Avant-propos : Avec cet essai, je vais recevoir les foudres de quelques extrémistes, tribalistes, ethnicisés et communautaristes… Cela ne m’arrêtera pas. Je travaillerai avec tous ceux qui veulent donner une chance à notre projet national.

Un système politique ouvert et complexe

Le système est très compliqué en pratique mais ouvert en théorie. Toute tentative de synthèse est contestable. Néanmoins, saviez-vous qu’un Peulh a déjà été Mogho Naaba à Ouagadougou ? Eh oui, le 18e successeur de Naaba Oubri est un Peulh. Ou prenons le risque de le dire est un Moagha d’origine Peulh. Il a régné pendant 7 ans sous l’appellation de Naaba Moatiba. Comment est-ce possible ? (Les historiens ne sont pas unanimes.)Parce que Mossé comprend tous ceux qui vivent sur le territoire et ils sont « théoriquement » éligibles au trône du Mogho.

Seulement dans les faits la répartition des rôles et la différence de l’appétit des différents groupes vis-à-vis du pouvoir font que bien souvent c’est le groupe de Nakombsé qui règne. Et même parmi eux les Nakombsé il y a d’autres complexités liées entre autres à la généalogie… Cela n’enlève pas pour autant le droit aux autres de postuler. Si le Collège électoral est convaincu de la qualité du prétendant, il peut être déclaré vainqueur devant les autres concurrents.

Moatiba, un Peulh du Mogho, d’abord proche conseiller de Naaba Oubi, a ainsi convaincu de son droit d’éligibilité et a eu le trône à la mort de son protecteur. Ce fait est unique tout de même. L’on dit que c’est depuis cet épisode que les Peulh aussi sont tenus de se décoiffer devant les Naaba en signe d’allégeance car eux aussi sont des aspirants explicites.

Avant cela, les Yarsés et les Peulh ne se décoiffaient pas pour saluer un roi Moagha car tacitement le trône ne les intéressait pas même si légalement ils y ont droit. De nos jours, si on veut être strict dans le protocole, parmi les résidents du Mogho, seuls les Yarsé n’en sont pas tenus car eux ont renoncé au trône du Mogho.

Par conséquent, ils n’ont pas à enlever leur bonnet pour faire la preuve publique de leur allégeance. L’Histoire ne rapporte pas que suite à cet épisode qui a choqué profondément les Nakombsé, il y ait eu des représailles contre les communautés peulh, ni une guerre et encore moins un horrible massacre.

Au Mogho, les chansonniers et les tam-tams chantent l’unité nationale. Bien entendu ils chantent aussi les célébrités Peulh en mooré car ils font partie des leurs. Dans son célèbre livre, L’Etrange destin de Wangrin, Ahmadou Hampâté-Bâ témoigne de l’envergure du roi des Peulhs dans le Yadtenga. « Brildji Madouma Thiala [Djibril Mamadou] n’était pas seulement un chef qui, en importance, venait immédiatement après Bana Griti [Naba Tigri du Yadtenga]… ».

Tous ceux qui ont un bout de culture traditionnelle de cette région du Nord, connaissent la chanson qui glorifie ce chef peulh qui a réellement existé : « Silminaba Djibrila gnin là naaba gnin là monrè, gnin nso Yadg-tenga… » Une libre transcription et traduction du refrain de la chanson donnerait « Djibril le roi des Peulh, il est savant (Marabout), il est riche et le Yadtenga lui appartient. » Il devrait avoir d’autres cas. Voici un extrait de poème de tam-tam transcrit par Me Pacéré Titinga Frédéric dans Parole et poésie du tam-tam : Manega, culture et structures du peuple :

« […]

L’Autre, l’Autre !

L’Autre est toi-même !

BOODO, Peulh de Boolnogo !

L’Autre est toi-même !

WANDA, Peulh de Kouri !

L’Autre est toi-même !

La Panthère, Peulh de Barkoundba !

L’Autre est toi-même !

La Bouche, Peulh de Béolgo !

L’Autre est toi-même !

L’Epineux, Peulh de Tema !

L’Autre est toi-même !

