Tanwalbougou. 45 km de la ville de Fada N’Gourma, à l’Est du Burkina Faso. Un village presque inconnu par la plupart des Burkinabè, jusqu’au 11 mai 2020. Vingt-cinq personnes interpellées par la gendarmerie. Quelques heures plus tard, douze sont annoncées mortes en cellule. Les corps sont pourtant ensanglantés et emballés dans des sachets à l’enterrement. L’onde de choc ébranle le pays et bien plus loin, quand les informations fuitent et font planer de forts soupçons d’exécutions sommaires. Nous étions à Tanwalbougou, le 16 mai 2020, avec le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC). Entre peur et traumatisme, les questions sans réponses des survivants. Reportage !

En gulmacéma, Tanwalbougou signifie « la mare où l’on lave les chevaux ». C’était il y a bien longtemps. Il n’y a plus vraiment de chevaux à laver ; et en cette période de canicule, les terres craquelées des mares attendent de l’eau. Le village est dans un calme qui met le visiteur en alerte, ce 16 mai 2020, peu avant midi. Des boutiques du marché sont fermées, des concessions entières, vides. « Avant, il y avait de l’animation partout. Mais il n’y a plus personne, les gens ont fui », nous confie un conseiller municipal.

Nous traversons le village, sous le regard curieux des passants qui s’arrêtent pour observer les deux véhicules se frayer difficilement un passage dans les ruelles. Nous nous rendons à l’autre bout de la bourgade. Là, plus de 100 personnes, hommes, femmes et enfants, ont trouvé refuge chez un leader religieux très respecté dans la région. Certaines ont été témoins des arrestations du 11 mai 2020. Sous le couvert de l’anonymat, ils se prêtent volontiers, mais difficilement, à nos questions.

« J’étais ce jour-là au marché. C’est aux environs de 13h que les gendarmes sont arrivés et ont encerclé le marché. Ils ont arrêté tout ce qui est Peul. J’étais devant la maison d’un Gourmantché, Je lui dois la vie. Il m’a ouvert sa porte et je suis entré me cacher », nous confie L.T., un homme d’environ 60 ans. Dans cette opération en plein jour, il a perdu son fils de 20 ans et son petit-frère d’environ 50 ans. « On nous dit de collaborer. Mais nous-mêmes avons peur d’eux. On a autant peur des FDS (Forces de défense et de sécurité, ndlr) que des terroristes. Quand les FDS prennent les gens, ils les exécutent. Les terroristes aussi prennent les gens, soit ils partent avec eux, soit ils les abattent. Malgré mon âge, je suis totalement perdu. Si un vieux de mon âge a autant peur, c’est que c’est foutu », maugrée L.T.

« Quand les gendarmes ont rassemblé tout le monde et qu’ils sont partis vers l’Est en direction de Tanwalbougou, le Gourmantché a ouvert la porte et m’a conseillé de fuir vers l’Ouest. De 13h à 16h, je suis donc resté dans ma cachette. Quand je suis revenu au marché, j’ai pris mon vélo. Un malade était sur place, on a pris son accompagnant, c’est moi qui l’ai ramené ici », poursuit-il.

Le marché où ont eu lieu les arrestations, c’est à Pencangou (lire Pentchangou), à 5km de Tanwalbougou. Un autre rescapé nous confirme que c’est bien en plein jour que les événements se sont déroulés. « Le matin, nous étions en train de construire une maison, avec mes frères. Aux environs de 13h, les frères sont allés au marché à vélo, moi je suis resté à la maison. Vers 14h, j’ai entendu les gens crier en courant. J’ai aussi tenté de m’échapper. Ils m’ont pris en chasse. Deux étaient sur une moto, un autre était seul sur sa moto. Ils m’ont poursuivi, je suis entré dans un grenier ; ils ont cherché en vain, puis sont repartis. Je les regardais depuis ma cachette », relate pour sa part D.D. Ses deux frères aînés (39 et 55 ans) n’ont pas eu cette chance. Ils ont été pris, et sont morts par la suite.

