Groupes terroristes, et les négociations commencèrent ! Selon une enquête menée par nos confères de Africa Intelligence, parue le 22 avril 2019, les autorités burkinabè ont entamé des négociations ultrasecrètes avec des groupes djihadistes qui sévissent au Nord et au Sahel. Par le truchement d’intermédiaires qui ont été reçus à Kosyam en début mars 2019, le président Roch Kaboré a entrepris une diplomatie souterraine avec ces groupes qui, depuis le début de son mandat, ont multiplié les attaques, entraînant des centaines de morts et paralysant l’administration dans bien de localités avec notamment la fermeture d’écoles. C’est un nouveau tournant dans cette guerre asymétrique dans laquelle les armes ne semblent pas être la panacée.

Révélation de Africa Intelligence. Le 1er avril 2019, en marge de l’investiture du président sénégalais, deux présidents se rencontrent en aparté. Roch Kaboré et son homologue malien Ibrahim Boubacar Kéïta. Les deux chefs d’État évoquent les « négociations ultrasecrètes » qu’auraient entreprises Ouagadougou avec les groupes armés actifs et, ce, avec l’aide et le soutien de Bamako.

En effet, croit savoir Africa Intelligence, le président Roch Kaboré a décidé de franchir le pas, en initiant des contacts avec plusieurs Katibas (unités combattantes) actives dans le Nord du Burkina Faso. Objectif, négocier un statu quo avec les combattants. Ainsi, deux émissaires disposant d’un bon carnet d’adresses avec les divers groupes actifs au Nord du Burkina, ont été reçus dans la première semaine de mars par la présidence burkinabè. Aucun des deux n’est Burkinabè.

Il s’agit du député malien Ahmada Ag Bibi et du leader touareg Bilal Ag Acherif. « Acheminés du Mali jusqu’à la présidence burkinabè par un avion affrété sur ordre d’Ibrahim Boubacar Kéïta, les deux hommes ont longuement rencontré Roch Kaboré », en présence de deux conseillers du président, notamment le premier responsable de l’Agence nationale de renseignement (ANR), le colonel François Ouédraogo.

Si l’on en croit l’enquête de nos confrères, le président burkinabè a demandé à ses deux interlocuteurs de « l’aider » à négocier un statu quo avec les groupes actifs dans le Soum et dans le Nord, « comme l’a déjà fait la Mauritanie ». « Vous avez aidé mon prédécesseur [Blaise Compaoré, ndlr], maintenant aidez-moi », a lancé Roch Kaboré à Ahmada Ag Bibi et Bilal Ag Acherif.

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Certains pays comme la Mauritanie et le Mali expérimentent cette diplomatie souterraine, même si officiellement cela est vigoureusement rejeté comme option. Sur ce plan, c’est un remake de la politique de « Blaise Compaoré, qui gardait le contact avec les djihadistes du Nord via ses conseillers Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé. Les canaux ouverts par les deux hommes ont même profité à la France, qui les ont utilisés pour négocier la libération de ses ressortissants retenus en otage au Sahel ».

Qui sont ces émissaires ?

Les deux contacts du président Kaboré sont donc Ahmada Ag Bibi et Bilal Ag Acherif. Tous deux ont des liens étroits avec plusieurs Katibas maliennes opérant au Burkina. Député de la ville malienne d’Abeïbara (région de Kidal) depuis 2017, Ahmada Ag Bibi est l’ancien numéro deux du groupe djihadiste Ansar Eddine d’Iyad Ag Ghali, longtemps affilié à la nébuleuse Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). Toujours selon Africa Intelligence, depuis le début des années 2010, Ahmada Ag Bibi s’est progressivement spécialisé dans l’intermédiation avec les groupes combattants au Sahel.

Il a par exemple assisté Jean-Marc Gadoullet, ancien officier français de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) pour négocier en 2011, avec le chef d’AQMI Abou Zeid, la rançon de trois des sept otages français capturés par le mouvement en septembre 2010. Quinze millions d’euros avaient alors été versés. Pourquoi lui comme interlocuteur de Kosyam ? Eh bien, Ahmada Ag Bibi aurait des liens avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) composé pour une large partie d’anciens militants de son mouvement Ansar Eddine et dirigé par son ex-mentor Iyad Ag Ghali, dont il est resté proche.

L’autre interlocuteur de Roch Marc Christian Kaboré, c’est le touareg Bilal Ag Acherif, secrétaire général du mouvement indépendantiste touareg MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), qui rassemble plusieurs mouvements nés sur les ruines du groupe Ansar Eddine d’Ahmada Ag Bibi. « Blessé dans des affrontements avec des groupes djihadistes en 2012, Bilal Ag Acherif avait, à l’époque, été discrètement soigné au Burkina grâce à l’entregent du général Diendéré », rappellent les enquêteurs de Africa Intelligence.

Ces contacts de Kosyam, établis grâce Bamako, ne seraient pas les seuls. Par un autre président, Mahamadou Issoufou du Niger, Roch Marc Christian Kaboré a également rencontré, plut tôt dans l’année, trois leaders touaregs. El Hadj Ag Gamou, qui a la double casquette d’officier dans l’armée malienne et de chef de la milice GATTIA, a notamment combattu l’Etat islamique au Niger en 2017, aux côtés de l’armée française.

Le deuxième est son ami et ancien consul du Mali au Niger, Alhamdou Ag Ilyene, qui est depuis 2018 gouverneur de la ville de Nioro du Sahel, après avoir été gouverneur de Kidal. Le troisième leader touareg est Moussa Ag Acharatoumane, un milicien touareg, fondateur du MNLA. « En échange de leur intervention, les trois hommes ont demandé des compensations financières », précise le canard.

Synthèse de Tiga Cheick Sawadogo

Lefaso.net

Source : Africa Intelligence

Source: LeFaso.net