À La Poste Burkina Faso, les travailleurs ne sont pas prêts à revoir leur directeur général au sein de la société, après l’avoir expulsé le mercredi 8 mai dernier. Dans cette interview, le secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la poste (SYNTRAPOST), Gilbert Goh, revient sur cette crise.
LeFaso.net : Au départ, il s’agissait d’un sit-in. Comment la situation a-t-elle dégénéré pour aboutir à l’expulsion du directeur général ?
Gilbert Goh : Pour que ça dégénère, il faut remonter à des faits pour que les uns et les autres comprennent. Ce sit-in a été effectivement un mot d’ordre du syndicat suite à la non-adoption de notre statut. Ce n’est pas à cause du statut qu’il y a eu cet incident ; il faut que les gens le sachent.
Parlant du statut, en 2018, nous avons travaillé avec la direction, suite à une crise que le DG a créée. À l’issue de ces pourparlers, il était question qu’on relise le statut du personnel. Le statut a été confié à une commission qui avait trois mois pour déposer ses conclusions. Malheureusement, cette commission n’a pas pu déposer son rapport au bout des trois mois. Cela a pris six mois, chose que les travailleurs n’ont pas contestée.
Lorsque les conclusions ont été déposées en septembre, dans l’entendement des travailleurs, le statut allait être soumis au Conseil d’administration qui est au-dessus de la direction générale pour analyse et éventuellement adoption. Malheureusement, le DG a mis le document de côté et il a mis en priorité ses propres projets, qui sont entre autres le changement du visuel de la Poste. Il s’est investi pleinement pour que ce changement ait lieu en un temps record et cela nous a coûté plus de 200 millions de francs CFA.
Après le changement du visuel, il a concocté un organigramme qu’il a soumis au conseil d’administration et qui l’a adopté avec des amendements. Ils ont adopté cet organigramme sans connaître le contenu. Et aujourd’hui, le DG est en train de dérouler l’organigramme à sa guise parce qu’aucun agent, aucun de ses collaborateurs ne connaît le contenu de cet organigramme.
Lorsqu’il a mis en œuvre ses différents projets, nous avons commencé à nous inquiéter. Pourquoi le statut qui est issu d’un consensus traîne dans les couloirs ? Nous l’avons interpellé plusieurs fois et promesse a été faite que le document allait être soumis au conseil d’administration en février 2019. Jusqu’en fin février, nous n’avons rien vu venir.
Il a fallu qu’on l’interpelle pour que le document soit discuté. Après discussion, nous nous sommes accordés sur tous les points, donc il était question de porter le document devant le conseil d’administration pour examen. Le DG est passé deux fois devant le conseil d’administration pour défendre le document, mais il a échoué. Est-ce une mauvaise foi de sa part ou une incompétence ? Nous sommes en droit de nous poser cette question.
L’expulsion du DG n’était pas prévue mais vous refusez qu’il réintègre son poste ; pourquoi ?
Effectivement, son expulsion a surpris plus d’une personne. Et j’ai comparé cela à l’insurrection populaire de 2014. En réalité, c’est une insurrection en miniature qui est arrivée chez nous. Nous avons invité les gens à observer un sit-in. Pendant le sit-in, la direction nous a appelés pour des échanges. Grande fut notre surprise lorsque le DG n’était pas dans la salle pour nous rencontrer. Il a délégué son secrétaire général et d’autres collaborateurs pour nous recevoir. Nous étions déjà indignés.
Une autre chose qui nous a indignés, c’est lorsque nous avons appris qu’il était à un autre conseil d’administration d’une société de la place. Nous avons estimé que « ta maison est en train de prendre feu, tu laisses ça entre les mains d’autrui et tu pars ailleurs pour résoudre un problème là-bas ». Nous avons estimé qu’il y a du mépris, quelque part.
Deuxième fait, c’est lorsque nous avons reçu des messages demandant aux différents responsables de relever les noms de tous ceux qui sont en mouvement. C’est vrai qu’en tant que premier responsable, il est dans son droit de mener ses actions mais à partir du moment où il y a une situation de crise, il faut jouer l’apaisement ; il ne faut pas mettre de l’huile sur le feu. Qu’est-ce qui lui coûtait de chercher encore à dialoguer avec les travailleurs pour voir dans quelle mesure résoudre le problème au lieu de vouloir ramasser les noms des manifestants afin de les sanctionner ? Donc c’est comme s’il a jeté de l’huile sur le feu. C’est ce qui a remonté les uns et les autres. Ainsi, nos sœurs, nos dames qui n’ont pas supporté, sont parties lui dire : « Monsieur le DG, trop c’est trop ».
L’adoption du nouveau statut relèverait plus du conseil d’administration que du DG ; pourquoi faire retomber sur lui toute la faute ?
Nous, on estime qu’il n’a pas su ficeler le dossier et le défendre. Une première fois, les gens ont toléré. Une deuxième fois. Et il faut une troisième fois ? C’est ainsi que les gens ont commencé à douter même de sa compétence. Ne lions pas ce qui s’est passé au statut forcément. Il y a un ensemble de frustrations. Le statut est en réalité la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Des messages circulent sur les réseaux sociaux disant que c’est la rigueur du DG, notamment avec la suppression de certains avantages des anciens, qui serait la véritable cause du problème ; qu’en dites-vous ?
Qu’est-ce qu’on appelle certains avantages des anciens ? Ce sont des faussetés. Il n’y a qu’un seul article dans le statut qui est consacré aux anciens. Nous avons discuté et nous nous sommes entendus dessus. Je défie quiconque, s’il a des arguments contraires, qu’il vienne. On va discuter.
Le DG tient à rester. Comment allez-vous faire ?
Les travailleurs disent que tant qu’il est là, ils ne vont pas travailler.
Le secrétaire général de la société aussi a été déclaré persona non grata ; pourquoi ?
Dans les actes et faits de tous les jours, nous avons constaté qu’il [le DG] est son inconditionnel. Et il ne le cache pas, à travers ses propos et ses actes. Comme on a vu que le DG avait une gestion qui ne répondait pas à un certain nombre de principes que nous connaissons, et qu’aujourd’hui il est décrié, les gens ont dit que lui aussi n’a pas sa raison d’être à la tête de cette structure.
Vous êtes en grève, la société n’a plus de premiers responsables ; comment voyez-vous la suite des événements ?
La société burkinabè va constater.
Le conseil d’administration a prévu un examen du nouveau statut pour le 14 mai prochain ; êtes-vous prêts à y aller ?
Nous avons un représentant au conseil d’administration mais nous n’avons pas encore discuté de la situation parce qu’officiellement, je n’ai pas de document qui dit que le conseil aura lieu le 14. Ce sont des propos qu’on entend de gauche à droite. Je ne sais pas comment ça va se gérer, mais toujours est-il qu’aujourd’hui, la question du statut n’est même plus la préoccupation des travailleurs. C’est pour montrer à l’opinion que ce n’est pas à cause du statut seulement que les gens sont en désaccord avec la direction. Aujourd’hui, les travailleurs estiment que même si le statut sera adopté en décembre, ce n’est pas leur préoccupation. C’est le départ pur et simple du DG ; même si le statut n’est pas adopté tout de suite.
Propos recueillis par Cryspin M. Laoundiki
LeFaso.net
Source: LeFaso.net
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