En sa séance du 20 mars 2019, le Conseil des ministres a décidé, au titre du ministère de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales, de l’adoption d’un projet de loi d’orientation portant modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales du Burkina Faso. Selon le gouvernement, « ce projet de loi définit les orientations permettant de doter les langues nationales de notre pays de statuts plus valorisants, propices à la dynamique du développement durable et respectueux des principes du multilinguisme et du multiculturalisme qui ont toujours caractérisé le Burkina Faso ». Cette mesure est saluée par l’auteur de la réflexion ci-dessous, qui s’en explique.
Cet article est une réflexion d’un polyglotte détenteur d’un master professionnel en traduction-interprétation et un master de recherche en Acquisition des langues et Cultures Secondes et leurs méthodes d’acquisition. Ce polyglotte c’est moi.
Mon mémoire de master a porté sur l’identité linguistique et culturelle des étudiants internationaux ; donc des bilingues ou polyglottes : alors j’estime que le moment est venu de partager quelques idées avec les parlementaires burkinabè qui voteront le projet de loi d’orientation sur les modalités de promotion et d’officialisation des langues nationales du Burkina.
Je suis convaincu que nous sommes ce que sont nos langues et nous deviendrons ce que deviendront nos langues. Ma recherche sur les étudiants internationaux a démontré que les langues, de façon générale, sont des passerelles vers des systèmes de pensée, vers de nouvelles perspectives, nouvelles philosophies, et nouvelles visions. J’ai aussi découvert que l’accès aux valeurs des autres peuples ne peut être bénéfique à l’étudiant international et surtout à son pays ou communauté d’origine que s’il/elle partage toujours les valeurs clés de son peuple et arrive à contextualiser les nouvelles valeurs acquises et emportées. Il en est de même pour les lettrés africains et leur frères et sœurs illettrés.
L’échec de la plupart des projets et politiques dans les anciennes colonies est souvent dû à un problème linguistico-culturel. Pour le cas du Burkina, ou disons les pays francophones en général, le rejet de soi a été l’objectif principal de l’école coloniale. Donc l’administration était toujours vue comme une machine d’exploitation et quand les peuples colonisés avaient l’occasion de l’exploiter, ils ne s’en privaient pas. Après les indépendances, le colon est ‘’parti, » tout en prenant le soin de laisser le système. Ainsi, le comportement du peuple face au bien public demeure le même. La restauration identitaire à travers la promotion des valeurs nationales et la valorisation des langues nationales pourraient changer beaucoup de paradigmes. Le paradigme de l’intellectuel pourra changer. Le paradigme du savant pourra changer. Le paradigme du succès serra redéfini.
Bien parler le français était et demeure un critère d’intellectualité et ma conviction est qu’un changement viendra avec la promotion des langues locales. Le colonisé était obligé de bien parler la langue du colon, bien prier le Dieu du colon, et bien promouvoir toutes les politiques sociales et économiques du colon. Je me rappelle en 1994, on nous faisait porter des cranes d’ânes à l’école chaque fois qu’on parlait nos langues. Nos prénoms en langue première étaient appelés « noms botaniques » et les pratiques spiritualistes de nos parents considérées comme des pratiques diaboliques.
Je n’ai pas fréquenté l’école coloniale. Je parle ici de l’école assimilée qui continue la mission assimilationniste de l’administration coloniale. Après 59 ans d’indépendance, les paradigmes linguistiques et culturels n’ont pas changé au Burkina et dans tous les pays francophones. On trouve normal qu’un Mossi, Dagara ou Kassena ajoute des mots français ou anglais dans une phrase en dagara, mooré, ou kassena, c’est d’ailleurs une preuve d’intellectualité. Mais quand un locuteur instruit ajoute un mot dagara, mooré, ou kassena dans une phrase française ou anglaise, il est vu comme un ignorant, un moins intelligent. On juge normal qu’un instruit fasse des fautes dans sa langue maternelle, mais il est inconcevable qu’il fasse des erreurs en français. Du point de vue culturel, nous préférons cacher nos vrais prénoms spirituels pour faire valoir nos prénoms religieux : Somé K. Jean de Dieu, Ouédraogo R. Rufin, Lankoandé D. Ramata, etc.
