Sur des professeurs agrégés, titulaires d’universités du Togo, du Bénin et de la Côte d’Ivoire, pèsent des accusations relatives aux « manquements de leur devoir éthique ». Appelés le 16 avril 2016 au siège du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) sis à Ouagadougou, plus précisément devant la Commission d’éthique et de déontologie, les mis en cause ont dénoncé une violation des textes et des éléments basiques du droit dans la procédure. C’est pour prendre à témoin l’opinion publique nationale et internationale que les avocats de ces professeurs visés ont animé, ce jeudi, 18 avril 2018 à Ouagadougou, une conférence de presse sur le sujet.
Les griefs sont portés contre le Professeur Dodji Kokoroko, président de l’Université de Lomé au Togo, Professeur agrégé de droit public ; Professeur Salami Ibrahim David, Professeur agrégé à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin ; Professeur Dandi Gnamou, Professeur agrégé de droit public, Conseillère à la Cour suprême du Bénin ; Professeur Adama Kpodar, vice-président de l’Université de Kara au Togo, Professeur agrégé de droit public et Professeur Francisco Meledje, vice-président de l’Université Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, Professeur agrégé de droit public.
Que faut-il comprendre de cette affaire ? Selon la version de leurs avocats, les mis en cause sus-cités ont été convoqués le 16 avril 2019, aux fins de les entendre au sujet d’allégations de manquements à leur devoir éthique ; accusations portées contre eux par des collègues (de l’ordre inférieur).
« Ces collègues leur reprochent de les avoir empêchés d’accéder au statut d’agrégation ou d’agrégés. Et, pour certains, d’avoir œuvré à leur échec aux différents examens pour accéder au grade de professeurs agrégés. Il s’agit d’accusations graves (manquements à une règle d’éthique). Logiquement, toute personne qui est accusée de quelque chose doit connaître ce dont on l’accuse, qui l’accuse et, surtout, de quoi précisément on l’accuse (c’est un standard de droit de l’homme et de procès équitable). C’est-à-dire un fait précis pouvant avoir une qualification précise prévue par la loi ou le code d’éthique en question. Or, ici, ces personnes, qui sont des sommités académiques, toutes super-gradées en droit, sont sommées de comparaître, sans qu’on leur dise exactement quel est le contenu du dossier qui les concerne. Or, le code d’éthique et de déontologie qui est le texte sous l’égide duquel la procédure doit être menée, a prévu des procédures avant la comparution. C’est-à-dire que quand il y a un fait qui est révélé au niveau de la hiérarchie du CAMES, le secrétaire général de l’institution, informé, nomme un rapporteur qui reçoit les éléments qui constituent les faits avec pour missions d’enquêter et d’entreprendre toutes les diligences nécessaires à la manifestation de la vérité. Il dépose un rapport après son enquête préliminaire, ce rapport est envoyé au secrétaire général qui convoque la commission d’éthique et de déontologie », déblaie le porte-parole des avocats, Me Eric Emmanuel Sossah.
Dans le cas d’espèce, poursuit l’avocat, l’on a demandé aux mis en cause de venir répondre devant la commission d’éthique et de déontologie, de faits « qui ont été confusément allégués par des collègues enseignants contre eux », sans pour autant dire exactement dans quelles circonstances, et quelle infraction au code d’éthique et de déontologie a été commise.
