Le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) fait le point de la situation du drame de Yirgou au cours d’une conférence de presse animée dans la matinée de ce vendredi 1er février 2019 à Ouagadougou. Un mois après le drame, l’organisation note que la justice « se fait attendre » et que le nombre de morts recensés à ce jour est de 210. Le CISC se veut également clair sur le qualificatif de ce qui s’y est passé : il s’agit d’un « génocide » au sujet duquel, les organisations internationales des droits de l’homme seront saisies dans les jours à venir.

Pour l’avocat des familles, Ambroise Farama, à ce jour, sur la base d’un « travail scientifique » mené, on peut affirmer, sans risque de se tromper, que Yirgou « est un crime de génocide ». Il reconstitue, dans ce sens, des faits, selon lesquels, dès le 23 décembre 2018, des fouilles systématiques ont consisté à désarmer la communauté peuhle de tout ce qui est armes blanches et à partir du 29 décembre, un ultimatum de 72 heures lui a été donné de quitter les lieux. Selon le défenseur, il y a donc eu « préméditation », « préparation » et « exécution ». Me Farama Ambroise précise avoir recueilli les témoignages ; non seulement de Peulhs, mais également de Mossi de la localité qui n’approuvaient pas ces actes.

De gauche à droite Me Ambroise Farama, Hassan Barry, Daouda Diallo (porte-parole du CISC) et Issaka Ouédraogo

« Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, le chef de la communauté moaga de Yirgou est assassiné. Nous ne pouvons pas affirmer qu’il y a un lien, mais nous disons que la coïncidence (avec la fin de l’ultimatum sus-mentionné, ndlr) est à la fois malheureuse et curieuse. Elle est malheureuse, en ce sens qu’il s’agit de pertes en vies humaines, la perte d’un chef et de ses fils, ses sujets et collaborateurs. Curieuse, d’autant plus qu’un ultimatum de 72 heures leur avait été donné et c’est à l’échéance de l’ultimatum que le chef meurt. Et ce qui est d’autant plus curieux, c’est que ce chef s’était opposé à cette action en cours. Et à la suite de son assassinat, des représailles s’en sont suivies. Dans ces représailles, on a noté dans un premier temps, que les Koglwéogo ont décidé d’abord de poursuivre les auteurs du crime, ils n’y sont pas parvenus. Ils retournent et ils décident ensuite d’attaquer les autres Koglwéogo peuhls qui étaient avec eux (sans doute, pour éviter que ces gens-là ne se désolidarisent) et ensuite ils ont procédé au massacre systématique de la communauté peuhle », confie l’avocat sur fond d’interrogations sur le déroulement de certains faits.

L’avocat, qui dit avoir observé dès les premiers moments, la prudence dans la qualification des faits, rejoint ainsi le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) sur le « crime de génocide ».

Les attentes restent nombreuses et fortes

« Selon de nombreuses sources concordantes, l’extermination de la communauté peuhle a été planifiée, ourdie et orchestrée par ces groupuscules sans foi ni loi de Yirgou. En effet, du 23 décembre 2018 au 29 décembre 2018, ces Koglweogo ont fouillé de fond en comble les maisons des peulhs pour vérifier s’ils avaient des armes blanches ou de guerre. A partir du 29 décembre 2018, ils ont donné un ultimatum de 72 heures à tous les peuhls des différents villages de quitter leurs domiciles avant le 1er janvier 2019. Il y a lieu de rappeler que le chef de Yirgou, a toujours été une personne ressource très conciliatrice et qui rappelait toujours à l’ordre les Koglweogo sur leurs bavures et abus. Les Koglweogo qui reprocheraient aussi au chef de Yirgou d’être le protecteur des peuls, à plusieurs reprises, en refusant de cautionner toutes exactions contre les peuls. Est-ce pour mieux accomplir leur sale besogne, le massacre à ciel ouvert des peuls que le chef a été tué ? La question mérite d’être élucidée par la justice burkinabè en qui nous faisons entièrement confiance. En effet, il faut préciser, qu’après la mort du Chef de Yirgou, les Koglweogo ont commencé les massacres par les Koglweogo peuhls qui les ont aidés à pourchasser les assassins du chef. Ainsi, ils ont réussi à se débarrasser du chef afin de mieux accomplir le nettoyage ethnique qui n’a concerné que les hommes. Quel crime et quelle stratégie maléfique ? Certains criminels en ont profité pour prélever des organes humains à des fins de sacrifices humains. Beaucoup de questions restent alors posées : Pourquoi le chef a été tué ? N’est-ce pas une possibilité d’alliance entre les Koglweogo et les terroristes pour tuer le chef qui leur faisait de l’ombre afin de nous pousser à nous entretuer ? Pourquoi les peuls Koglweogo qui ont aidé à pourchasser les criminels ont été tués ? Si ce n’est pour supprimer les preuves. Pourquoi les maisons ont été fouillées à l’avance ? N’est-ce pas une planification ? Le CISC invite tous les acteurs à se mobiliser et à fouiller très bien afin de mieux comprendre les causes profondes de la mort du chef, l’extermination qui s’en est suivie avec le pillage des biens et du vol de plus de 80 000 animaux (bœufs, moutons, chèvres …) », ont expliqué les responsables du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) dans leur déclaration liminaire. Selon les conférenciers, le CISC n’est pas resté les bras croisés. Ainsi retient-on, et entre autres, qu’il a entrepris des quêtes et des collectes qui ont permis de mobiliser 11 717 050 Fcfa (en espèces) et des dons en nature de près de 10 000 000 Fcfa, remis aux déplacés au titre de l’assistance.

