Quelques jours après avoir publié un rapport sur les exécutions sommaires à Djibo imputées aux Forces de défense et de sécurité burkinabè, Human Right Watch, dans un nouveau document, dénonce les massacres commis par des groupes armés terroristes. L’étude se fonde sur l’assassinat de 90 civils en janvier 2020 dans plusieurs villages dont Rofénèga, Nagraogo et Silgadji. Le rapport émet également les incertitudes au lendemain de la création des Volontaires pour la défense de la patrie.

En début d’année 2020, le Burkina Faso a connu une recrudescence d’attaques terroristes. Au moins 90 civils ont été tués lors de trois attaques commises entre le 17 et le 25 janvier 2020 par des groupes terroristes. Ces tueries, perpétrées dans les villages de Rofénèga, Nagraogo et Silgadji, dans le Centre-Nord et le Sahel, coïncident avec l’expansion des groupes armés islamistes affiliés à Al-Qaïda et à l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS).

Human Rights Watch a mené, à Ouagadougou et à Kaya, des entretiens avec treize témoins des meurtres de Nagraogo et Rofénèga. Deux témoins des meurtres de Silgadji ont été interrogés par téléphone.

D’après les témoins interrogés, les hommes armés étaient habillés en noir ou en treillis militaires et arboraient des turbans, lorsqu’ils ont attaqué à deux par moto les marchés des villages. Ils semblaient prendre pour cible les hommes adultes sur la base de leur ethnicité.

A Nagraogo, des témoins ont vu des assaillants arborer un drapeau noir, symbole de l’Etat islamique, lit-on dans le rapport. « Le 20 janvier, un groupe d’hommes armés à moto, vêtus de noir, et arborant des drapeaux noirs, a d’abord lancé une attaque contre Alamou puis Nagraogo, deux villages à majorité mossi, situés à moins de sept kilomètres de distance sur l’axe routier reliant Barsalogho à Dablo ».

Une jeune fille âgée de 15 ans, originaire de Rofénèga, a déclaré à Human Rights Watch avoir été témoin du meurtre de son frère de 20 ans, le 17 janvier. « Il était atteint de problèmes de santé mentale », a-t-elle expliqué. « Lorsqu’il a entendu les coups de feu, il a tenté de s’enfuir dans la brousse, mais a été intercepté et tué », a poursuivi le témoin.

Plus récemment, un témoin des meurtres en date du 25 janvier à Silgadji, a déclaré qu’au cours de l’attaque, des islamistes armés ont accusé la communauté de chercher le soutien de l’armée pour former un groupe de volontaires. « L’attaque a manifestement eu lieu en représailles du refus de la communauté locale de se conformer aux règles imposées par un groupe armé islamiste, et devant son intention de former un groupe d’autodéfense. Deux villageois interrogés à distance ont déclaré que des militaires s’étaient brièvement rendus dans le village quelques jours avant l’attaque, promettant de revenir pour entraîner des volontaires ».

Selon les témoins de l’attaque de Silgadji, les assaillants ont ensuite demandé aux villageois pourquoi les femmes ne portaient toujours pas de voile et les hommes continuaient de se raser la barbe. Ils ont ensuite ordonné aux femmes et à ceux qui n’étaient pas du village de quitter le marché.

« Ils ont dit qu’ils n’étaient intéressés que par les habitants de Silgadji-centre, puisque c’étaient eux qui avaient demandé à l’armée de venir les aider à se battre », a expliqué un homme âgé de 37 ans aux enquêteurs de Human Right Watch.

Un autre témoin, un homme âgé de 41 ans, originaire de Silgadji, a déclaré avoir vu quatre membres du groupe armé islamiste exécuter des dizaines d’hommes étendus sur le ventre derrière le marché : « Ils leur ont tiré dans la tête, mais ceux qui ont tenté de s’échapper ont reçu une balle dans la poitrine ».


Volontaires pour la défense de la patrie, une exposition des villageois ?

L’organisation non-gouvernementale de défense des droits de l’homme fait le constat que c’est au lendemain des attaques du 20 janvier contre les villages voisins de Nagraogo et Alamou, qui ont tué au moins 36 personnes, que l’Assemblée nationale a adopté une loi portant sur la création de milices locales, des groupes de « Volontaires pour la défense de la patrie ». Le texte autorise le recrutement de civils, formés et équipés pour veiller sur leurs communautés, et placés sous l’autorité des Forces de défense et de sécurité (FDS) nationales.

Human Rights Watch craint que ce texte vulnérabilise davantage les communautés aux attaques des groupes armés islamistes. « Au cours des derniers mois, des islamistes armés ont en effet pris pour cible, à plusieurs reprises, des civils suspectés de soutien aux forces militaires ou aux milices locales », révèle le rapport.

« Armer des civils sans formation ni contrôle gouvernemental adéquats est le meilleur moyen d’accroître les abus et les conflits intercommunautaires », analyse Jonathan Pedneault, chercheur auprès de la division Crises et conflits de Human Rights Watch, pour qui, « au lieu d’apaiser les tensions intercommunautaires, les autorités du Burkina Faso risquent d’aggraver le problème en créant des milices qui pourraient bien retourner leurs armes contre d’autres civils ».

Le rapport de Human Rights Watch interpelle ainsi le Burkina Faso et ses bailleurs de fonds internationaux – en particulier la France et l’Union européenne – à soutenir les efforts visant à lutter contre les tensions interethniques croissantes dans le pays, y améliorer les efforts pour établir les responsabilités dans les cas de crimes et de violations graves, et protéger les civils en danger et, ce, en toute impartialité.

« Les partenaires internationaux du Burkina Faso devraient exhorter son gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la force d’autodéfense des Volontaires (…) reçoive la formation nécessaire et soit contrôlée et ses membres tenus pour responsable de leurs actes, s’ils venaient à se livrer à des abus », ajoute le document.

Pour l’ONG de défense des droits de l’homme, « les commandants » burkinabè peuvent être tenus pour responsables de crimes de guerre pour de graves exactions commises par les forces placées sous leur commandement, y compris les Volontaires.

Lefaso.net

Source: LeFaso.net