« Or, il y a eu une session précédente du 21 au 26 janvier 2019 de la commission d’éthique et déontologie où des gens ont été entendus et ces gens ont fait des déclarations sur la base desquelles, on souhaite nous (partie accusée, ndlr) entendre. On demande de savoir qu’est-ce qu’ils ont déclaré au cours de cette session. Rien, on ne veut pas nous donner les éléments de cette déclaration. Mieux, nous avons fait une sommation interpellative au secrétaire général du CAMES, par voie d’huissier deux fois : les 5 et 12 avril 2019 pour qu’on nous donne les pièces et les dépositions qui ont été faites lors de la session précédente contenant des allégations qui, peut-être, sont à charge contre nous. On ne nous les a pas communiquées et c’est une infraction violente contre les fondamentaux du procès équitable et contre le code d’éthique qui devrait être la Bible de la procédure devant ladite commission. Ayant rappelé cela, on a demandé au secrétaire général, lui-même, de se déporter parce que son impartialité est prise à défaut ; en tant que juge de l’opportunité des poursuites, c’est lui qui décide si on doit ouvrir une enquête contre quelqu’un ou pas. C’est lui qui désigne le rapporteur contre cette personne. C’est lui qui reçoit le rapport déposé par le rapporteur. C’est lui qui, enfin, convoque la session de la commission. Ce monsieur se trouve, lui-même, cité comme témoin par l’une des personnes qui nous accusent, dans un procès qui lui est intenté par un des professeurs pour atteinte à l’honneur et à la dignité devant les juridictions répressives au Bénin. Il est cité comme témoin contre l’une des personnes qu’il poursuit », a relaté Me Sossah.
Pour les avocats, ces professeurs de droit, sur qui pèsent ces allégations, ne sauraient être complices de violations de droits ; ce qu’ils enseignent à leurs étudiants.
« C’est la raison pour laquelle, devant cette forfaiture, ils ont dit non. Ils ne peuvent pas participer à ça et c’est la raison pour laquelle, ils ont choisi de ne pas prendre part à la session de la commission d’éthique ; parce que le règlement intérieur qui a été sorti de nulle part, en secret par le secrétaire général, d’abord, viole un principe fondamental du droit administratif. Un acte administratif n’a aucune valeur (ou en tout cas, ne peut être en vigueur) tant qu’il n’a pas été publié. Or, le règlement intérieur qui a été produit par le secrétaire général, à quelques heures de la comparution des gens qu’il a fait citer, était confidentiel jusqu’à ce moment-là. On nous dit qu’il a été élaboré le 21 janvier 2019, il ne porte que la seule signature du secrétaire général lui-même. On ne sait qui et comment ce document a été élaboré », dénoncent Me Eric Emmanuel Sossah et ses confrères.
- Me Eric Emmanuel Sossah (barreau du Togo) avec à sa droite, Me Séraphin Somé et Me Guy Hervé Kam (à sa gauche) barreau du Burkina
« Ce dont il est question, c’est moins la carrière que leur honneur »
De leur avis, ce règlement intérieur comporte des dispositions qui sont des violations flagrantes et totales du code d’éthique et de déontologie lui-même. Selon leurs explications, le secrétaire général du CAMES a inventé des possibilités de nommer des sous-commissions, alors que le code impose qu’on nomme un rapporteur. « C’est une irrégularité grave », tient Me Sossah, ajoutant que, contrairement à une certaine information diffusée sur le sujet, les professeurs mis en cause « n’ont pas déserté l’instance » (ils ont quitté la salle pour des raisons techniques et précises).
