Lors d’ une conversation entre trois Burkinabè vivant en France, nous avons évoqué les propositions, interrogations et informations multiformes qui circulent au sujet de la pandémie liée au COVID-19. Une préoccupation nous anime : que pouvons-nous faire ? Que peut le Burkina Faso ? Que peut l’Afrique ? Ce qui suit est la synthèse de cet échange.
VIIM en mooré, SHI en dioula, YONKI en fulfulde : oui le respect de la vie est au cœur de nos valeurs essentielles. Le combat pour la vie, et la santé, fait partie du quotidien de la majorité des humains, et des projets de transformation sociale incarnés à nos yeux par un panafricanisme de progrès.
Malgré des ressources exceptionnelles et des époques d’abondance antérieures, c’est la pauvreté qui est aujourd’hui endémique. C’est elle qui caractérise le vécu des majorités, héritières de sociétés fracassées pour avoir traversé les pires épreuves connues des sociétés humaines, notamment la colonisation et l’esclavage. Toutefois , le génie des peuples africains, et en particulier du peuple burkinabé, réside dans leur capacité à inventer des solutions. Comme l’écrit le philosophe sénégalais Djibril Samb, « La force de la condition humaine consiste à savoir muer les épreuves en expériences, et celles-ci en enseignements, pour surmonter ses limites en les transformant en défis à relever ».
Avant le coronavirus une vie burkinabé pouvait être cotée 25 fois moins que celle d’un Français, si l’on se base sur l’estimation de 120 fois le PIB par habitant du pays d’origine de la victime l’essai de (Le prix d’un homme, François-Xavier Albouy ) . Eh bien, après le coronavirus, l’élan pour sortir de sortir à la fois de cette logique économique tronquée , et des inégalités structurelles qu’elle reflète, sera-t-il décuplé ?
Au-delà des protestations sur telle déclaration blessant la fierté africaine, et mettant à jour certains scandales sanitaires et médicaux, au-delà des injures supportées stoïquement par le Directeur général de l’OMS, le Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesu , l’objectif commun doit être de traduire la résilience des majorités en actions stratégiques, permettant de rompre avec une vie au rabais.
Une connaissance adéquate de l’impact de l’épidémie du COVID 19 et des défis du Continent africain est-elle nécessaire pour prendre la parole aujourd’hui ? Non, car l’espèce d’énorme ralenti dans laquelle le monde est plongé ne met entre parenthèses le chemin, difficile, dont nous savons qu’il mène à la prospérité et au bien être.
Certes, elle est grande la clameur et la rancœur des anti-vaccinations, suite aux propos d’un expert de l’INSERM, le Professeur Mira , tenus sur la chaîne de télévision LCI le 3 avril . Une coalition d’intellectuels, de partisans des médecines douces traditionnelles, de panafricanistes, s’est levée pour crier « Non » . Cela est cyclique car une colère de plus ou moins forte intensité existe de manière structurelle, notamment au sein des franges les plus jeunes de la diaspora africaine à cause du racisme et de l’exclusion sociale dont il est porteur.
Certes, de nombreux scandales plus anciens, au vingtième siècle, tel que celui concernant la Syphylis relaté dans le Belmont report aux USA (1979) , ont , auparavant, mis en lumière le non-respect de la Déclaration d’Helsinki de 1964 sur les Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains. Au Burkina Faso des héros anonymes ont rejeté telle tentative d’essais cliniques non conformes à ces principes. L’intégrité de médecins et infirmiers, sage-femmes est sans doute mise à rude épreuve, compte tenu des actes de corruption mis en lumière de nos jours par le REN-LAC.
Mais au delà de ces cris, légitimes, devraient surgir davantage de propositions concrètes, une mobilisation plus pérenne pour une construction collective d’alternatives ayant une efficacité préventive. Le droit à la vie et à la santé ne doivent pas seulement être dans la constitution, ils doivent être effectivement garantis.
La colère, l’indignation, peuvent être utiles lorsque l’on sait en faire le levier pour une action transformatrice , pour apaiser la soif de justice en accélérant le rythme des changements stratégiques.
Le chemin tout tracé du développement endogène et du panafricanisme doit être revisité à l’aulne de cette pandémie. Nous partageons à cet égard ce soucis exprimé par les intellectuels africains : « une véritable union des pays africains sur les plans économique et sanitaire pourrait permettre une mutualisation des réponses aux risques engendrés par le covid-19 et au-delà »
Par exemple, un observatoire panafricain de la recherche médicale est nécessaire pour promouvoir la bioéthique, notamment le respect de la Déclaration d’Helsinki, et contrôler davantage la participation effective des chercheurs africains dans les projets de recherche co-financés, au lieu d’en faire de simples assistants, méprisés, des grands laboratoires européens ou américains.
