Des pans entiers du Sahel s’enlisent peu à peu. Les quelques communes où l’on pouvait encore aller et venir, et qui accueillent des milliers de déplacés internes, sont de plus en plus coupées du reste du territoire national. A Djibo, Arbinda dans le Soum ; Tin Akof, Déou, Oursi, Markoye dans l’Oudalan ; Titabé dans le Yagha ; Gorgadji dans le Séno, c’est le blocus. Impossible d’entrer ni de sortir. Ces localités étouffent sous la pression des groupes armés terroristes. Au cours d’une conférence de presse ce 23 avril 2020, les responsables de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de la région du Sahel, ont sonné l’alarme. Il faut agir urgemment, avant que ces communes, derniers remparts, ne sombrent définitivement et tombent dans les mains de l’ennemi.

Ces derniers jours, surtout sur les réseaux sociaux, des voix ont fait chorus pour Djibo. La ville était coupée du reste du territoire national. Pas de voie d’accès au chef-lieu de la province du Soum, qui accueille près de 150 000 déplacés internes selon les chiffres du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Même chose pour Arbinda qui abrite 60 000 déplacés internes. Pourtant, c’est dans ces deux communes, sur les neuf que compte la province, qu’il y a encore de la vie. Les autres s’étant vidées.

« La province du Soum vit des heures sombres. Les tueries sont quasi-quotidiennes (…) Depuis un mois, cette ville-martyre est coupée du reste du pays. Tout commence à manquer : denrées alimentaires, produits pharmaceutiques, eau, gaz, carburant… Les rares produits disponibles sont vendus à des prix exorbitants. Le litre d’essence est ainsi vendu à plus de 2 000 F CFA », explique Amadou Diemdioda Dicko, vice-président de l’UPC, par ailleurs ressortissant du Sahel.

Alors que le ministre de la Communication a annoncé la levée du blocus, les conférenciers relativisent : « Selon les informations de terrain que nous avons, la situation perdure. Seuls dix camions ont pu accéder à Djibo, au marché de bétail, sans avoir eu d’animaux à transporter ». En plus, selon eux, la levée du blocus voudrait dire qu’effectivement, l’administration est de retour et que la fluidité du trafic est redevenue une réalité. Ce n’est pas le cas.

Les symboles de la présence de l’Etat disparaissent, sans qu’une solution y soit apportée. « L’administration est absente de la province, et la population est prise en tenaille entre les Forces de défense et de sécurité et les mouvements terroristes (…) Les représentants de l’administration (les préfets, les maires, les hauts-commissaires et les fonctionnaires) ont déserté les lieux. Les écoles et les centres de santé sont fermés. Les groupes terroristes rackettent les populations, leur imposent des impôts, et pillent leur bétail », dépeignent les responsables de l’UPC de la région du Sahel.


Une situation préoccupante partout au Sahel

Le Soum n’est pas la seule province concernée par cette situation. « Dans l’Oudalan, des ultimatums sont même donnés à plusieurs villages de déménager (cas de la ville de Tin Akof et d’autres villages de Gorom-Gorom). Les populations s’agglutinent à Gorom-Gorom, sans rien, à la merci des maladies et de la famine », ont regretté les conférenciers.

Les groupes terroristes ont ainsi réussi à isoler les quatre communes sur les cinq que compte la province de l’Oudalan : Tin Akof, Déou, Oursi, et Markoye. L’accès à ces villages est devenu problématique. Dans le Yagha, révèlent les conférenciers, c’est pareil. La dernière actualité en date, c’est l’incendie de la mairie de Titabé et la mise sous blocus de la bourgade. Dans la province du Séno également, la commune de Gorgadji, à cheval entre Dori et Arbibda, est coupée.

Selon le maire d’Oursi, les villes d’accueil croulent sous le poids des déplacés internes, même en termes d’eau. « Gorom-Gorom a toujours eu des problèmes d’eau ; maintenant il doit partager ce potentiel avec un nombre trois fois plus grand. C’est une situation tragique actuellement. Comment faire pour que tout ce monde tienne, jusqu’à ce qu’un jour, la paix revienne pour que chacun retourne d’où il vient ? », se demande Mohamedi Ag Wananour, le bourgmestre de la commune d’Oursi, abandonnée.

C’est cette situation de dégradation accélérée de la situation sécuritaire et de menaces imminentes qui pèsent sur les populations du Sahel que les responsables de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de la région du Sahel ont peinte lors de cette sortie devant de la presse. « La région du Sahel, épicentre de la crise, est en train de s’effondrer sans que le gouvernement n’y apporte une solution », ont-ils insisté.

C’est dans cette situation déjà pas reluisante dans le septentrion burkinabè que vient s’ajouter le coronavirus. Le Sahel compte officiellement quinze cas de Covid-19. La mine d’or d’Essakane SA dans l’Oudalan compte douze cas, et la commune rurale de Falangountou, dans le Séno, en compte trois. Tout en invitant les populations au strict respect des mesures barrières, les conférenciers ont demandé au gouvernement et aux autorités locales d’accompagner les populations à se prémunir de cette pandémie. « Si de nouveaux foyers éclatent au Sahel dans ces conditions sécuritaires, ce serait une catastrophe humanitaire sans précédent », préviennent-ils.


Les recommandations

Rappelant que depuis quatre ans les attaques terroristes ont causé près de 2 000 morts, civils et FDS, selon les chiffres des Nations unies, et près de 800 000 déplacés internes selon le CONASUR, les responsables du parti du lion au Sahel ont formulé des recommandations. Ils ont préconisé l’organisation de patrouilles permanentes et des convois périodiques pour faciliter le transport vers les zones attaquées, particulièrement de personnes en situation d’urgence, de marchandises, d’aliments et de médicaments.

La solution, selon eux, passe aussi par une réinstallation de l’administration dans les zones où elle n’est plus présente, avec des mesures sécuritaires d’accompagnement. Pour ne pas hypothéquer l’avenir des milliers d’enfants déplacés, les conférenciers ont suggéré des mesures palliatives pour leur permettre la poursuite des cours dans les villes qui les accueillent.

Des voix s’élèvent pour dénoncer des exécutions sommaires commises par les FDS. Pour les responsables UPC du Sahel, une enquête indépendante est nécessaire pour faire la lumière sur les accusations de Human Rights Watch portant sur des exécutions sommaires. Dans le même ordre d’idées, une des recommandations formulées est celle d’une saine opérationnalisation de la loi sur les volontaires de défense pour la patrie, avec une réelle implication des populations à la base, et un soutien matériel et logistique conséquent.

Enfin, Amadou Diemdioda Dicko, vice-président de l’UPC, et ses camarades ont encouragé les populations à développer des systèmes de renseignements endogènes, pour permettre aux FDS d’être en avance sur les actions des ennemis.

Tiga Cheick Sawadogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net