Le Cadre « Veille 2019 » est regroupement de partis, d’organisations de la société civile, d’activistes et de blogueurs. Mis en place pour « réfléchir et échanger sur les mutations de la démocratie représentative », il se prononce dans la déclaration ci-après, sur la situation nationale.

Les membres du Cadre de réflexion et d’échanges « VEILLE 2019 » se sont retrouvés le lundi 18 février 2019 à partir de 18 heures pour se concerter sur la situation nationale et internationale. Ils ont évalué les points de leur Déclaration conjointe du 4 janvier 2019 avant d’entamer les sujets du jour.

I. EVALUATION DES POINTS DE LA DECLARATION CONJOINTE DU 4 JANVIER 2019

Les membres du cadre ont tout d’abord relevé la pertinence des points de leur Déclaration conjointe du 4 janvier 2019. Ils y avaient demandé la mise en place d’une commission d’enquête pour les évènements tragiques de Yirgou et d’un comité citoyen de surveillance de l’Etat d’urgence décrété le 31 décembre 2018.

Lorsqu’il y a mort d’homme par le faute d’un tiers, il est de principe que des enquêtes judiciaires soient menées afin d’en déterminer les conditions et situer les responsabilités pour que les sanctions soient prises. La mise en place d’une commission d’enquête répond au souci de mener des investigations appropriées.

Dans le cas des évènements tragiques de Yirgou, la justice n’a pas réagi avec toute la promptitude que requérait la gravité de la situation. Le Cadre « VEILLE 2019 » espère qu’elle fera procéder aux investigations qui s’imposent par une commission spéciale afin de rendre justice aux victimes dont le nombre exact demeure inconnu à ce jour.

A la suite des attaques terroristes du 4 février 2019 à Banh, localité couverte par l’Etat d’urgence décrété le 31 décembre 2018, les Forces de défense ont mené une contre-attaque qui s’est soldée officiellement par la neutralisation de 146 bandits armés. Des voies se sont élevées pour condamner des atteintes aux droits et des exécutions sommaires des populations civiles innocentes par les Forces de défense.

Or, dans sa déclaration précédente du 4 janier2019, le Cadre « VEILLE 2019 » avait justement recommandé la mise en place d’un comité citoyen de surveillance de l’Etat d’urgence institué, se fondant sur l’argument que la surveillance de la période aurait pour effet de protéger les forces de l’ordre contre les accusations infondées d’exactions à l’endroit des populations, accusations qui ne manquent pas déjà en période normale, et en retour de rassurer les populations sur la présence apaisante d’un regard civil impartial.

Force est de reconnaitre que les inquiétudes du Cadre « VEILLE 2019 » étaient avérées au regard des accusations d’exactions qui circulent.

Aujourd’hui, il revient à l’autorité compétente de lever tout doute sur le statut malveillant ou non des personnes neutralisées par les Forces de défense parce que l’Etat de droit a ses règles et l’Etat d’urgence n’est pas le lieu du non-droit. Cette diligence est d’autant plus importante que les caractéristiques des infractions ici alléguées leur confèrent une qualification internationale comportant des obligations pour l’Etat. Ces obligations à la charge de l’Etat n’excluent nullement les efforts, du reste louables, d’organisations ou de personnalités de la société civile pour interpeller des partenaires et bonnes volontés internationales dans le cadre des enquêtes indispensables, compte tenu de la nature invoquée des infractions.

II. ANALYSE DE L’ACTUALITE NATIONALE

Les membres du Cadre « VEILLE 2019 » ont fait le tour de la situation sociopolitique nationale en ce début de l’année 2019. Ils ont relevé malheureusement que toutes les grandes questions de fond de l’année 2018 demeurent en l’état, voire par endroits aggravées.

1. La question sécuritaire

Le Nord et l’Est du pays, essentiellement, sont en proie à des attaques terroristes récurrentes. Sur le plan administratif, cette insécurité a eu pour effet la fermeture de beaucoup d’établissements scolaires et services publics, et le repli des agents publics sur les localités plus sécurisées. Cette défection a permis au terrorisme de gagner du terrain et de conforter ses positions dans certaines zones abandonnées par l’administration d’Etat.

