Les attaques terroristes au Burkina ont causé le déplacement de milliers de personnes. Certains ont tout perdu dans leur fuite, et n’ont plus que le souvenir traumatisant d’avoir été contraints de quitter une terre qui les a vu naître, grandir et prospérer. Aujourd’hui, ces déplacés sont confrontés à des besoins en logement, nourriture, santé, assainissement, etc. Dans cette situation, ce sont les enfants qui paient le plus lourd tribut. C’est le cas de Rahouf Taposba, 4 ans, qui a fui le village de Sirgadji dans le Sahel, avec sa mère, son frère et sa sœur, pour trouver refuge à Pazani, un quartier périphérique de Ouagadougou.

Pazani. Ce nom ne vous dit sans doute rien. Pourtant, c’est un quartier de Ouagadougou, la capitale burkinabè. Une zone dite non-lotie, située dans l’arrondissement N°9, au secteur 38 de Ouagadougou. C’est dans ce quartier que vit Rahouf Tapsoba depuis la nuit du 10 juin 2019. À quatre ans à peine, Rahouf a le ventre ballonné, à cause de ses conditions de vie. Son seul soutien, c’est sa mère, puisque son père, un orpailleur, a quitté le domicile depuis plusieurs mois. D’ailleurs, il n’a été présent à la maison que rarement, à cause de son attrait pour l’or, confie la mère de Rahouf, Gourma Tapsoba. Malgré la chasse continue aux métaux précieux, la misère n’a pas quitté la famille Tapsoba. Rahouf manque presque de tout : l’amour paternel, la tranquillité, la sécurité. Et le comble, c’est que son avenir est incertain.


Aujourd’hui, cet enfant au visage innocent a élu domicile à Pazani, par la force des choses, depuis trois nuits. La terre de Ouagadougou, qui lui semble étrangère, fait désormais partie intégrante de son avenir. Le bruit des bars et des engins auquel il n’est pas habitué va désormais faire partie de son environnement.

En avril dernier, des individus armés ont fait irruption dans le village de Rahouf, Sirgadji, dans la province du Soum. Ils ont pointé une kalachnikov sur sa mère. Cette énième visite des assaillants était de trop. La famille de Rahouf décida alors de s’enfuir « pour éviter de se faire fusiller lors de la prochaine visite ».


D’ailleurs, les individus armés ont prévenu les habitants de Sirgadji : « Nous reviendrons vous faire la peau ». Ce jour-là, « ils ont tué douze personnes. C’est là qu’on a compris que c’était plus sérieux qu’avant ; qu’ils allaient certainement mettre leurs menaces à exécution », explique Gourma Tapsoba, 38 ans, mère de trois enfants dont Rahouf. C’est ainsi que la famille Tapsoba a quitté le village, mais en toute discrétion. C’est le doyen de la famille, le grand-père de Rahouf, qui a pris la décision. « Ils avaient tué les autres et ils ont dit qu’ils vont nous tuer (…) J’ai demandé à la famille de fuir et nous y voilà », justifie le vieillard de 80 ans.

La fuite commence la nuit…

Tout comme Rahouf, les autres enfants ne savaient pas qu’ils allaient fuir Sirgadji. Tout comme Rahouf, les enfants de Sirgadji aimaient naïvement le calme précaire qui régnait dans le village. Mais c’est dans ce calme précaire que les bagages se firent. Un moment d’angoisse, se rappelle la maman de Rahouf : « Vraiment, c’était triste. J’ai presque tout perdu, même la volaille. Au cours du voyage, mes poussins sont morts… ».


Le voyage jusqu’à Ouagadougou s’est fait à bord d’un camion censé transporter des bêtes. Dans ce camion se trouvaient les proches parents de Rahouf, dont sa mère, sa grande sœur (7 ans) et son petit-frère (un an et huit mois). La famille a aussi embarqué la volaille, de petits ruminants, des meubles et des vivres. Ils étaient plus de 100 personnes dans ce camion.

Aujourd’hui, après les secousses et la fatigue, Rahouf et les autres sinistrés ont élu domicile dans une école privée, dans l’arrondissement N°9 de Ouagadougou. En plein air, ils ont passé la nuit, livrés aux moustiques et aux reptiles. Les premiers secours sont venus des voisins et des parents vivant dans la zone. Ils leur ont apporté de l’eau et de la nourriture.


Le maire de l’arrondissement, Albert Bamogo, trouve la situation « inquiétante ». Il entend pourvoir aux besoins des déplacés, en collaboration avec le gouvernement.

Rahouf et sa famille sont venus s’ajouter à d’autres infortunés installés plus tôt à Pazani. Mohamed Nikiéma vit ici avec les siens depuis le 1er juin. Ils sont plus de 200 individus, dont des nourrissons et des personnes âgées. Même si les enfants jouent dans la cour de l’école, leur apparente gaieté ne saurait cacher leur état de malnutrition.

Quand les premiers déplacés sont arrivés, ils ont élu domicile dans des écoles. Des chefs d’établissement, émus, ont décidé de leur ouvrir les salles de classes et de contraindre les élèves à des vacances forcées. Bien avant le groupe de Mohamed, il y a ceux qui sont arrivés à la mi-mai, souligne le responsable du recensement, qui a préféré garder l’anonymat. Mais rien ne présageait une augmentation rapide du nombre en si peu de temps, se lamente un assistant.


Mariam Ouédraogo, 27 ans, a quitté un village voisin de Sirgadji. Elle et les siens se sont installés dans une école privée de Pazani, depuis quelques semaines, après avoir reçu des menaces de mort de la part des terroristes. Aujourd’hui, la nourriture, les nattes, les moustiquaires, l’eau et l’assainissement font défaut. Une situation constatée par Mahamoudou Sawadogo, habitant de Pazani. Il est un témoin oculaire de ces arrivées, depuis le début. « Ils disent qu’ils ont été menacés de mort. Nous les avons accueillis. Depuis le commencement, nous leur apportons de la nourriture. Mais c’est difficile maintenant. Il faut que l’État nous aide », relate-t-il.

Les autorités, lors de leur visite le 10 juin 2019, avaient promis « une assistance publique ». Pour le moment, les déplacés continuent d’affluer à Pazani, surtout la nuit.


Pour le maire de l’arrondissement, Albert Bomogo, « le gouvernement est conscient des besoins de la population déplacée et une réponse rapide sera donnée dans les jours à venir ». Aussi, il note que c’est « un phénomène national qu’il faut prendre en compte avec le concours de toute la population burkinabè ». Une position partagée par le député Ousseni Tamboura, élu de la province du Soum, qui a reconnu « le caractère sérieux de ces fuites ». Il entend continuer à tirer la sonnette d’alarme, afin que des « solutions idoines d’envergure nationale soient trouvées, pour que ces déplacés soient en sécurité ». Il invite les bonnes volontés à venir au chevet des déplacés.

En attendant l’aide promise par les autorités, Rahouf, sa mère, ses frères et les autres déplacés ne savent plus à quel saint se vouer. Ils se demandent si leur sort émane de Dieu ou des hommes. La famille de Rahouf n’espère plus retourner à Sirgadji. Elle préfère reconstruire sa vie ici ou ailleurs. Rahouf et les enfants de son âge auront peut-être un avenir différent de ce que leurs parents voulaient pour eux. Parce qu’ils étaient là, au mauvais endroit au mauvais moment, face à des personnes qui les ont contraints à fuir. À travers leur regard, on voit l’attente d’une assistance humanitaire d’urgence.

Edouard K. Samboé

samboeedouard@gmail.com

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Source: LeFaso.net