L’interview accordée par le président du Faso, Roch Kaboré, à la chaine allemande Deutsche Welle, en marge de sa visite en Allemagne (20 et 21 février 2019), a été passée au peigne fin par l’opposition politique au cours de sa conférence de presse hebdomadaire, ce mardi, 26 février 2019 à Ouagadougou. Cette sortie a aussi abordé des sujets relatifs à la crise sécuritaire, à la fermeture des écoles et au cinquantenaire du FESPACO.

Cette semaine, la charge est revenue au président de l’Union pour la renaissance démocratique/Mouvement sankariste (URD/MS), Alphonse-Marie Ouédraogo et au premier responsable du Front patriotique pour le renouveau (FPR), Dr Aristide Ouédraogo, de scruter les préoccupations arrêtées par l’opposition politique, regroupée au sein du Chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso (CFOP-BF).

Le point sur l’interview du président du Faso à la chaine allemande, Deutsche Welle, a été le plus sollicité de ce rendez-vous. Les conférenciers sont partis d’extraits de l’interview, par lesquels ils ont bâti leur analyse. « Le Burkina Faso a bénéficié de la paix sociale pendant des années parce que, quelque part, nous avions un deal qui était là », ont-ils relevé de ladite interview du président Roch Kaboré.

Les conférenciers ont ensuite noté que le président du Faso a affirmé (au cours de la même sortie) que des leaders terroristes sont venus chez lui pour réclamer des voitures qu’ils avaient commandées à l’ex-président. Qualifiant ces informations de « graves », les représentants du CFOP-BF ont émis des questionnements.

« D’abord, quand le régime de Blaise Compaoré pactisait avec les terroristes, quel rôle exact a-t-il joué, lui, à l’époque président du parti au pouvoir (le CDP), président de l’Assemblée nationale ou Premier ministre ? A défaut d’une réponse clairement assortie de preuves, nous nous demandons si le président Kaboré n’était pas complice des terroristes à l’époque des faits, au même titre que ceux qu’il accuse. Ensuite, quand le Président du Faso confirme que des terroristes sont venus le voir, discuter et repartir paisiblement, c’est absurde et révoltant. En effet, au nom de quel deal le Président Kaboré a pu permettre à des terroristes qui ont massacré des Burkinabè et des Africains de venir à Kosyam (palais présidentiel, ndlr) et de repartir sans être arrêtés ? Enfin, cette déclaration à l’étranger ne sonne-t-elle pas comme un aveu d’impuissance et une violation de la souveraineté nationale ? Imaginons-nous Angela Merkel (chancelière allemande) venir déballer des informations sensibles de l’Allemagne au détour d’une interview à la RTB (Radio-télévision nationale du Burkina, ndlr) ? », ont se sont interrogé les conférenciers à travers la déclaration liminaire. L’opposition dit attendre des réponses du président du Faso sur ces préoccupations. « Déjà, nous disons que si le Président Kaboré sait qui nous attaque, qu’il envoie le chercher, le juger, le condamner, pour que les attaques cessent », ont-ils suggéré.

Des propos en contradiction avec l’appel à la cohésion sociale du Premier ministre ?

A la question de savoir, si cette sortie contraste d’avec l’appel à l’unité, à la cohésion sociale et à la réconciliation prônées par le Premier ministre, les animateurs de la conférence estiment que la question de la réconciliation doit dépasser le cadre des individus et ne doit pas être reléguée au second point.

« Même si la déclaration du président du Faso, dans son interview, semble être aux antipodes de ce que le Premier ministre a eu également à lancer lors de sa Déclaration de politique générale, sur le point précis de la réconciliation nationale, pour nous, opposition politique, nous y croyons toujours. Nous pensons qu’il est vraiment important de pouvoir effectivement permettre au pays d’avancer dans ce sens. Mais, il est également important de souligner que la question de la réconciliation nationale ne tourne pas (ou du moins, ne va pas tourner) autour de la personne du président Blaise Compaoré. C’est une question éminemment nationale qui dépasse les questions individuelles ; ce n’est pas intimement lié à la question du président Blaise Compaoré », a réagi le président du FPR, Dr Aristide Ouédraogo.