A en croire les conférenciers, les préoccupations actuelles du Collectif sont « l’urgence » de la justice. « Plus d’un mois après le drame, hormis l’annonce faite par le procureur du Faso, près le TGI (Tribunal de grande instance) de Kaya, aucun acte matériel et concret de justice n’est visible sur le terrain. Le CISC félicite le procureur du tribunal de grande instance de Kaya et son équipe qui travaillent d’arrachepied à faire la lumière sur ces violences. Mais le CISC n’est pas satisfait de la lenteur d’administration de la justice : Les suspects sont libres de leurs mouvements et pire continuent même de perpétrer des exactions sur la communauté peule au vu et au su de tous, en toute impunité, les preuves sont en train de disparaître. Les suspects sérieux criminels accordent des interviews à visage découvert dans les médias sans être inquiétés et rencontre même le chef de l’Etat avec leurs armes en bandoulière dans leur champ de tirs. C’est grave ! Le CISC félicite de passage les cinq cabinets d’avocats qui ont décidé de renforcer le collectif d’avocats. C’est donc le lieu pour le CISC d’interpeller l’Etat burkinabè à s’assumer dans toute sa plénitude », le porte-parole du CISC, Daouda Diallo.

Une autre préoccupation soulevée est relative à la « persistance des zones de non-droit autour de la commune de Barsalgho ». Ils rappellent au passage que le lundi 28 janvier 2019, il y a eu l’enlèvement de Diallo Alaye, 40 ans à Koulpagré par les Koglweogo (l’intervention des Forces de défense et de sécurité et d’autorités locales a permis de le libérer, disent-ils).

La première conférence de presse du CISC, le 8 janvier 2019

« Risques d’une dégradation profonde du climat sécuritaire dans cette partie du pays »

« Même certains responsables locaux instrumentalisent les bourreaux à s’activer aussi pour rejoindre en premiers les sites aménagés sur le terrain pour accueillir les déplacés victimes directes des tueries de Yirgou. Les bourreaux espèrent bénéficier de la gratuité de l’assistance humanitaire. Les déplacés ont alors, une grande crainte de se retrouver sur les mêmes sites ou tantes que leurs bourreaux d’hier. Les rescapés du drame ne sont pas logés à la même enseigne.

Ceux qui sont réfugiés dans la commune de Barsalgo sont plus chanceux que ceux des autres sites. Il y a lieu de préciser que certains propos officiels tendent à décourager les bonnes volontés d’aller vers les sites de Kelbo, Belè, Arbinda parce que la sécurité n’y serait pas garantie. Troisième préoccupation, communiquer la vérité des chiffres des victimes. Le gouvernement n’a toujours pas actualisé les chiffres officiels sur le nombre de morts laissant libre court à toutes les supputations et commentaires.

Le CISC a documenté un nombre de morts plus élevés que les chiffres officiels. Le nombre de morts à ce jour est de 210 morts. Ce chiffre a été obtenu après un recensement rigoureux ménage par ménage. Nous précisons que la liste va s’allonger avec le recensement toujours en cours sur le terrain. Le CISC attend du gouvernement qu’il réactualise ses chiffres comme il s’était engagé. Nous avons peur que cette volonté de cacher des morts puisse être préjudiciable aux victimes au moment de leurs dédommagements », s’appesantissent les responsables du CISC.


Le Collectif qui se dit réconforté par l’adhésion massive des Burkinabè et de la communauté internationale entend continuer et renforcer la mobilisation, les jours à venir, en saisissant les organisations internationales de défense des droits humains. Il exige également des autorités, la justice pour toutes les victimes, une rencontre tripartite (impliquant les membres du gouvernement, de la justice et du collectif CISC afin de travailler et situer les responsabilités sur les conflits et crises qui compromettent le vivre ensemble).

L’organisation demande, en outre, la prise en charge gratuite et effective des rescapés (prise en charge médicale et psychologique ainsi qu’alimentaire) sur tous les sites, la sécurisation des personnes et des biens, le désarmement et la dissolution des « milices » de Barsalgho, la restitution sans conditions des biens des victimes toujours détenus illégalement par des éléments Koglweogo, la reconstruction des maisons détruites et le retour des déplacés sur les sites d’origine.

Pour le CISC, seule une justice impartiale, transparente et diligente, peut contribuer à apaiser les cœurs et les esprits et promouvoir les vertus du vivre-ensemble. Il attire l’attention des autorités étatiques (face à cette lenteur déconcertante des actions judiciaires) sur les risques d’une dégradation profonde du climat sécuritaire dans cette partie du pays, si les mesures diligentes ne sont pas prises pour que justice soit rendue aux victimes.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net