La mine déconfite, cet autre rescapé, B.A, a perdu trois connaissances dont deux membres de sa famille et son voisin. Lui également était sur les lieux, et n’a eu son salut que dans la fuite. Il précise que son frère cadet n’était même pas du village, Pencangou, mais plutôt de Bomana. Il s’est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment.

« Il est parti acheter de l’aliment pour bétail à Fada. Arrivé au marché de Pencangou, il a appelé son petit-frère de venir récupérer. L’arrivée du petit-frère a coïncidé avec le débarquement des FDS qui ont tout de suite procédé aux arrestations. Moi-même j’étais sur les lieux, mais j’ai réussi à m’échapper. Par la suite, on a appris qu’on a emmené les gens avec deux 4×4 à la gendarmerie de Tanwalbougou », nous conte-t-il, la tête baissée.

C’est dans ce village situé à 5 km de Tanwalbougou que les gendarmes ont arrêté les 25 personnes

« C’était horrible »

Le lendemain des arrestations, le chef religieux réunit une délégation composée de Gourmantché, de Mossi et de Peul pour aller aux nouvelles, comprendre les motifs des arrestations. Les envoyés reviennent bredouilles de la gendarmerie ; le commandant de brigade leur fit savoir qu’il n’est au courant d’aucune arrestation et qu’il ne sait pas où les parents arrêtés se trouvent, selon les explications des personnes qui étaient de la délégation.

Un jour plus tard, les nouvelles commencent à fuiter sur la mort de certaines personnes. « Le lendemain, on a appris qu’on a tué des gens et que les corps sont à Fada. On a nous a dit que ceux qui ont des connaissances arrêtées doivent aller voir si elles ne font pas partie des tués », explique B.A.

C’est alors que tombe le communiqué du procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Fada N’Gourma. « Le 12 mai 2020, j’ai été informé par le commandant de compagnie de la gendarmerie de Fada N’Gourma de ce que 25 personnes ont été interpellées dans la nuit du 11 au 12 mai 2020 par les Forces de défense et de sécurité à Tanwalbougou (…) pour suspicion de terrorisme. Malheureusement, 12 d’entre elles ont trouvé la mort au cours de la même nuit dans les cellules où elles étaient détenues ». C’est ce que l’on pouvait lire du communiqué fait à Fada N’Gourma, le 13 mai 2020, et signé de Judicaël Kadéba, procureur du Faso.

Ces centaines de familles vivent dans la hantise permanente

Mais à Tanwalbougou, on est formel, « même le communiqué du procureur » n’est pas vrai. Le député-maire de Dori, Aziz Diallo, qui a été à la morgue, puis au cimetière, nous explique alors qu’il y avait du sang partout. Pis, lui qui a perdu son cousin dans le drame, se veut précis. Les victimes ont été exécutées, froidement.

« Quand nous sommes arrivés au cimetière, on a constaté deux tombes. Une fosse commune pour onze personnes et une autre. C’est aux environs de 18h30 que les corps ont été envoyés au cimetière. On a assisté jusqu’à la fin. C’était horrible. C’étaient des corps emballés dans ses sachets. Et pour empêcher que certaines parties se décomposent, ils ont dû scotcher. Le sang coulait un peu partout. C’est ce qu’on a constaté. Nous ne connaissons pas encore les circonstances de ces morts, mais nous disons que c’est très sérieux parce que, s’ils sont morts par étouffement, d’où vient le sang ? », se demande pour sa part Mathias Nadinga, conseiller en droits humains et permanents du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), section du Gourma.

La liste des personnes décédées, établie par un conseiller municipal

« C’est Dieu qui a voulu que, cette fois, l’affaire soit dévoilée au monde »

A Tanwalbougou et dans les villages environnants (Pempedi, Lopengou, Mourdeni, Pencangou, Bomdana, Piéga), la vie n’est plus comme avant. Le leader religieux et plusieurs témoins nous avouent que depuis l’arrivée du commandant de brigade, il y a environ une année, la cohésion sociale est en mal. Particulièrement depuis cinq mois, la communauté peule est visée. « C’est le summum de la douleur et du mécontentement général. Les terroristes exploitent le mauvais comportement du CB (commandant de brigade, ndlr) pour faire la propagande sur le terrain. C’est leur message de campagne et ils se présentent alors comme les protecteurs », nous explique-t-il, avant d’ajouter que depuis maintenant cinq mois, aucun Peul n’ose traverser le village pour aller dans un centre de santé ou au marché. « S’il ose, on l’exécute et on jette son corps ».

