Il est bien connu dans le monde du cinéma burkinabè. Etalon de Yennenga en 1997 avec son film « Buud Yam », Gaston Kaboré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un scénariste, réalisateur et producteur. Depuis 1976, il a toujours pris part activement au FESPACO en occupant des fonctions telles que directeur de cinéma, membre du comité d’organisation, président de commission ou membre du jury. Dans cette interview, Gaston Kaboré fait un bilan des 50 ans du cinéma africain de manière générale et celui du Burkina Faso, en particulier. Il fait aussi quelques propsitions pour le développement du cinéma burkinabè.

LeFaso.net : Le FESPACO commémore son cinquantenaire. Quel bilan peut-on faire des 50 ans du cinéma africain ?

Gaston Kaboré : On peut dire que ce sont les 50 ans pendant lesquels l’Afrique a essayé de se raconter au travers des voix, du regard, de la conscience et de la perception d’un grand nombre de cinéastes (femmes et hommes, jeunes et moins, pionniers et nouvelle génération). Je dirai que c’est 50 années de récit, d’affirmation, d’une conscience d’être des Africains, parce que c’est en cela que le cinéma est important ; c’est notre façon de dialoguer avec notre propre image.

Donc, c’est très important de pouvoir célébrer 50 années de création, de confrontation des œuvres, de rencontres, d’échanges entre les professionnels et les observateurs sur les problématiques qui handicapent le développement du cinéma et de l’audiovisuel sur notre continent.

Pendant longtemps, le cinéma africain était étranger sur son propre sol. Nous faisons nos films, mais ils avaient du mal à accéder aux écrans parce que c’était organisé pour être exporté. Nos publics également étaient captifs, car ils étaient habitués à consommer des histoires venues d’ailleurs qui a façonné leur regard sur le monde et leur goût sur un certain type d’histoire.

Heureusement, le FESPACO a démontré qu’en réalité, les spectateurs africains étaient capables d’aller vers une autre chose. C’est en cela que depuis 1964, le FESPACO a été cet endroit où tous les métiers qui entrent dans la fabrication du film et toutes les personnes qui parlent du cinéma ou qui en vivent de manière générale ont pris l’habitude de se rencontrer ici pour parler du devenir du cinéma africain.

Il y a des aspects sur lesquels jusqu’à présent, les résultats sont mineurs. Il faut continuer le combat, et je pense que cette célébration des 50 ans consistera à faire le bilan tout à fait lucide, avec plein de discernement que de voir les acquis, et poser les questions sur comment dépasser les blocages qui ont eu lieu.

En 25 éditions, le Burkina Faso n’a remporté que deux fois l’Etalon de Yennenga. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela ?

C’est un festival dont le prestige est important aux yeux des Africains Donc, chaque pays veut avoir le plus grand nombre de l’Etalon de Yennenga possible. Il y a très peu de pays qui l’ont eu deux fois. Il y a le Mali qui l’a remporté trois fois dont deux avec Souleymane Cissé et un avec Cheick Oumar Sissoko. C’est le mystère des jurys qui sont composés de différentes personnes indépendantes du point de vue de jugement et qui ont, selon le FESPACO, la capacité nécessaire pour que leurs avis puissent faire ‘’autorité ».

Si on vous refait visionner tous les films qui ont remporté l’Etalon de Yennenga, vous verrez que ce sont des films qui ont une certaine densité du point de vue de leur réalisation et mise en scène. C’est pour dire que le festival a intérêt à ce qu’à chaque fois, ce soit des films de valeur professionnelle non discutable qui remportent l’Etalon.

Ceci étant, les goûts et les couleurs, ça peut toujours se discuter, et c’est pour cela que chaque film en compétition vient avec l’espoir légitime d’être primé. Depuis que je suis au FESPACO en 1976, je n’ai jamais entendu trop de contestations.

Je crois qu’on ne peut pas dire que les Burkinabè ont tort de vouloir un troisième Etalon et de continuer à en avoir. Pensez-vous sérieux que tous les quatre ans, le Burkina s’attribue l’Etalon ? Non ! C’est une compétition très ouverte où chacun a sa chance. Quand il y a 19 films, c’est une chance sur les 19 d’avoir l’Etalon.

Il faut aussi savoir que beaucoup de films ont été présentés en compétition dans les sélections du festival, qui n’ont pas eu cette reconnaissance suprême pourtant ce sont des films excellents qui ont connu une carrière extraordinaire. Tout ne peut pas se résumer par l’obtention d’un prix. Je pense qu’un festival est un lieu de rencontre, de découverte, d’histoire, de talent, de forme nouvelle, d’esthétique, de style. Et c’est ça qui est le plus important.


