Alpha Blondy dans sa chanson « Tampiiri », s’est trompé !!! Tampiiri ne signifie pas imbécile en mooré. Que signifie alors ce terme « tampiiri » dont les locuteurs avancés du mooré font un usage modéré ? A quoi fait-il référence dans l’imaginaire des Mossé ? Même si les mœurs ont évolué, quels enjeux contemporains peuvent-ils l’évoquer ? Qu’a Tampiiri de significatif ? Je vous invite à explorer un terme qui en dit long plus qu’il n’y parait.
La sémantique du terme « tampiiri »
Le Dictionnaire Moore (mooré, français, anglais) en ligne propose la graphie « tãmpĩiri » et « tãmpĩiban » au pluriel qu’il définit en « enfant illégitime, bâtard ». En fait, l’équivalent exact est difficile à trouver en français ; mais le terme « bâtard » s’y rapproche le mieux. Bâtard ayant le sens de « né hors mariage ». Au Mogho, le terme ne s’applique pas à tout enfant né hors mariage. Tampiiri est non seulement né hors mariage ; mais cette situation en plus, n’est pas connue ou reconnue formellement.
L’illégitimité de la naissance est cachée ou est connue par très peu de personnes ou seulement par la maman. Le côté tromperie est un facteur déterminant dans la qualification au titre de tampiiri. Un enfant né hors-mariage et reconnu par son père n’est pas un tampiiri. Il l’est si sa mère lui a attribué un père qui n’est pas réellement le sien et que celui-ci n’est pas au courant ou feint de l’ignorer. A cette illégitimité doit s’ajouter une duperie et une tromperie sur l’identité réelle du père.
Ce double facteur est essentiel dans l’assertion complète du terme. D’ailleurs, le même Dictionnaire Moore complète sa définition du terme en anglais par « child of unknown father ». Laissant planer le doute sur l’identité du père.
Ce que « tampiiri » ne signifie pas
Un imbécile est désigné par les termes « yalma », « zallé », « zolgo » ; et plus rarement par « nabré » ; et par bien d’autres expressions. Ces termes peignent des injures de faible intensité. Prenons comme illustration un célèbre conte lu par les écoliers burkinabè intitulé « Yalma Tiiga et les génies du bois sacré ». En fait, le titre aurait pu bien être aussi « Tiiga l’imbécile et les génies du bois sacré ».
Le trio musical et vocal Lallé-Noaga, Bonnéré, Patenema : relatant l’épopée de la Princesse Yennega, dit que le Roi Nedéga après avoir constaté que sa guerrière de fille avait abandonné son potager de gombos ; l’a interpellé en ces termes : « Yennega, fo yaa yalm laa ? » Es-tu bête pour laisser le jardin se gâter ? S’il y a un lieu où « tampirii » ne peut être prononcé c’est bien dans une cour royale.
Yalma est utilisé parfois comme une béquille pour sauver l’auteur d’une faute. En le qualifiant d’imbécile ; donc de yalma, on minimise sa faute et on attenue en même temps la sanction encourue. Un pacificateur manifestera sa compassion vis-à-vis d’une victime qui est capable de se faire justice, en lui disant « laisse, c’est un yalma ». L’auteur des imbécilités (« yaalm-tuuma ») préfèrera généralement une telle résolution qui limite les conséquences. Toutefois vu qu’un tampiiri commet pire que des imbécilités, il est aussi un imbécile et pire.
Tampiiri peut avoir le sens d’imbécile uniquement dans un langage enfantin.
L’enfant né d’une précédente relation conjugale de sa mère et qui est élevé par le nouveau conjoint de sa mère n’est pas un tampiiri. Les enfants d’une telle situation peuvent finir par être adoptés par le mari de leur mère si le père biologique ni son buudu (clan) n’effectue une démarche pour les récupérer.
Une jeune dame ou un jeune homme non-marié(e) peut se retrouver mère ou père d’un enfant issu d’une union non officielle. Cet enfant n’est pas un tampiiri. On dira dans la province du Passoré que c’est un « sanme-biiga » littéralement « un enfant du gâté ». En effet une fille non mariée qui tombe enceinte est dites « gâtée » (« A saanma min ») et on dira du partenaire qu’il a gâté unetelle (« A saanma a zagla »).
Un enfant né d’une liaison extraconjugale est un « yoodom biiga ». Un enfant adultérin. Il n’est pas un tampiiri aussi longtemps que l’on connaîtrait le père biologique.
Le Dictionnaire Moore déjà cité, dit que le terme a un synonyme qui est le « kõeebre » et dont le pluriel est « kõeeba ». De nos propres investigations, « kõeebre » n’est pas synonyme de « tampiiri ». Loin s’en faut ! Le « kõeebre » est davantage utilisé dans le plateau central du Mogho (royaume). Le sens qui lui ait donné par les locuteurs est plutôt proche de certaines assertions du terme français « vilain » (« Personne dont le caractère est méprisable. »). Un parent peut ainsi traiter son propre enfant de « kõeebre » sans que cela ne pose un problème. Un artiste bien connu porte le nom ou la devise de « Kisto koinbré ». La définition complète de la devise est : « Les gens aiment à détester le vilain d’autrui tout en élevant un tampiiri dans leur foyer ».