Me Séraphin Somé, lui, précise que le règlement intérieur est clair sur la procédure à suivre pour faire citer des enseignants soupçonnés d’avoir commis des manquements aux règles d’éthique et de déontologie. « (…). Comment une enquête se fait ? On entend toutes les parties, on se fait produire l’ensemble des pièces intéressant la procédure, on entend la personne mise en cause au moins. Mais, dans notre affaire, les personnes mises en cause n’ont jamais été entendues par celui-là qui devait être considéré comme un rapporteur. Jamais. Ensuite, l’article 30 du code dit précisément que la personne mise en cause a le droit d’avoir le dossier, de le consulter. C’est un minimum. Vous conviendrez avec moi qu’on ne peut pas vous passer devant une instance disciplinaire sans que vous ne sachiez ce que X ou Y a dit, quelles sont les pièces sur lesquelles l’accusation se fonde. Ce code conclut en disant que la personne mise en cause a le droit d’être assistée d’un conseil de son choix. Alors, ce qui est critiqué dans cette affaire, ce n’est pas que des professeurs agrégés soient traduits devant une instance disciplinaire (ils sont justiciables comme tout le monde) ; c’est le fait qu’on ait méconnu le minimum de droit qui devait être observé. Et ce règlement intérieur censé être signé le 21 janvier (2019), nos clients n’ont jamais su son existence. Ce n’est qu’à la veille, soit la nuit du 15 avril, aux environs de 22 heures, qu’ils ont reçu par courrier électronique, ce règlement intérieur. Lorsque nous avions lu le règlement intérieur, nous nous sommes rendu compte qu’il restreint de manière drastique, non seulement les droits des personnes mises en cause, mais aussi les droits des conseils. Pourquoi nous le disons ? Le règlement intérieur dit que lorsque le plaignant est entendu par la commission, la personne mise en cause n’assiste pas (elle n’est pas présente). C’est quand même curieux ; quelqu’un se plaint contre vous, mais au moment où il est entendu, vous ne savez même pas ce qu’il dit. Donc, non seulement vous n’avez pas le contenu du dossier, mais le jour où on doit vous juger, vous n’entendez pas ce que celui qui se plaint dit sur l’affaire. Les témoins, eux aussi déposent hors la présence de la personne mise en cause. Nous n’avons jamais vu ça. Et c’est dans ces circonstances que nous nous sommes retrouvés le 16 avril (2019). La session a commencé aux environs de 9 h et ce n’est qu’à midi que nous avons été appelés, sans savoir ce que ceux qui nous ont devancés ont dit sur le compte de nos clients. C’est ahurissant », s’est appesanti Me Séraphin Somé, s’interrogeant sur les motivations de telles pratiques dans une institution responsable qu’est le CAMES. Pour lui, le minimum, c’est l’acceptation des droits de la défense et le principe du contradictoire. Dans un tel contexte, poursuit-il, et pour ses clients, rester dans la salle, c’est se rendre complice de la « forfaiture ».
Pour Me Guy Hervé Kam, ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est l’enjeu de la crédibilité de l’enseignement supérieur dans l’espace concerné (CAMES). « On dit d’un professeur qu’il a plagié des publications. C’est très grave. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir d’accusations plus graves. Mais on ne nous dit pas qu’est-ce qu’il a plagié. On ne lui dit pas dans l’ouvrage qu’il aurait plagié, quels sont les éléments du plagiat. Et c’est à lui de demander pour savoir exactement sans qu’on ne veuille lui dire. Je vais vous lire une partie d’une citation : ‘’La commission voudrait vous entendre sur votre implication supposée dans les pratiques de promotion d’enseignants, fondées sur le relationnel et la complaisance et non sur le strict mérite professionnel comme cela semble apparaître à la suite d’une enquête menée par la commission d’éthique et de déontologie ». Comment pouvez-vous défendre sur un fait comme celui-là ? Il n’y a pas de fait, en réalité. Qu’on vous dise que vous avez assuré la promotion de telle personne à l’occasion de telle session sur la base du relationnel et là, vous vous défendez », s’insurge Me Kam, relevant que ces allégations sont simplement celles de candidats recalés à l’agrégation qui cherchent des boucs-émissaires.
Il arrive donc à la conclusion que, si on ne peut douter de la crédibilité du CAMES, on peut cependant se demander si ses responsables ne sont pas en train d’utiliser l’institution à des fins personnelles. « Peut-être que si ces professeurs sont suspendus, ceux qui se plaignent avanceront. Peut-être. Mais, l’enseignement supérieur africain ne peut pas se satisfaire d’une telle comédie », soulève Me Kam avant de préciser que « ce dont il est question, c’est moins la carrière de ces personnes mises en cause, que leur honneur ».
Pour mémoire, le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) est l’organe régulateur et l’instance normative des règles qui gouvernement la délivrance des diplômes et les conditions dans lesquelles, les membres de l’académie sont sélectionnés et positionnés dans leurs différentes situations hiérarchiques.
O.L
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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