Les 5 et 6 décembre 2018 à Ouagadougou s’ouvraient des conclaves de formation des parlementaires et des leaders religieux des pays du G5 Sahel. A ce grand rendez-vous régional, deux thématiques étaient à l’ordre du jour : « Le rôle des chefs traditionnels et religieux dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme » et « Quel dialogue interparlementaire G5 Sahel ? ». Les objectifs étaient relatifs aux alternatives de paix et de sécurité en zone sahélo-saharienne. Formateur à cette rencontre, Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s), livre ses réflexions dans l’entretien ci-dessous qu’il a accordé au journal Lefaso.net.
Lefaso.net : Veuillez-vous présenter.
Jérôme Pigné (J.P.) : Je suis Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s), une institution composée de chercheurs, journalistes, praticiens, mobilisés pour contribuer au débat de la sécurité et du développement au Sahel.
Nous agissons à la fois sur le renforcement des capacités de réflexion stratégique des Etats sahéliens mais également sur le renforcement de la coopération entre décideurs, praticiens, chercheurs et organisations de la société civile. Nous ne sommes donc pas un centre de recherche, ni un think tank. Nous agissons dans une logique opérationnelle.
Lefaso.net : Cela fait combien temps que vous observez le Sahel ?
J.P. : Nous avons des experts qui ont passé leur carrière de diplomate, de militaire, de praticien à observer le Sahel. Le 2r3s bénéficie d’expertises plurisectorielles formidables. Néanmoins, notre structure est toute jeune. Nous existons depuis fin 2016.
Lefaso.net : Quelles en sont vos impressions ?
J.P. : Mon propos ne saurait être suffisamment exhaustif pour illustrer la richesse des points de vue et des analyses dont nous bénéficions au 2r3s, mais je dirais que notre mobilisation est la réaction à un constat sans précédent : l’insécurité croissante de la sous-région, l’inertie et le manque d’efficacité de l’aide au développement et les récits ambiants sur les causes et origines de la « crise » sahélienne (souvent partiels ou erronés) amènent à repenser le modèle avec lequel nous observons la problématique sécuritaire au Sahel.
Egalement, nous pensons qu’il est essentiel de développer un discours alternatif sur le Sahel ; un discours qui soit positif, mettant notamment en avant les actions et les initiatives qui fonctionnent sur le terrain. Le Sahel est une terre d’opportunités. La région n’est pas condamnée au chaos et à l’insécurité. Nous tentons d’apporter notre modeste contribution en la matière.
Lefaso.net : En quoi consiste votre présence aux cotés des parlementaires du G5 Sahel ?
J.P. : Tout d’abord, je souhaiterais remercier la Fondation Konrad-Adenauer qui, à travers ma personne, a associé le 2r3s aux travaux de Ouagadougou.
Depuis 2016, le 2r3s travaille aux côtés des parlementaires pour écouter et analyser leurs besoins, afin de renforcer leur action auprès des populations et assurer un meilleur suivi de l’action des gouvernements dans la région du Sahel.
Nous avions été sollicités à l’époque par le président du parlement panafricain pour faire des propositions concrètes et dynamiser les relations entre parlementaires et pouvoirs exécutifs et plus largement avec les partenaires internationaux des pays sahéliens. Notre objectif est de mettre en œuvre un projet de renforcement des capacités des parlementaires sahéliens pour que ces derniers soient plus opérationnels dans l’exécution de leur mandat.
Cela passe notamment par le renforcement de l’expertise des parlementaires (formations) et par la mise en réseau des parlementaires au niveau sous-régional et certainement, également, au niveau international.
Lefaso.net : Quel rôle doivent jouer les parlementaires G5 Sahel pour contrer le terrorisme ?
J.P. : Ce n’est pas à moi de dire aux parlementaires ce qu’ils doivent faire. Néanmoins, mon ressenti, sur la base des échanges que j’ai avec eux depuis deux ans, c’est qu’il y a une véritable demande de leur part pour accroître leur contribution en matière de paix et de sécurité au Sahel. Leur rôle est indirect mais essentiel pour mieux contrôler l’action des pouvoirs publics, ici en Afrique mais également en Europe. C’est d’ailleurs tout le sens du Sommet interparlementaire du G5 Sahel qui s’est tenu à Paris le 13 décembre 2018.
Un meilleur contrôle et une plus grande implication dans le suivi de l’action des Etats et de la coopération internationale c’est, in fine, contribuer à ce que l’aide au développement soit plus efficace. On peut espérer qu’une aide au développement plus efficace et cohérente apportera davantage de stabilité aux pays sahéliens.
Lefaso.net : Il faut pacifier la Libye et les terroristes seront neutralisés au Sahel. N’est-ce pas la solution la plus simple ?
J.P. : Malheureusement, l’équation n’est pas si simple. La situation en Libye est sans conteste un facteur de déstabilisation du Sahel. Mais on ne peut pas tout lier à la Libye, ni à la problématique sécuritaire de la région. La solution au Mali, par exemple, est essentiellement politique. Le terrorisme est venu se superposer à d’autres défis plus anciens tels que la gouvernance, le développement, le vivre-ensemble, le climat, etc.