Si une maman dans un excès de colère traite son rejeton de « Tampiiri », la conséquence peut être désastreuse pour elle-même. Le mari, son frère ; sa sœur ; son père, sa mère, tout membre de la parentèle peut sommer la mère de l’enfant d’indiquer qui est le vrai père de l’enfant. Après les mille regrets exprimés et les plates excuses, c’est souvent une grave erreur qui ne se répète jamais.
Des variantes du terme
Le terme « tampiiri » peut être qualifié pour apporter des nuances à son sens général.
« Tampi-bila », « enfant de tampiiri », est une aggravation tendant à créer plutôt le doute sur l’authenticité du père de la personne cible.
« Bâ-tampiiri » : « tampiiri du père ». Est une précision qui fait une nuance avec le « Buud-tampiiri », « tampiiri du clan, de la grande famille ». Ce dernier étant de degré plus élevé dans la gravité. Le doute sur la filiation biologique peut se limiter sur l’authenticité du présumé père. Cela laisse supposer que le père biologique est peut-être membre de la grande famille. La mère a pu tromper son conjoint avec un autre membre de la famille proche (frère, cousin ou oncle). Dans certaines circonstances rares et très spécifiques, cette tromperie peut avoir été organisée par la famille en complicité bien sûr avec la mère… Ce qui laisse à l’intéressé au moins la filiation clanique. A contrario, le « Buud-tampiiri » est beaucoup plus grave car l’on suppose que le père biologique est hors du clan et cela prive au concerné tout lien clanique authentique. Dans l’usage ; ces deux expressions sont généralement utilisées sous une forme négative ou interrogative.
Le pluriel de tampiiri est « tampiiba » qui semble moins marqué et moins chargé que le singulier. Le pluriel peut même tomber dans la catégorie des jurons car il n’est pas individualisé.
Il y a une particularité régionale dans la province du Yatenga qui est beaucoup plus imagée. Au Tampiiri on préfère « Yag-lèm-tiiga » qu’illustre une illégitimité de naissance doublé d’une hybridation car le père géniteur inconnu n’est pas un humain mais plutôt un âne !
Si nous n’avons pas recensé de synonymes, il y a tout de même quelques expressions qui évoquent explicitement le terme : « Kouloum kouloum biiga » littéralement « Enfant de sinuosités » ; « Windtoog-biiga » pour « Enfant de jour »…
Cela dit, il n’existe presque pas de tampiiri « officiel ». Personne ne revendique voire n’assume un statut de tampiiri. C’est une situation redoutée. C’est un doute, un soupçon, une insulte. La gravité de l’insulte est telle que bien souvent même sous la colère, elle est lancée sous forme de question : « Es-tu un tampiiri ? » ; « Est-il un tampiiri ? ». Très souvent le poseur de question se répond lui-même par l’affirmative pour justifier en quelque sorte ce qu’il exècre chez l’autre.
L’insulte en elle-même est moins dévastatrice pour l’individu et sa famille si elle vient d’un inconnu. A contrario, si c’est un familier qui semble en savoir des choses, là, doute et soupçon s’installent. Sans le dire, la mère ainsi que le père sont attaqués. L’une pour avoir trompé et l’autre pour avoir été trompé. La honte et le déshonneur sont finalement les signes extérieurs qui rongent sans exceller en cela le besoin très humain d’appartenir à une communauté.
La pureté du lignage est une obsession dans cette nation
Ce n’est pas une histoire de caste. La société moaga n’est pas castée.
Bien entendu, les Mossé ne sont pas les seuls à avoir une hantise sur le lignage. lls lui ont consacré tout de même d’énormes efforts. La pureté de la lignée pour le buudu, est fondamentale. Le bébé n’a pas forcement une jeune âme. Il est fort probable que ce soit l’âme d’une personne ayant déjà vécue qui a choisi de revenir en passant par cette naissance. Si la conception ne s’est pas réalisée dans la légitimité, il y a une perturbation de l’âme du concerné. Ce qui pourrait l’entraîner à commettre l’inacceptable malgré des conséquences irréparables pour lui.
Chaque clan (buudu) a en principe ses pratiques et rituels pour prévenir le phénomène. Les primipares sont souvent contraintes de suivre ces rituels…
Dans les familles royales, la peur de l’accession au trône ou à une haute fonction par un tampiiri a donné lieu à un régime très corsé de la vie des épouses des familles royales. Elles devaient porter de pesants bijoux spécifiques appelés « koaba » (et koobré au singulier) pour les différencier des autres femmes. Toute suspicion vaut bien souvent culpabilité et donc exécution des concernés. Tout homme qui croise seul à seul une épouse royale sur un chemin a obligation de quitter le chemin pour laisser passer la reine et sauver sa vie… Un haut fonctionnaire est commis à la surveillance des mœurs. Il s’agit du Poega ou du Poe naaba. Ce dernier « a deux fonctions : désigner les personnes coupables d’empoisonnement ou de tentative d’empoisonnement, et celles coupables d’avoir entretenu des rapports sexuels interdits (rapports sexuels des sogndamba et infidélités des femmes du chef, en particulier).
La manière de procéder du Poe naaba pour établir la culpabilité consistait à lire les reflets, sur une surface d’eau, du visage du coupable présumé… » Cette instruction des plus légères a hélas provoqué l’exécution de centaines de personnes à travers le Mogho. En vérité, la pratique la plus hideuse de notre société d’antan.
Moussa SINON
Juin 2020
Source: LeFaso.net
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