Alphonse-Marie Ouédraogo (au micro.), principal animateur de la conférence et Dr Aristide Ouédraogo

De l’avis de ce dernier, le Burkina doit avancer sur la logique de fonctionner de ses institutions. « Il sera extrêmement difficile qu’un certain nombre de citoyens passent le temps à pointer du doigt d’autres citoyens, en voulant exprimer à tout moment que ce sont eux qui ont fait ceci ou cela. Par contre, si ceux qui pointent du doigt estiment qu’ils n’ont pratiquement rien à se reprocher, c’est assez difficile. Il faudrait que chacun puisse assumer ses responsabilités. Et au-delà de cela, il est extrêmement important de savoir dans ce pays, lorsque le président du Faso estime que c’est le président Compaoré qui semble être fortement derrière ce qui se passe, quelles sont les actions qui ont été menées par les institutions, sur la base de l’impulsion de l’exécutif, pour permettre à ceux qui sont mis en cause de pouvoir venir répondre ? L’opposition politique estime également qu’à ce niveau, il y a matière à redire. C’est facile de passer le temps à pointer du doigt les autres, en voulant se dédouaner ou se laver, en estimant qu’on n’a absolument rien à se reprocher. Nous, nous demandons de ne pas manipuler psychologiquement le peuple ; parce que si cela ne relève pas d’une tentative psychologique du peuple, on se pose également des questions. Il est important qu’on puisse s’assumer, permettre aux institutions de fonctionner correctement. C’est cela qui permettra au Burkina Faso de devenir un grand pays. Si les Burkinabè ne sont pas réconciliés avec eux-mêmes, que ce soit aujourd’hui ou demain, la nation ne pourra pas avancer », s’est appesanti Aristide Ouédraogo.

Alphonse-Marie Ouédraogo, lui, précise également que pour l’opposition, la réconciliation nationale ne se fait pas en occultant la question de la vérité et de la justice. « On est d’accord pour la réconciliation, il y a des actes que les gens posent aussi de façon sélective. Or, il fallait simplement dire : ce que nous savons de cette affaire doit nécessairement faire l’objet de justice. Si justice il y a, la réconciliation est totalement possible. Maintenant, si c’est juste pour informer les gens de la vérité ; la vérité aussi, il y a beaucoup de dossiers sur lesquels on attend et on ne sait absolument pas ce qui se passe », a soulevé le président de l’URD/MS.

L’opposition se félicite !

L’actualité relative à l’annonce de la réouverture des écoles dans les zones menacées par l’insécurité a été saluée par l’opposition. « Nous nous en félicitons, car notre cri du cœur a été entendu. En effet, il vous souviendra qu’au point de presse du 22 janvier 2019, nous disions ceci : le gouvernement, les collectivités territoriales et l’association des parents d’élèves doivent se concerter et trouver au plus vite une solution pour arrêter l’hémorragie. Nous pensons que ces entités peuvent trouver des solutions endogènes et durables, qui correspondent à la réalité de chaque localité concernée », ont rappelé les conférenciers.

En plus de ce qu’elle dit avoir proposé, l’opposition suggère une « restauration de l’Etat » (beaucoup d’élus locaux et d’autorités administratives ayant été contraints d’abandonner des localités), un « retour des populations déplacées » (il ne servira pas à grand-chose de reconstruire une école incendiée si les élèves et leurs parents ont fui la localité) et un « dialogue » avec tous les acteurs de chaque localité.

L’actualité de la 26ème édition du FESPACO n’a pas échappé aux projecteurs du CFOP-BF. « La culture, l’art et le tourisme sont très utiles, surtout dans la situation que traverse notre pays. Non seulement, ils servent à éveiller les consciences, à sensibiliser et à rassembler, mais ils sont aussi des boucliers permettant d’assurer la résilience du peuple », ont exprimé les conférenciers, qui saluent par la même occasion, les trois films burkinabè à la compétition pour l’Etalon d’or de Yennega (Desrances de Apolline Traoré ; Duga les charognards de Hervé Eric Lengani ; Hakilitan de Issiaka Konaté).

Tout en rendant hommage aux pionniers et au comité d’organisation, le CFOP-BF a souhaité que cette édition, qui coïncide avec le cinquantenaire du festival, serve également de cadre de projection du FESPACO et du cinéma burkinabè vers l’avenir.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net