L’espoir est-il permis de remporter d’autres Etalon pour les éditions à venir ?

Oui ! Un espoir sur 18 ou 19 films en compétition donc c’est déjà pas mal. Ce n’est pas une chance sur un million.

Mais je souhaite fortement que les films burkinabè sortent du lot et soient distingués.

Selon vous, actuellement, le cinéma burkinabè souffre de quels problèmes ?

Il y a des problèmes de financement. Très certainement, il y a le problème de capacité structurelle du cinéma national, parce qu’ il nous faut augmenter le niveau de la formation, mettre un mécanisme de soutien à la production. Il faut qu’on s’occupe de la promotion pour permettre aux producteurs, réalisateurs, techniciens et comédiens d’aller ailleurs pour représenter notre cinéma.

Il faut aussi que la culture cinématographique se développe à l’intérieur de notre pays. Que dire du nombre de nos salles qui s’est réduit relativement ? Sans salle de cinéma, il n’y a pas de secteur cinématographique. Il nous faut nous réarmer pour construire des salles de cinéma. En plus, le cinéma n’est pas une chose futile ; c’est un besoin vital pour les Africains.

Le cinéma burkinabè, à l’instar de beaucoup d’autres, a ces problèmes structurels, la non-organisation du domaine, une législation encore embryonnaire, une règlementation pas stimulante pour le développement du secteur.

Toutefois, il n’y a pas de quoi être pessimiste, car il y a quand même des atouts. Un, nous avons un public qui aime aller au cinéma et ce même public a été l’enracinement capital du FESPACO dans notre pays. En deuxième lieu, nous avons malgré tout, des créateurs qui ont des compétences avérées et dans un contexte où il y aurait plus d’accès aux sources de financement ou au financement national, il y aura plus en plus de films qui se feront et quand même, c’est de la quantité aussi que nait la qualité.

En troisième lieu, nous sommes perçus comme la capitale du cinéma, donc il faut qu’on se batte pour développer une vraie culture de cinéma. Depuis des années, je milite pour l’introduction du cinéma à l’école primaire, au collège, au lycée et à l’université, parce que c’est un langage, une syntaxe comme la syntaxe grammaticale que nous avons apprise de l’anglais ou de nos propres langues ici à l’intérieur du pays.


Vous faites partie de l’ancienne génération de réalisateurs. Vous avez même obtenu un Etalon d’or de Yennenga avec votre film « Wend-Kuuni ». Avec votre œil de sage, quel regard critique sur la nouvelle génération montante de réalisateurs ?

Je pense qu’elle a besoin de se faire les dents en produisant plus. Fort heureusement, avec les nouvelles technologies, il y a une démocratisation de l’accès à la production de films. Cette plus grande facilité ne doit pas faire penser qu’il ne faut pas travailler. Aujourd’hui tout le monde a une caméra. Dans la poche tous nos téléphones portables sont susceptibles d’être utilisés pour convaincre le monde entier.

Mais, il faut beaucoup travailler. Le talent, c’est ce qui est donné aux gens qui travaillent. Si vous attendez que le talent vous descende du ciel, il ne descendra jamais. Par contre, si tous les jours vous racontez une histoire, vous la filmez, vous regardez, vous critiquez, petit à petit, vous posséderez de mieux en mieux le langage.

Le cinéma est un langage qui est fait pour raconter des histoires, pour passer de l’information, de l’émotion. Quand on va au cinéma, vous remarquez vous-même en tant que spectateur, que votre intellect travaille énormément mais aussi votre affect, le côté émotionnel travaille énormément. C’est ainsi que les films touchent.

Ils nous racontent des histoires réelles, concrètes de personnes qui traversent des moments difficiles de leur vie éventuellement, qui ont leurs espoirs, leurs déceptions, qui ont leur colère intérieure, leur désir, leurs envies. Voilà, ce sont toujours ces histoires qui sont racontées. De même que tout le monde n’est pas journaliste, alors que tout le monde peut être producteur de nouvelles, émetteur d’informations mais il y a des gens qui ont appris particulièrement à gérer cela pour que ça soit structuré de sorte que ça apporte une information avec les qualités qu’il faut et faire des faire des films, c’est aussi quelque chose qui a une discipline, une rigueur, un ordre. Mais même à l’intérieur de cela, il y aura toujours une grande diversité d’inspiration et de capacité de faire.

C’est une chance pour eux que les nouvelles technologies soient venues ouvrir davantage l’accès à cela. Nous ici, à Imagine, nous sommes en train de vouloir ouvrir de petits stages pour des jeunes afin qu’ils apprennent à faire des web stories. C’est-à-dire des petits films de 1 à 2mn mais qui ont une cohérence interne et qui peuvent communiquer des choses importantes. Ce n’est pas la longueur des films qui font leur valeur en termes de communication ou de de transfert d’émotion. On doit apprendre. Il n’y a pas d’âge pour apprendre.


