Une bonne dose d’hypocrisie, de mauvaise foi et de naïveté à la fois pourrait seule empêcher de reconnaître que l’issue des dernières élections présidentielles en RD Congo était jouée d’avance. Aucune surprise : tout le monde savait, depuis la fin du mandat de M. Kabila Kabange en 2016, que celui-ci n’avait aucune intention de quitter le pouvoir et de s’en éloigner.

Dès lors, tous les moyens étaient bons pour rester près d’un pouvoir qu’il considère comme le sien, même s’il n’était pas candidat aux élections. M.Tschisekedi Tshilombo était son plan A, M. Shadary Ramazani le plan B pour divertir. Les dernières élections en RD Congo révèlent la magie et l’énigme d’une victoire électorale d’un président sortant qui n’était pas candidat à sa propre succession…

Les nombreuses morts et violences dans ce pays avant les élections du 31 décembre 2018, depuis 2016, trouvent leur unique explication dans cette intention de l’ex-président congolais de toujours rester là où se trouve le pouvoir en RDC, comme l’ombre même de tout pouvoir dans ce pays. Ces violences ont connu leur dénouement moins dans les urnes que dans la ruse et la tricherie des instances électorales : Kabila ne quitte pas le pouvoir au Congo, il ne fait que prêter voire louer son pouvoir à M.TshisekediTshilombo que la ruse mal intentionnée, et pas les urnes, proclame vainqueur et président. Les élections qui étaient organisées pour permettre le départ pacifique et définitif de Kabila du pouvoir congolais ont finalement été le stratagème, l’outil le plus approprié et régulier pour maintenir encore Kabila au pouvoir ; autrement dit, le moyen le plus régulier pour commettre irrégularités et tricheries à tous les niveaux institutionnels (CENI, Cour Constitutionnelle) afin que Kabila continue de suivre le pouvoir congolais comme son ombre…

Il y a donc eu élections en RD Congo, mais pas de démocratie ; sauf à penser que la démocratie ne consiste qu’en les seules élections : exactement ce que font les non démocrates (c’est ce que les burkinabè ont refusé en 2014). La critique de la démocratie, d’une certaine démocratie dévoyée, trouve là sa raison : une idée plus sincère et noble de la démocratie fait qu’il faut la distinguer soigneusement des simples formalités électorales, à cause précisément des irrégularités et tricheries qu’elles occasionnent.

Pas partout, mais singulièrement en Afrique. Du coup, toute réflexion et toute analyse doivent commencer par s’étonner de ceci : que non démocrates et démocrates, Africains et non Africains acceptent ces irrégularités et tricheries électorales sur le continent comme normales, comme de simples détails sans importance (pourquoi organise-t-on même alors encore des élections avec des « observateurs » du monde entier, si ces vols électoraux à ciel ouvert sont des détails insignifiants ? Pourquoi autant de précautions préélectorales si ces tricheries ne représentaient aucun danger ni menace pour la raison d’être et l’essence même des élections ?) .

Ou encore commencer par s’étonner de ceci : que ce qui ne serait jamais accepté ailleurs ne le soit qu’en Afrique, par les Africains et par le reste du monde. Pourquoi tricher par tous les moyens, dont précisément les élections, pour accéder ou rester au pouvoir en Afrique ne choque-t-il pas grand monde au monde ni en Afrique (à part l’indignation et la colère impuissantes des « perdants » que l’on devrait mieux appeler les volés, les vrais perdants étant les populations africaines et la démocratie civilisée) ? Et pourquoi des coups d’Etat en Afrique soulèvent-ils et devraient-ils soulever plus de tollés et de condamnations dans le monde que des tricheries et braquages électoraux en plein jour, aux yeux du monde entier ?.

Le non sens, l’insignifiance, l’absurde seraient plutôt de flanquer des « observateurs » pour surveiller les vols électoraux, et de ne pourtant jamais tenir compte de ces vols lorsqu’ils sont avérés et parfois massifs comme en RD Congo ; de n’en tirer aucune conséquence, et n’y donner aucune suite à part le cynisme qui consiste à demander aux candidats volés de n’utiliser que les voies légales pour contester les résultats électoraux. Cynisme, puisque l’on sait ou fait semblant d’ignorer que les institutions électorales légales (CENI, Cour constitutionnelle) font partie des mécanismes de la tricherie et sont les outils mêmes des vols électoraux, préparés et formatés en amont pour valider l’invalidable. Par où se plaindre de tricheries auprès des tricheurs ôte tout sens et sérieux aux procédures de recours.

