller les médias et les utilisateurs des réseaux sociaux « afin qu’ils s’abstiennent de messages qui appellent à la haine et à la violence intercommunautaire. »

Rassemblés par HFB

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Source: LeFaso.net