Les francophones ont beaucoup perdu sous la colonisation et continuent de perdre le peu qui leur reste après les indépendances. Toute mesure qui vise à restaurer la dignité des peuples francophones ne peut qu’être salutaire. Je ne suis cependant pas du côté des linguistes nationalistes qui prônent le rejet complet de tout ce qui est affilié aux langues étrangères. La colonisation et les langues coloniales ont été un mal pour l’Afrique, mais si nous investissons sur les langues nationales, nos anciens colons se seront faits du tort en n’ayant pas appris nos langues. En promouvant nos langues et en les adoptant comment langues nationales, nous allons toujours avoir accès à toutes leurs valeurs et tous les systèmes de pensées du reste du monde alors que nos anciens colons n’auront plus accès aux nôtres et seront obligés de nous payer ou nous étudier pour nous comprendre.
Aujourd’hui, l’Afrique est le seul continent où chaque individu parle au moins quatre langues. Imaginez un instant que tous les pays africains adoptent des langues nationales comme langues officielles ! Tous les pays du monde seront obligés d’embaucher des jeunes polyglottes chômeurs pour leur traduire l’actualité africaine. Toutes les organisations internationales seront obligées d’embaucher des jeunes africains pour faciliter la transmission des messages des dirigeants africains. Nos savants africains jusque-là exploités, intellectuellement, par leurs propres fils et par des chercheurs étrangers, seront enfin maitres de leurs œuvres. Ces savants « illettrés » pourront finalement être auteurs de leurs savoirs et vivre de leurs philosophies, spiritualités, et connaissance de la nature. Il ne sera pas mauvais de repousser le français derrière les langues nationale dans les écoles et de l’enlever progressivement des bureaux de l’administration publique. C’est inadmissible que la fonction publique reste exclusivement réservée aux instruits (paradigme de l’intellectualité).
Je soutiens entièrement ce projet de promotion des langues premières. Je suis surtout partant pour qu’une des langues maternelles du Burkina soit la langue officielle du Burkina. Je prévois déjà la résistance des uns et des autres pour le choix d’une langue au détriment d’une autre pour en faire une langue officielle. Pour tous ceux qui seront pris dans ces raisonnements ou arguments ethnocentriques, je les invite à réfléchir sur l’enjeu économique, politique et social de ce projet et surtout les enjeux identitaires de la non-adoption d’un tel projet.
Les vrais défis identitaires nous attendent demain. Les raisons sont simples. Les communautés linguistiques burkinabè sont plus ouvertes aujourd’hui qu’hier et la probabilité que des familles ne parlent que le français dans les années à venir est très élevée. Quand un jeune Dagara de l’Ouest croise une jeune Gourmantché de l’Est à Dakar et les deux décident de s’unir pour la vie, ils n’ont aucune langue en commun que le français. S’ils fondent une famille à Dakar, leurs enfants reviendront au Burkina avec le français comme première langue et le wolof ou une autre langue sénégalaise comme deuxième langue. Une fois au Burkina, ces enfants auront une audience limitée et un champ de valeurs très restreint. Par contre, si les deux parents partagent une langue nationale apprise à l’école, ils pourront toujours parler le français, le wolof, et une langue burkinabè qui leur donnera accès à plusieurs valeurs nationales.
Je ne suis donc pas du côté de ceux qui évoquent la pluralité linguistique et le dilemme du choix d’une langue nationale au détriment d’une autre pour préférer le français comme langue officielle. Je ne suis donc pas du côté de ces assimilés qui raisonnent généralement sur le court terme en négligeant le souci identitaire de la non-promotion des langues nationales. Je ne rejette aucune langue parce que je suis convaincu que chaque langue est un pont vers un système de pensée, une projection de la vie et une certaine organisation sociale. Je suis tout simplement un aculturé qui puise ses valeurs de plusieurs cultures pour améliorer sa culture, un aculturé qui croit que l’adoption d’une langue nationale comme langue officielle aidera à démystifier certains mythes coloniaux et prévenir une crise identitaire. Ce projet mérite une attention particulière et ne doit pas être uniquement analysé sur le plan linguistique. Il a une dimension politique et économique aussi importante que sa dimension sociale.
Somé Kountiala Jean de Dieu
Traducteur-Interprète
Bénéficiaire du programme américain Fulbright
Master en Acquisition des langues et Cultures Secondes et leurs méthodes d’acquisition
University of Southern Indiana
Email : jeandedieusome87@yahoo.com
Source: LeFaso.net
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