Ce non sens est finalement celui de la démocratie elle-même, d’une certaine démocratie qui serait inadmissible et interdite ailleurs, mais qui, en Afrique seule, est admise et acceptée comme un pis-aller, la solution politique la moins pire à laquelle des Nègres devront se résoudre, car il y a pire chez eux : les coups d’Etats, les dictatures et les guerres civiles et ethniques. L’état de nature en somme, la sauvagerie (en) politique (M. Kabila kabange sait donc de quoi il parle quand il évoque la transition « civilisée » en cours au Congo : sans doute, pour des Nègres, la tricherie ou la fraude électorale reste bien le seul moyen civilisé, raffiné et sophistiqué pour garder le pouvoir ou y accéder).

M.Tshisekedi Tshilombo proclamé vainqueur par la fraude et ses instances légales aurait pourtant pu, non par intégrité mais par authenticité dont le Congo s’est voulu le pays, par élégance hautement civilisée, renoncer à sa victoire usurpée, pour aussi piéger les plans de Kabila Kabange, en cédant le fauteuil présidentiel à celui qui est dit venir après lui dans les résultats et qui, de l’avis de tous les observateurs de l’intérieur et de l’extérieur (CENCO, RFI, TV5 Monde, le Financial Times, le Groupe de recherche sur le Congo), est le vrai vainqueur de la présidentielle en RD Congo : M. Martin Fayulu. Un geste de fair-play du faux vainqueur pour le vrai vainqueur des urnes, et pour la démocratie civilisée.

Ou se désister, renoncer à sa victoire plus que douteuse, pour que les élections soient reprises dans le recomptage des voix ou de nouveau dans les urnes. D’autant plus que son propre père Etienne Tshisekedi avait lui aussi fait l’amère expérience de fraudes subies face au même Kabila Kabange dont il est aujourd’hui (le) complice. En réalité, par ces élections trichées, le pouvoir qui lui est transmis par Kabila n’est ni plus ni moins qu’un prêt, ou une location d’un pouvoir dont ce dernier tient encore les rênes. Les bénéfices politiques des réussites de Tshisekedi, s’il y en a, reviendront encore à Kabila Kabange ; tandis qu’il devra assumer les échecs (il y en aura sûrement, puisqu’il aura les mains liées), étant désormais, lui Tshilombo, le président. Echecs que le même Kabila ne manquera pas d’exploiter pour revenir dans le fauteuil présidentiel…

On peut toujours penser, mais seulement si l’on est optimiste voire naïf, que M. Tshisekedi s’est sacrifié en offrant au Congo, par sa victoire malgré lui, une occasion et une chance de se rassembler et réconcilier, d’en finir avec les morts et violences ; mais, dans la mesure où il n’a vaincu que par et pour Kabila, qui est toujours l’ombre et le maître du pouvoir, en même temps qu’il est la cause principale de ces violences, on ne voit pas comment le nouveau président auquel le pouvoir de Kabila Kabange est (sous)loué mettra fin aux conflits et fera avancer la démocratie au Congo. Au lieu de se sacrifier vraiment en renonçant à sa victoire préfabriquée par Kabila, c’est-à-dire, au lieu de sacrifier le pouvoir à la démocratie, Monsieur Tshisekedi a sacrifié la démocratie au pouvoir de Kabila.

Si tout le monde s’accorde pour dire que seule la vraie démocratie apporte la paix politique, la dernière présidentielle en RD Congo montre comment des élections peuvent être la négation même de la démocratie et préparer de nouvelles violences qu’elles n’auront fait que retarder.