Le dernier cas des personnes arrêtées et mortes n’est pas isolé, nous témoignent plusieurs sources. « C’est Dieu qui a voulu que cette situation soit dévoilée au monde entier. A plusieurs reprises, il a fait ça et il n’y a rien eu », nous confie le leader, qui dit avoir approché le commandant de brigade pour lui suggérer de travailler à sauvegarder la cohésion sociale.

Le MBDHP section du Gourma suit de près cette affaire à forte odeur d’exécution sommaire

Aussi, il y a quelques mois, il a organisé une grande rencontre à Fada N’Gourma pour trouver une solution, parce que Tanwalbougou partait en déliquescence. « Il s’agissait de se donner des idées, avec les différentes communautés, pour resserrer les liens, afin que personne ne quitte le village. L’une des recommandations était que le CB soit relevé de ses fonctions, parce que depuis qu’il est arrivé, il travaille à déstabiliser la zone. A défaut de le relever, qu’il travaille à avoir la collaboration de la population, parce que cette guerre ne peut être gagnée en excluant toute une communauté », explique notre interlocuteur.

Des cadavres qui jonchent les brousses de Tanwalbougou, c’est une scène presque quotidienne à laquelle assistent les populations. « Ce sont les charognards qui dévorent les corps. Les chiens aussi ramènent des restes humains dans les maisons », confie un habitant. Pendant que nous abordons cette question, des jeunes sont allés faire des photos de cinq personnes tuées et laissées dans la nature, il a y environ un mois. Il ne reste plus que des os, avec les vêtements que les victimes portaient. Des images qui révoltent toute conscience humaine, que nous ne pouvons partager. « A qui on va s’adresser ? », questionne, impuissant, le conseiller municipal.

Tanwalbougou se vide de ses habitants

« Chacun doit assumer ses responsabilités devant l’histoire »

Les réserves du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), après la lecture du communiqué du procureur, se confirment après son séjour à Tanwalbougou. Selon Dr Daouda Diallo, président de cette organisation de défense des droits humains, ce que la mission a vu et entendu des témoins va étoffer et aiguiser son argumentaire.

« Ce qui s’est passé à Pencangou et Tanwalbougou est un drame. C’est sous la bannière ethnique que beaucoup ont été arrêtés, sur la base de suspicions. Un suspect n’est pas un coupable confirmé. Les corps étaient criblés de balles, et ont subi des tortures », enrage le président. Pour lui, plus que jamais, chacun doit assumer ses responsabilités devant l’histoire.

« Le procureur est un homme de droit, il doit honorer son corps parce que le seul rempart contre la dictature, c’est la justice. La paix s’arrose avec l’eau de la justice. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la manifestation de la vérité, le respect de la vie humaine ; c’est comment sauver la République, sauver la non-négation d’autrui ou d’une communauté », poursuit-il, tout en espérant que le drame de Tanwalbougou ne connaîtra pas le même sort que toutes ces exécutions sommaires qui n’ont jamais été élucidées.

Sur le chemin du retour, alors que les véhicules arrivent à la hauteur du bitume, nous apercevons des civils, jeunes pour la plupart, brandir des armes de guerre. Des kalachnikovs, au bord de la voie, au vu et au su de tous les passants. « Ce sont des volontaires [pour la défense de la patrie] », souffle le conseiller municipal.

Tiga Cheick Sawadogo (tigacheick@hotmail.fr)

Lefaso.net


C’est trois témoins ont échappé aux arrestations, mais ont perdu des enfants, des frères, des connaissances…








Source: LeFaso.net