Ouvert à la société civile, il permettrait de renforcer les programmes communautaires d’éducation au droit à la santé, afin que les citoyens ne soient pas livrés impunément aux intérêts affairistes des multinationales, puissantes lobbyistes auprès des Gouvernements et des institutions internationales.
De telles préconisations resteraient seraient d’autant mieux suivies si la transformation de la gouvernance de l’Union africaine , en cours, s’accélère , et évolue vers davantage de supranationalité.
Sur le Continent même, les graines du changement doivent être entourées de tous nos soins. Les expériences institutionnelles lors des épidémies du cholera et de la fièvre Ebola sont insuffisamment partagées.
Au Sahel, déjà fragilisé par l’extrémisme violent, les œuvres pionnières en matière de médecine traditionnelle africaine, telle celle du malien Mamadou Koumaré, de Jean Plya du Bénin, Dr Dakuyo du Burkina Faso, le Dr. Pierre Guissou et ses collègues inventeurs du FACA, et tant d’autres, doivent retenir davantage l’attention des protestaires et des gouvernements.
Le rôle pionnier du CAMES depuis le Colloque de Lomé en 1974, dont le Burkina Faso abrite le siège, rend d’autant plus nécessaire le soutien massif aux tradithérapeuthes et chercheurs africains, de manière à donner une impulsion libératrice à ce socle incontournable de la souveraineté sanitaire du pays, entendons par là le Burkina Faso et l’Afrique tout entière.
Dans l’Afrique dite anglophone, le Zimbabwe, que les media évoquent le plus souvent pour mentionner l’héritage supposé catastrophique du défunt président Mugabé, l’association nationale des thérapeutes traditionnels (ZINATHA) représente un effort significatif pour concrétiser les potentialités des cultures scientifiques propres au Continent africain. Yash Tandon et Horace Campbell ont bien souligné cela.
Au sein de la CEDEAO, le Ghana voisin et le Nigeria sont certainement dans la même dynamique.
« Il faut infrastructurer la culture » avait souligné J. Ki-Zerbo, architecte des programmes du CAMES sur la pharmacopée. Les infrastructures professionnelles nationales existent déjà : l’U-Pharma qui fabrique le FACA , médicament contre la drépanocytose, l’Institut national de recherche sur la santé (IRSS), le laboratoire national de biosécurité. C’est une volonté politique qui peut en faire des leviers d’une force de frappe intégrée pouvant représenter un dispositif d’envergure sous-régionale et même régionale.
Vœux pieux ? Souhaits naïfs de « diaspos » ? Peut-être, et tant mieux si ce sont des portes déjà ouvertes ou en cours de l’être.
Notre rêve est celui des Afrofurutistes et Afrooptimistes. Leurs rêves font espérer et prospérer.
Au fond, nous pensons simplement que, comme le corps humain secrète des anticorps pour se sortir de l’agression virale , les corps politiques que sont nos Etats doivent se secouer pour se hisser, et leurs peuples avec eux, à une dimension supérieure, systémique et non conjoncturel , de la bataille libératrice contre la pauvreté endémique.
A rebours d’une impression pénible de cacophonie, il est vrai perceptible dans bien des pays, nous pensons que les autorités doivent regrouper les structures et acteurs précités en un pôle, structuré et structurant, et à susciter à leur intention une initiative d’envergure, dans le cadre d’une diplomatie scientifique offensive visant la CEDEAO et l’Union africaine. En rappel, le Président du Faso a « invité le Haut Conseil national de la recherche scientifique à activer sa commission Santé et bien-être, et décidé de la mise en place d’un Conseil scientifique pour suivre et orienter les mesures à prendre contre la pandémie », et annoncé « le financement de la recherche sur les maladies infectieuses et la production de médicaments pour un montant de 15 milliards FCFA ».
L’ambition ici doit être de transformer l’épreuve comme on transforme un essai : tirer parti de nos avantages comparatifs et contribuer à court terme à renforcer l’industrie phytosanitaire et pharmaceutique du Burkina, pour le bien être des populations africaines, du Continent et de la diaspora.
Lazare KI-ZERBO, Guyane
Alira ADISA, Paris
Vincent De Paul KINDA, Marseille
Source: LeFaso.net
Commentaires récents