Pourtant c’est ce qui, en Afrique, est appelé « élections démocratiques ». Il y avait déjà le Gabon des Bongo où M. Ping était volé sous les yeux des « observateurs » internationaux qui se sont contentés de constater et compter les « irrégularités », sans plus. Mais les fraudes dénoncées au Gabon font figure de minuscules larcins face aux vols à grande échelle des élections congolaises. Ali Bongo semble de loin un enfant de chœur face à Kabila Kabange.

Malgré les fraudes, les résultats des élections sont, on le sait, acceptées et validées, et le nouveau président Tshisekedi chaudement félicité par la plupart des dirigeants africains. Dont le Sud-Africain Ramaphosa Matamela, le premier de tous à s’incliner devant la victoire de Tshisekedi : le même qui a dénoncé et critiqué les corruptions de Jacob Zuma dont il a fini par prendre la place n’a rien trouvé d’inacceptable et d’anormal dans les fraudes qui ont donné la victoire à Tshisekedi !

Les tricheries électorales en RD Congo de Kabila seraient donc comme plus vertueuses que les corruptions de M. Zuma, mais une corruption est forcément une tricherie et un vol. Ce que, donc, Monsieur Ramaphosa n’a pu supporter et admettre, à juste titre, chez lui en Afrique du sud, dans sa propre démocratie, il le félicite et applaudit en RD Congo. Tout en sachant très bien que, surveillé en quelque sorte par la minorité blanche de son pays, il ne pourrait jamais, s’il en avait l’idée et la tentation, tricher et falsifier autant de résultats électoraux en Afrique du sud…

Enfin, avec la sanction de la « communauté internationale » qui reconnaît la victoire de Tshisekedi malgré les fraudes, c’est tout le ridicule de la démocratie en Afrique qui est confirmé. La « communauté internationale », c’est-à-dire l’Occident démocratique en tant qu’il se constitue en exemple à suivre pour tout Etat du monde, et qui a fait la guerre à des dictateurs jusqu’à leur élimination physique, au nom de la démocratie (Saddam Hussein, Kadhafi)

Il ne servirait cependant à rien de vouloir et demander que cette « communauté internationale » en fasse de même en RD Congo et ailleurs en Afrique noire. Inutile de gaspiller des forces et des ressources en intervenant par la force en Afrique noire, pour la cause de la démocratie : les Nègres peuvent se contenter d’une sous-démocratie, de la démocratie des fraudes et de la violence, sans que cette démocratie-là entache la démocratie exemplaire donnée comme modèle à imiter au monde entier. Pendant qu’on nous dit que les vraies démocraties sont aujourd’hui en crise, c’est-à-dire connaissent aujourd’hui des problèmes qu’elles n’ont pas connus avant, ce qui veut dire encore que la crise leur arrive après coup, on remarque qu’en Afrique noire, au contraire, la démocratie est toujours liée à la crise dans ses institutions et son fonctionnement mêmes

Pas qu’elle intervienne pour résoudre des crises qui la précéderaient, ou qu’elle crée des crises (les crises qu’elle crée viennent de son état de crise structurelle et institutionnelle), mais parce qu’on ne peut y parler de démocratie sans aussi parler de ses institutions qui permettent les tricheries préélectorales et électorales, la démocratie en Afrique noire est toujours déjà, comme l’Etat, en crise, détraquée et en panne dès le départ, en même temps qu’elle « fonctionne » : comment une telle démocratie pourrait-elle jamais résoudre des crises et des problèmes ? Ces disfonctionnements électoraux n’auraient donc rien à voir avec la nature et l’essence même de la démocratie, mais seraient liés à la nature et à la condition des Nègres dans ce monde :

A des sous-hommes, une sous-démocratie de la violence et des tricheries, une démocratie sans hauteur ni raffinement, dans laquelle il ne manque plus que la légalisation même des fraudes électorales (la RD Congo n’a récemment donné ni plus ni moins que l’exemple de cette légalisation nationale et internationale des fraudes électorales en Afrique) ! Aussi, devant des hommes qui se complaisent dans leurs propres problèmes et misères, et qui se congratulent au milieu de leurs crises qu’ils tiennent pour des victoires et des progrès, il n’y a pas, pour le reste du monde, d’autres attitudes possibles que celle de spectateur sidéré et muet, parfois inquiet, souvent indifférent…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

Source: LeFaso.net