Le Burkina Faso, notre cher pays est à la croisée des chemins. En l’espace de trois ans deux défis majeurs, le phénomène des Koglweogos et le péril terroriste, aussi inattendus que complexes, se sont imposés à lui menaçant la cohésion sociale et les fondements mêmes de l’Etat. A l’évidence, nous sommes condamnés à nous remuer en faisant appel à notre capacité à nous surpasser pour trouver les justes réponses. Mais comment se remuer quand le leadership, censé être incarné par la classe politique, le président en tête, n’est pas à la hauteur ?

Ce que beaucoup comme moi craignions au début des attaques terroristes est en train de se réaliser. En effet, nous sommes en train de nous habituer à la perte de nos frères qu’ils soient civils ou militaires tant l’émotion qui accompagnait ces moments tristes est de moins en moins perceptible au fur et à mesure que les nouvelles situations surviennent. A côté de cela, notre Etat, pour en tout cas ce que nous percevons de notre position de citoyen lamda, continue sa gestion insouciante des affaires comme si le contexte n’appelait pas à un sursaut salvateur.

Face donc à la clameur populaire des citadins et aux cris de détresse des populations rurales, notre gouvernement a choisi de se murer dans le déni et dans le refus de réajuster sa marche. Notre leadership n’est donc pas à la hauteur des enjeux or c’est de ce dont nous avons actuellement besoin. Je souriais récemment en écoutant le Président de l’Assemblée Nationale évoquer avec amertume la manière dont le CNR du président Sankara a géré notre conflit qui n’aurait pas dû être avec le Mali lors de la Guerre de Noel. Oui, pendant ladite guerre, comme l’honorable, j’étais élève mais le leadhership de Sankara et ses communicants était si fort que nous brulions tous d’impatience d’aller au front.

On pouvait croire que nous étions tous dans un état second tant on était mobilisés, jeunes comme adultes, ruraux comme citadins. Cela n’avait été possible que parce qu’à côté de cette communication menée en son temps avec maestria, le président Sankara lui-même était à la manœuvre et les militaires, forts de cette mobilisation populaire, ne rechignaient pas à la tâche. Aujourd’hui les archives nous disent que la réalité était tout autre et que, n’eut été l’arrêt brusque de cette guerre, le Mali, fort de sa supériorité logistique et de ses soutiens, nous aurait retiré une large bande de terres.

Il est clair pour tous que le contexte et les défis ne sont pas les mêmes que ceux de la révolution. Ici en effet, l’ennemi est partout et nulle part. Mais en toute chose, le leadership est important voire capital car c’est le leadership qui définit les moyens et, comme on peut en convenir, sans moyens conséquents (pas seulement logistique et financier comme beaucoup le croient naïvement), point de résultats. Beaucoup de nos compatriotes encartés ou non dans des partis politiques, sans avoir voté le pouvoir actuel, ont cependant prié pour sa réussite. Ils se sont très rapidement par la suite rendus à l’évidence tant les premiers signaux étaient mauvais et l’échec presque annoncé. C’est ainsi que, contre toute attente, le président a ramené vers lui ce maire d’une commune que Blaise Compaoré avait relevé en conseil des Ministres sous le prétexte documenté qu’il s’était amusé à confondre le domaine foncier de sa commune avec ses propres terres. Il en est de même de cet autre grand du parti au pouvoir qui a été nommé à la tête d’une de nos grandes institutions de protection sociale alors même que celui-ci était soupçonné de malversations dans une autre institution du genre. Allez y comprendre quand on sait que dans ce même parti, il doit exister des femmes et des hommes au moins d’égale valeur et qu’en pareille circonstances le bon sens commande qu’entre une personne sur qui plane la suspicion et une autre vierge de soupçon, le choix n’aurait dû souffrir d’aucun débat ? Par ailleurs, comment expliquer ces nominations de personnes sans aucune valeur ajoutée au cœur même de la présidence dont une parmi elles avait, quelques mois auparavant, conduit un groupe de jeunes pour aller invectiver les juges menaçant même de bruler leur palais s’ils n’allaient pas dans le sens qu’eux désiraient ? Est-ce une caution à l’impunité ou une prime à l’incivisme ? Comment enfin, comprendre qu’une ministre puisse prétendre vivre plus haut que les moyens de son pays ne le permettent au seul prétexte qu’elle doit ressembler à ses homologues d’autres pays pour ne pas paraitre ridicule ? Pourtant Sankara l’a pratiqué ici et tous se plaisent à le rappeler aujourd’hui. Je ne m’attarderai pas sur cet autre ministre, distributeur de cartons dans une autre vie, et qui se révèle aujourd’hui dans son vrai visage, pour prétendre se comparer aux professeurs d’universités.