Sur le plan social, l’insécurité a causé l’arrêt des activités économiques et le déplacement des populations dont des milliers d’élèves, rendant la situation humanitaire du pays très préoccupante. Pour la première fois dans l’histoire du Burkina Faso, le pays se trouve face à des déplacements internes massifs. En l’espace d’un mois et demi allant de mi-décembre à début février, le nombre des déplacés à l’interne a doublé. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires pense que 1,2 million de personnes sont concernées en raison de l’insécurité dans le Nord et l’Est du pays.

Cela a conduit la coordinatrice résidente des Nations unies au Burkina Faso, Madame Metsi Makhetha, à tirer la sonnette d’alarme à la mi-février, pour alerter l’opinion publique nationale et internationale sur la situation humanitaire critique que traverse le pays afin de circonscrire cette crise humanitaire pour qu’elle ne prenne une ampleur incontrôlable.

Certes, le Burkina Faso vient de prendre la tête du G5 Sahel pour un mandat d’un an, ce qui augure de prime abord un renforcement des actions contre le terrorisme dans notre pays, avec le concours de cette force militaire. Cependant, les déclarations du Général Hanena Ould Sidi, commandant de la force G5 Sahel dans le quotidien Le Pays du 4 février 2019 n’incitent pas à l’optimisme sur la question : « Il n’y a pas d’attaque terroriste dans les fuseaux où la force conjointe a travaillé. Au Burkina, les actes terroristes se déroulent en dehors de la zone d’actions de la Force conjointe. Nous sommes en train d’étudier les moyens les mieux adaptés, plus pertinents, pour une coopération plus forte et plus accentuée entre les forces armées et de sécurité et la Force conjointe ainsi qu’avec Barkhane. ».

Aussi, sauf au Président Kaboré de trouver les moyens urgents de réaliser cette « coopération plus forte et plus accentuée » au cours de son mandat à la tête de G 5 Sahel, il faudra bien se rendre à l’évidence que la solution à la lutte contre le terrorisme demeurera essentiellement, sinon exclusivement, endogène.

L’Etat Burkinabè doit se donner les moyens de cette lutte contre le terrorisme, et il y a urgence en cela.

2. La problématique de la cohésion sociale

La question de l’identité nationale est fondamentale pour l’unité d’action des populations face aux épreuves que vit un pays. L’identité est un puissant motif de rassemblement, mais aussi un redoutable facteur de division.

La cohésion sociale est le ferment de cette identité nationale, la condition de l’unité du peuple face aux questions structurelles qui se posent, dont la lutte contre le terrorisme pour ce qui nous concerne. Malheureusement, les Burkinabè sont divisés pour des raisons qu’il faut se garder de schématiser, parce que la réalité est infiniment plus complexe, sans qu’il soit nécessaire de la rappeler à travers ces lignes.

Ensuite l’incivisme et la violence verbale, avec notamment les fatwas d’apatridie, phénomènes rarissimes, sinon inexistants en d’autres époques, gagnent du terrain dans les rues et les lieux publics de notre pays.

Enfin, les tueries de Yirgou ont eu pour entre autres effet de poser le problème de la difficile cohabitation entre certaines communautés du Burkina Faso, au moment même où devrait prévaloir l’unité pour la lutte contre l’insécurité et la pauvreté.

La gravité de la déchirure nationale est telle qu’au cours de son Discours de politique générale tenu le lundi 18 février 2019 à l’Assemblée nationale, le Premier ministre Christophe Dabiré a fondu en larmes du haut de la tribune. L’on peut dire sans se tromper qu’il a pris la mesure de la situation dont la gravité n’échappe à personne. La réalisation des priorités que le Premier ministre Christophe Dabiré a déclinées à l’occasion sont toutes conditionnées par l’une d’entre elles, la réconciliation nationale.

Si la réconciliation des Burkinabè, sans rétentions mesquines, est de nos jours une nécessité de plus en plus reconnue par la majorité des Burkinabè, les voies et moyens divergent pour y parvenir. Le Premier ministre a certes déclaré dans son DPG du lundi 18 février 2019 la volonté de son gouvernement d’œuvrer pour la réconciliation nationale.

