L’Observatoire de production et d’analyse du discours (OPAD) se propose, dans les lignes qui suivent, d’analyser la déclaration de politique générale du Premier ministre Christophe Dabiré en essayant de voir si le « bilan de santé général dressé par le médecin-chef Dabiré reflète la situation réelle du patient qu’est le Burkina ».

Dès l’annonce de l’adresse du nouveau PM, une myriade de questions traversait notre esprit. SEM Dabiré va-t-il innover ou nous servira-t-il la même recette que son prédécesseur, l’an dernier ? C’est-à-dire un discours fleuve, quoique consistant en termes d’aspects assertifs, directifs et promissifs ? On ne s’attendait certainement pas à un grand changement de fond puisque les réalités du pays n’ont véritablement pas changé de nature. En revanche, on pouvait s’attendre à une innovation formelle, avions-nous pensé.

Maintenant, la saison de formulation des hypothèses est passée, l’adresse étant déjà faite ! Comment s’y est-il pris ? Quel ton a-t-il adopté ? Par où a-t-il mis le curseur pour donner de l’originalité à cette adresse qui se veut solennelle ?

Nous nous proposons d’analyser ici la performance discursive en question et établir au besoin quelques parallèles avec celui de son devancier. Il s’agira tout d’abord de voir si ce bilan de santé général dressé par le médecin-chef Dabiré reflète la situation réelle du patient qu’est le Burkina. Il sera aussi question, pour filer la métaphore, de se demander si ses prescriptions médicales sont en adéquation avec le diagnostic fait.

Car il ne s’agit que de cela : l’hôte de marque de l’Assemblée nationale a fait ce lundi un diagnostic de la situation nationale assorti de projections, de perspectives. C’est du reste le format type de ces genres de discours. Ils s’inscrivent tous dans une double, voire une triple, perspective : assertive (état des lieux, description des réalités), mais surtout directive (orienter les actions, mettre en garde, fermeté) et promissive, (proposition de perspectives ou solutions pour endiguer les problèmes constatés).

Comme son prédécesseur, le discours de son Excellence Dabiré n’a pas dérogé à cette règle. Pour s’en convaincre, il faut noter qu’au niveau assertif, le PM a fait un état des lieux des différents départements ministériels en mentionnant les remous sociaux, la question sécuritaire entre autres. C’est donc un discours constitué de lieux communs. Ce qui est compréhensible dans la mesure où, comme nous le prévoyions, le contexte et les défis sont similaires à ceux de son prédécesseur.

Toutefois, la relative sobriété du discours du PM peut être considérée comme un élément de différenciation. Mais par-delà tout, c’est la bonne gestion des ressources de la persuasion, de l’émotion, en l’occurrence, qui est l’événement majeur. Il a su transmettre cette émotion forte qu’il vivait à son auditoire, transformant en quelques heures l’Assemblée nationale en un centre quasi-religieux.

Que ce soit à dessein ou non, c’est un fait qui ne peut pas passer inaperçu en l’occurrence. Peut-être le signe d’un profond patriotisme ? D’un PM non impassible ou sensible aux problèmes de son pays ? Il en a, à tout le moins, récolté le gain par l’appréciation de l’assistance.

Ainsi, la dynamique délibérative du discours a produit des effets positifs chez le locuteur. On peut noter que les stratégies de captation utilisées pour ce faire sont notamment la modalisation intertextuelle du discours (citations de Sankara, Ki-Zerbo, Rocard) la tonalité naturelle utilisée et la communication émotive. L’usage harmonieux du para – et du non-verbal en somme.

Convoquant Ki-Zerbo et Sankara, le PM est mû sans doute par la volonté de ratisser large, de susciter une forte adhésion à son discours d’autant qu’il les considère comme des valeurs sûres dont il faut s’inspirer. Ces éléments interdiscursifs que nous qualifions de produits médico-énonciatifs sont au locuteur ce que la balle est au soldat si l’utilisation est pertinente comme c’est le cas ici. Ce sont des autorités polyphoniques qui confèrent une autorité au discours.

Le discours du Premier ministre est profondément émaillé d’aspects directifs et promissifs. Il reste ainsi l’esprit et la lettre de l’exercice. Beaucoup d’orientations, d’actions fortes, de promesses comme en témoignent la multitude de verbes au futur, la kyrielle de verbes d’action et de verbes à l’impératif : « Veiller à, je veillerai, je m’engage, mon gouvernement s’engage, il faut impérativement… » par exemple.

Les trois citations (celles de de Ki-Zerbo, Sankara et de Rocard) sonnent toutes ici comme des directives comportementales, comme des vecteurs directeurs, pour parler en termes mathématiques, vers lesquels il souhaite s’orienter et orienter les Burkinabè pour développer le pays dans un élan collectif.

Peut-on parler de faiblesse de ce discours ? Possiblement oui. La faiblesse, si c’en est une, c’est le fait que c’est un discours politique. Un discours de politique générale, qui se caractérise, en fait, plus par sa dimension directive et promissive, c’est-à-dire qu’il s’attarde plus sur ce qu’on fera. Hors les gens veulent voir avant de croire.

C’est là le côté malaisé de l’exercice. La preuve, c’est que certains groupes parlementaires ont dit qu’ils ne donnaient pas leur confiance au PM au regard de ce que je viens d’évoquer. Donc sa faiblesse est que ce n’est pas un discours performatif dont le dire se réalise à l’instant même.

Pour finir, SEM le PM Dabiré a su utiliser le ton approprié, les éléments interdiscursifs pertinents, bref, les ressources de la persuasion et de la conviction, en général, pour partager ce qu’il compte faire à la tête du gouvernement. La particularité ou force de l’adresse réside dans le format du discours et surtout dans son rendu, dans sa performance. Mais sa valeur absolue sera mesurée à l’aune des effets perlocutoires escomptés.

Pour l’Observatoire de production et d’analyse du discours (OPAD)

Le Directeur général, Dr Jacques BARRO

Source: LeFaso.net