[…]

L’excrément des vaches est le bois de chauffe !

L’Autre est toi-même ! […]
»

En fait, qui sont Mossi ?

Mossi est l’appellation (avec [i]) que les voisins des Mossé (Moagha au singulier) leur ont donnée. Cette différenciation est normale et s’observe partout dans le monde. Chaque nation se trouve un nom et les autres, ses voisines l’appellent un peu différemment. Par exemple les Français s’appellent ainsi, les Anglais les nomment French, les Allemands les appellent Französisch et les Basques les désignent par Frantsesa. C’est surtout à l’étranger qui n’est pas sensé connaitre les détails de la nation que l’on se présente comme étant un Moagha ou Mossé au pluriel. Ce qui signifie habitant(s) du Mogho.

Mogho est le territoire des Mossi. Les Mossi sont une nation composite. Une nation métisse. J’ai une préférence pour nation métisse car comme l’a si bien dit l’éminent historien Joseph Ki-Zerbo, « aucune ethnie, aucune nationalité ne peut se targuer d’avoir une personnalité achevée, non métissée… » Il s’agit donc véritablement d’un savant mélange de plusieurs peuples qui s’est forgé sur le territoire du Mogho. Dire que les Mossé étaient une nation n’a rien d’élogieux hormis que c’est la vérité pour quiconque veut bien regarder finement et objectivement.

Car en réalité personne ne se définissait comme Moagha ou Mossé. C’est une entité virtuelle et plutôt généraliste. Lorsque l’on nait au Mogho l’on est Moagha a priori ou autre entité du Mogho ayant les mêmes droits dévolus aux Mossé. Moagha est le type de base. On devient sa réalité, ce qu’on est proprement, on acquiert son identité après avoir cessé d’être un Moagha. Souvent c’est l’initiation spécifique à son groupe(ou sous-nation) qui permet à l’individu de passer du statut générique de Moagha à son statut de groupe.

Par exemple chez les Yarsé, et d’autres sous-nations du Mogho, tout garçon qui n’est pas encore circoncis est un Moagha. (Soulignons ici la différence avec d’autres nations voisines. Amadou Hampâté-Ba explique que c’est au terme de l’initiation de Koumen que le garçon de 21 ans devient un Peulh. Mgr Anselme Titiama Sanon indique lui aussi que c’est à l’issue du processus de l’initiation du DO que le garçon néophyte devient un Bobo. Dans ces deux nations, Peulh et Bobo, l’on nait, l’on grandit, l’on évolue (initiation) et l’on devient Peulh ou Bobo.

A contrario l’on nait Moagha, l’on grandit, l’on évolue (initiation) et l’on devient spécifique. ) C’est surtout à l’étranger qui n’est pas sensé connaitre les détails de la nation que l’on se présente étant un Moagha. D’ailleurs au Mogho, dire à un concitoyen qu’il et un Moagha revient à le traiter de néophyte en tout cas de non initié. Après l’initiation on acquiert l’identité de l’un des groupes repris ci-dessous. Chaque groupe comportant de grandes familles au moins 156 pour les Yarsés et plus 2100 pour l’ensemble des composantes.

Protégeons le génie de nos aïeux…

En somme, il n’y a jamais eu de problème majeur entre composantes Mossi et Peulh sinon depuis tous ces siècles qu’elles ont vécu ensemble elles auraient été en conflit permanent… Prétendre le contraire serait une construction mentale dénuée de tout fondement historique.

Pour mémoire l’État indépendant du Liptako, gouverné par des Peulh a toujours entretenu des relations très suivies avec les royaumes mossé. Quelqu’un d’autre pourrait certainement détailler cela mieux que moi. C’est au nom de ses alliances historiques avec le Mogho que le Liptako et Dori sa capitale, n’ont pas basculé au Niger au moment de reconstitution du pays.

Enfin, je sais que cela pourrait déranger certains esprits, il faut noter que le génie de la construction nationale du Mogho basé sur la coexistence pacifique, le partage des rôles et le profond respect de chaque ensemble de la nation dans ce qu’il a de spécifiques, ce génie-là est probablement la clé du succès des États Mossi en terme de durabilité. Pas moins de 9 siècles que l’attelage a tenu et tient encore dans une certaine mesure. Dans le monde entier les États qui ont une telle longévité sont plutôt rares.