Mais on le sait, c’est le Président du Faso qui a la responsabilité de l’unité nationale, laquelle a pour pendant la réconciliation nationale. Or, à ce jour, il lui a manqué la volonté politique d’engager le pays sur le chemin de la réconciliation, ce qui peut se comprendre soit comme une incapacité du pouvoir MPP de se défaire de l’esprit insurrectionnel et de la pression des zélateurs de l’exclusion d’une partie des Burkinabè de la gestion des affaires publiques, soit comme une volonté de capitalisation politique et électorale de ce pouvoir d’actionner les mécanismes de la réconciliation.

Faute de se départir de cet esprit clanique et partisan, toute déclaration de réconciliation nationale restera un vœu pieux, parce que sa mise en œuvre nécessite l’existence d’une stratégie nationale concertée en direction des acteurs politiques et sociaux pour la tenue d’une convention d’entente nationale. Du chemin reste donc à faire à l’orée des élections générales de 2020.

III. INCONNUES DE L’HORIZON 2020

Les élections générales sont prévues pour 2020 et la classe politique s’attèle aux préparatifs. Mais les préoccupations soulevées ci-dessus incitent le Cadre « VEILLE 2019 » au doute quant à leur bonne tenue.

En effet, le manque de cohésion sociale n’est pas de nature à permettre des élections apaisées et inclusives en 2020. Le risque de crise post-électorale demeure élevé, encore que le consensus reste introuvable au sujet du Code électoral et de ses instruments de mise en œuvre.

Ensuite, et surtout, de bonnes portions du territoire nationale restent sinon occupées, désertées, alors que la situation sécuritaire d’ensemble et ses conséquences humanitaires ne permettront sans doute pas l’organisation des élections régulières et paisibles sur l’ensemble du territoire national.

L’on comprend donc les doutes grandissants sur la possibilité et même l’opportunité de la tenue de ces consultations sans le préalable de certaines mesures d’apaisement et d’assainissement d’une part et les déclarations encore plus tranchées de ces acteurs sociopolitiques qui préconisent l’instauration d’une transition politique et structurelle impliquant le report des élections de 2020 afin d’engager les réformes de fonds indispensables cette fois- ci, à une relance démocratique durable sans héritage entravant, d’autre part.

La classe politique, et au-delà les Burkinabé dans leur entièreté, ont le devoir de sortir le Burkina Faso de cette situation de façon concertée et objective. Cela est une question de responsabilité et de patriotisme.

Avant de se séparer, les membres du Cadre « VEILLE 2019 » ont échangé sur des points inscrits en divers.

Ils se sont félicité de ce que le Secrétaire général des Nations Unies se préoccupe de l’état des droits de l’Homme à la veille des élections, en souhaitant que pour mieux se prémunir des écueils du passé, il soit accordé plus d’attention à la réconciliation nationale intégrant le retour des exilés pour favoriser la lutte contre l’insécurité.

Ils ont enfin apprécié favorablement la demande nationale de pardon du M21, de même que son ralliement à la cause de la réconciliation des Burkinabè par la voie de la justice transitionnelle qui a toujours été demandée individuellement ou collectivement par les membres du Cadre « VEILLE 2019 ».

La rencontre a pris fin aux environs de 19 heures 30 minutes.

Que Dieu Bénisse le Faso !

Ouagadougou, le 21 février 2019

SIGNATAIRES DE LA DECLARATION CONJOINTE

1. AU TITRE DES PARTIS POLITIQUES

Maitre Hermann Yaméogo

L’UNION NATIONALE POUR LA DEMOCRATIE

ET LE DEVELOPPEMENT (UNDD)

Amadou Traoré

LES REPUBLICAINS (LR)

François Kaboré

LE RASSEMBLEMENT POUR UN SURSAUT

REPUBLICAIN (RSR)

2. AU TITRE DES OSC, ACTIVISTES BLOGGUEURS

Jean Pierre Savadogo

Ligue Inter-Africaine pour la Transparence

Démocratique (LIA/TD)

Sidiki Dermé

Association pour l’Emergence d’une Culture

de Citoyenneté (AECC)

Samadou Ouédraogo

Association Jeunesse pour le Développement

au Burkina Faso (AJDB)

Siya Koudougou

Fédération des associations des Burkinabè de Côte d’Ivoire (FEDABCI)

Moumini Boly, Activiste Bloggeur

Goomtinga Dakouré, Activiste Bloggeur

Ousséni Fayçal Nanéma

Source: LeFaso.net