Les spécialistes en planification et en suivi-évaluation savent qu’en gestion axée sur les résultats, si les moyens (compris comme l’ensemble des ressources et des stratégies qui vont avec) ne sont pas ceux qui sont comptabilisés à la fin de l’action, ils sont décisifs dans les résultats qui s’en dégagent. On peut dès lors présager d’un échec patent lorsque les moyens, ne sont pas ceux qu’il faut pour l’action. Pendant donc que le pouvoir se perd dans ses propres contradictions et que le président adopte une distanciation physique avec le terrain où sa présence pouvait pourtant remonter le moral des troupes et mobiliser le corps social, notre espace est chaque jour occupé par l’ennemi. Aujourd’hui par exemple toute notre bande frontalière avec le Niger allant de Seytenga dans le Seno jusqu’à Kantchari dans la Tapoa en passant par le Yagha et la Komondjari est devenu un farwest quand la zone pastorale de Kabonga dans le Gourma est tenue par une horde tueuse qui, chaque jour que Dieu fait, sème horreur et désolation au sein de notre brave armée.

La situation est alarmante aussi bien au Sahel qu’à l’Est où les écoles se ferment (le dernier Lettre pour Laye de l’Observateur Paalga, nous annonce 800 écoles fermées à ce jour sur toute l’étendue du territoire) et le terrain déserté par l’administration et les leaders locaux. Pendant ce temps, la psychose gagne chaque jour toutes les familles dans les villages et hameaux dans ces contrées désormais soumises à l’Etat d’urgence. Il faut y aller pour bien mesurer le drame auquel sont exposées les populations rurales. Pendant ce temps, les jeux de dés au sommet de l’Etat sur un fond de gestion réactive continuent là où une démarche proactive s’appuyant sur un leadership affirmé était attendue.

A l’évidence, la gouvernance actuelle, plongée dans ses propres contradictions entre le besoin de résultat (en veut-il réellement ?) et le refus de la thérapie appropriée, n’a pas la solution et l’élite intellectuelle commet une erreur grave en se murant dans un silence assourdissant. Il est en effet illusoire de prétendre aujourd’hui se cacher face à l’horizon d’espérances qui se réduit inexorablement et qui n’épargnera personne. La question existentielle qui se pose est la suivante : quel pays laisserons-nous à nos enfants si notre immobilisme devait perdurer ?

Si personne n’a la réponse compte tenu de l’immensité des dégâts résultant d’une gestion non vertueuse du pays tirant ses origines depuis au moins trois décennies, la mise en commun des intelligences s’impose. C’est pourquoi il faut saluer le travail formidable de Dr Rasablga S Ouedraogo et de bien d’autres qui, forts de leur amour pour la patrie et de leur vision prospective, nous donnent chaque jour des pistes qui pourraient être explorées si tant est que, j’insiste, l’Etat en est vraiment demandeur. Une chose est sure, à la suite du président de l’Assemblée Nationale qui opinait récemment sur le défi terroriste, je ne crois pas à l’efficacité de l’Etat d’urgence qui, en obligeant les populations à se terrer chez elles dès la nuit tombée, crée un vide supplémentaire favorable à l’occupation du terrain par ces hordes barbares.

Issa Sawadogo

Chercheur en pastoralisme et dynamique des pâturages

Source: LeFaso.net