D’ailleurs, l’homme politique et écrivain du Mali, Fily Dabo Sissoko avait justement rappelé que le Mogho est contemporain de l’empire du Mali qui a depuis disparu suivi de l’empire Songhaï qui connut le même sort. Combien d’États dans le monde sont nés et ont disparu depuis le 12e siècle à maintenant ? Sachons respecter les œuvres qui nous dépassent afin d’avoir la sagesse nécessaire pour essayer d’en construire d’autres.

Il y a d’autres génies dans le patrimoine burkinabè. Comment les nations sans chefferie ont réussi à traverser à vivre ensemble depuis tant de siècles ? C’est aussi du grand génie. Que ceux qui peuvent nous en parler nous édifient. Nous avons besoin de tout ceci pour bâtir bien et durablement. Nous sommes une grande famille non seulement au Burkina mais dans toute l’Afrique, il suffit d’observer avec attention.

La question des ethnies est délicate dans certaines parties du monde et malheureusement il y a parfois des extrapolations qui n’ont pas lieu d’être surtout dans le territoire du Burkina. Il y a davantage de conflits entre corps de métiers plus que entre ethnies. Le conflit purement ethnique ne correspond pas à une réalité historico-sociologique que l’on peut démontrer. Force est de reconnaître toutefois parmi les nous les instruits, certains n’œuvrent pas pour la cohésion nationale.

Certains d’entre nous préféreraient que nous soyons 100% chinois ou 100% français plutôt qu’une synthèse disproportionnée de l’ensemble de notre composition historique. Il y a de plus en plus de sorties publiques hasardeuses et de plus en plus dangereuses pour la cohésion nationale.

Faisons attention à ne pas mettre en péril autant de siècles de coexistence pacifique entre nations alliées. Cette construction dépasse chacun de nous il est de notre devoir de respecter ce patrimoine et de travailler vers une nation Burkinabè plus fidèle à ses valeurs communes, puis africaine comme le préconise la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Une partie d’un groupe à la légalité douteuse aurait commis un massacre inouï et inacceptable en aucun cas. Que la puissance publique prenne ses responsabilités avant que les semeurs de troubles ne profitent pour allumer un feu. A. HAMPÂTÉ BÂ, le grand sage a dit : « Il n’y a pas de petit feu. Il y a absence de combustible. » Norbert Zongo lui s’était désolé de savoir que certains seraient « capables de brûler le pays pour chauffer leur café. » A Dieu ne plaise !

Moussa SINON (moussa.sinon@gmail.com)

Février


Lectures pour aller plus loin (certains sont en ligne) :

- Histoires et Légendes des Peuples du Burkina Faso

- Moogo – L’émergence d’un espace étatique ouest-africain au XVIe siècle

- Princes & serviteurs du royaume : cinq études de monarchies africaines

- Tierce Église, ma Mère ou la Conversion d’une communauté païenne au Christ

- Une enquête historique en pays mossi

- Parole et poésie du tam-tam : Manega, culture et structures du peuple

- The Tribes Of The Ashanti Hinsterland Vol II.

Liste non-exhaustive de composantes de la nation Moagha :

Nakombse Mossé, Tengbiisse Mossé, Saanba Mossé, Bingdemba, Pendessé, Benda, Lounse, Pwèssé, Yaransé, Mowando, Sikobsé, Nakombse Fulsé, Tengbiisé Fulsé, Saaba Fulsé, Nakombsé Kalamsé, Tengbiissé Kalamsé, Saaba Kalamsé, Bay Tengbiissé Kambônsé, Bay Saaba Kambônsé, Bay Saaba Kambônsé, Segou Saaba Kambônsé, Nakombse Kibsé, Tengbiiss Kibsé, Saaba Kibsé, Nakombse Ninissé, Tengbiissé Ninissé, Saaba Ninissé, Maransé, Yarsé…

Source: LeFaso.net