Etes-vous confiant que cette édition sera un pari réussi au regard des défis ?

Je crois que si tout le monde y met du sien, ce n’est pas une parole facile que je dis. Le FESPACO est l’affaire de tous les burkinabè. Il ne faut pas que des gens soient assis en regardant et disent qu’on va voir ce qu’ils vont faire. Ça nous concerne tous. Si on met chacun notre bonne volonté pour accueillir déjà les étrangers, pour montrer que le Burkina demeure une terre d’hospitalité, c’est très important.

D’autre part, c’est aussi le fait que le festival en tant que tel est un outil technique qui doit réussir à gérer un certain nombre de défis, d’informer, de programmer, de monter des films dans de bonnes conditions. Il suffit d’analyser de manière très sereine chaque aspect des choses et nous voyons qu’ il y a des secteurs où nous avons quelques difficultés comme par exemple le nombre de salles de cinéma.

Cela ne se résout pas en une édition. Mais, l’avantage de cette 26e édition, c’est que nous faisons un bilan et il va falloir dès le lendemain de la clôture du festival commencer à répondre à toutes les attentes qui n’ont pas été encore comblées pour qu’à la 27e édition en 2023 probablement, les gens qui viennent puissent constater déjà des améliorations concrètes.

Je suis certain que les gens attendent beaucoup du FESPACO qui doit être capable de réarmer pour affronter 50 nouvelles années, d’histoires et de combat. Frantz Fanon a dit qu’il appartenait à chaque génération de découvrir quelle est sa mission dans une relative opacité, de l’accomplir ou de la trahir. Il n’y a pas deux choix.

C’est simplement qu’il y a des choses à faire. Certains ont commencé, nous continuons et d’autres vont prendre le flambeau et poursuivre. Vous dites que j’appartiens à l’ancienne génération, c’est beaucoup dire parce que il y a des pionniers que je respecte beaucoup. Je suis une génération passerelle entre les pionniers et les nouvelles générations.

Mais en tous les cas, Sembene Ousmane disait que la jeunesse est avant tout un état d’esprit. Nous sommes tous jeunes mais il y en a qui sont jeunes depuis plus longtemps que d’autres.


Vous dirigez les travaux de réflexion sur le FESPACO ? Que doit-on en attendre ?

Le colloque va porter sur le thème « Confronter notre mémoire et forger l’avenir d’un cinéma panafricain dans son essence, son économie et sa diversité ». Si vous prenez chacun des mots qui composent cette phrase, vous vous rendez compte que nous avons essayé de nous occuper de tous les éléments fondamentaux qui constituent à la fois l’expression, la création et l’économie du cinéma africain.

Ce sont des choses qui semblent abstraites mais en réalité, elles sont à mon avis tangibles parce que la mémoire, c’est quelque chose de primordial, donc tout ce qui a été produit jusque-là sur le continent et dans la diaspora constitue des traces du regard des Africains et des diasporas sur le monde à la fois trajectoire, historique mais aussi les empreintes de nos créations dans tous les arts possibles. Le cinéma est la synthèse de tous les autres arts en musique, en peinture, en sculpture, en textile, en stylisme.

Que dire de la poésie, de la littérature, du slam… Toutes ces choses qui sont là et qui sont le fruit d’une création qui s’est bâtie tout au long des millénaires et des siècles, nous sommes héritiers de cela. Que produisons-nous aujourd’hui à partir de ces héritages multimillénaires ? Nous produisons quelque chose que nous transmettons. Ce sont toutes ces questions que nous voudrons examiner lors du colloque. En se disant voilà comment nous devons faire pour que les films soient acceptables à la plus grande frange de la population.

Le cinéma est panafricain parce qu’il tient compte de toutes les expériences communes de tous les Africains. Mais ça ne peut se faire si on ne s’interroge pas sur son économie parce que on ne peut pas faire de film sans argent. C’est un secteur qui a besoin d’être organisé sur le plan économique et donc il faut s’interroger.

Si nous n’arrivons pas à faire cela, il ne sera pas possible de parler de développement et d’affirmation de l’existence d’une production endogène, africaine et diaspora qui est capable de dialoguer, de manière intelligente et prioritaire avec les populations. Ça résoudrait beaucoup de problèmes parce que les gens apprendraient à se connaitre dans chaque pays dans les regroupements régionaux.

Propos recueillis par Cryspin Masneang Laoundiki

Dimitri Ouédraogo

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