Lefaso.net : Le 1er novembre 2017, le G5 Sahel lance sa première opération militaire baptisée Hawbi, plus de 350 soldats burkinabè, 200 Maliens, 200 Nigériens et 180 Français effectuent une démonstration de force dans la région de N’Tillit. Un an après, la menace demeure. Qu’est-ce qui a manqué au plan institutionnel ?
J.P. : La menace demeure car la réponse militaire ne sera jamais suffisante. L’opérationnalisation de la Force conjointe est nécessaire à plusieurs égards mais elle doit être conjuguée à des actions de développement et au renforcement d’outils permettant une gouvernance politique plus transparente, efficace et cohérente vis-à-vis des réalités des populations et des sociétés sahéliennes.
Il ne s’agit pas de sur-bureaucratiser le Sahel mais d’accompagner les Etats, la société civile, les parlements, à travers des appuis techniques, pour mieux répondre aux besoins des pays. Cette dose de technicité doit permettre aux Etats de mieux formuler leurs demandes et besoins vis-à-vis des partenaires internationaux.
Lefaso.net : Les forces du G5 Sahel demandent le financement, le renseignement et les équipements. Pourquoi les partenaires trainent-ils les pieds ?
J.P. : Des engagements ont été pris par la communauté internationale. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est le décaissement de ces fonds. Est-ce que les partenaires trainent les pieds ? Je ne pense pas. Il n’y a certainement pas de volonté de retarder les échéances. Cette situation joue contre les partenaires techniques et financiers qui finissent par ne plus être ni crédibles, ni audibles pour les acteurs africains. Les procédures de financement sont souvent lourdes et complexes. L’Union européenne cherche à rendre sa coopération plus flexible. Y parviendra-t-elle ? Cela va prendre un peu de temps.
Lefaso.net : La force du G5 Sahel n’a pas de limite frontalière. N’est-ce pas contribuer à la porosité des frontières ?
J.P. : Les armées des pays du G5 Sahel opèrent, en premier lieu, dans leurs espaces nationaux. Le droit de poursuite a été instauré (ou est en cours de discussion) entre plusieurs pays. La porosité des frontières a, de tout temps, été une problématique centrale pour les Etats sahéliens. Des formes alternatives de pouvoir, d’allégeance et de relations échappent aux administrations centrales. Ces dynamiques peuvent être positives quand il s’agit du commerce et de création de richesses pour les populations locales.
Elles peuvent également être dangereuses pour la stabilité des Etats quand il est question de trafics et de mobilités des groupes armés, qu’ils soient considérés comme terroristes ou non. Le défi pour les Etats et leurs partenaires c’est de comprendre ce qui se joue dans les espaces frontaliers et d’adapter les projets de développement et de sécurité à ces réalités. Le Sahel est déjà un espace de mobilité et de fluidité. La force-conjointe n’y changera rien. Il faut au contraire s’y adapter.
Lefaso.net : Quelle doit-être l’action ultime pour la stabilisation du Liptako-Gourma dite aussi la « zone des trois frontières » ?
J.P. : Les Etats doivent formuler des réponses à la fois nationales et régionales. Cela pourrait, par exemple, se traduire par un renforcement de l’action et du mandat de l’Autorité intégrée du Liptako-Gourma (ALG) qui a dernièrement élargi son champ d’action au domaine de la sécurité. L’ALG et le G5 Sahel ont d’ailleurs récemment signé un protocole d’accord.
Il serait intéressant de voir quelles sont les priorités de leur action commune dans la région des trois frontières, en matière de développement et de dynamisation de l’activité économique et de l’entreprenariat local. En matière de sécurité, les Etats, appuyés par la force Barkhane, connaissent les enjeux et les défis à relever.
Lefaso.net : L’ouverture d’un camp militaire allemand au Niger. Un contre-pied à l’hégémonie française dans la région ?
J.P. : Je ne crois pas qu’il faille parler d’hégémonie ou de contre-hégémonie. Le Niger n’est pas un gâteau que les Européens et les Américains se partagent. Depuis quelques années, Berlin a revu sa politique étrangère, sa politique de défense et son implication au Sahel. D’un point de vue français et européen, le renforcement de la présence allemande et les moyens mis à disposition au Niger est un signe positif.
Côté nigérien, il y a une véritable culture de l’ouverture aux partenariats stratégiques. Le Niger est mobilisé par plusieurs foyers d’instabilité (Mali, Bassin du Lac Tchad, Libye). Il doit y faire face et adapter sa politique sécuritaire et ses partenariats stratégiques en conséquence.
Lefaso.net : Une frange de la population malienne et nigérienne demande le départ de la force Barkhane. N’est-ce pas une part de la solution à la pacification du Mali ?
J.P. : Le risque majeur des interventions militaires étrangères est d’être mal comprises par les populations et d’envenimer la situation. Si ces interventions ne « gagnent pas les cœurs et les esprits », elles vont au-devant de grandes déconvenues. La force Barkhane doit être comprise comme un appui aux forces de défense et de sécurité locales et non comme une force d’occupation. Je ne pense pas que la pacification du Mali passe, à court-terme, par un départ des contingents français.
Lefaso.net : Que répondez-vous à ceux qui pensent que certaines mains occidentales soutiendraient les terroristes ?
J.P. : Je répondrais qu’il faut lutter contre la désinformation, les « fake news » et éduquer les populations au sens noble du terme. Il faut que les sociétés sahéliennes renforcent leur esprit critique. Le rôle des médias est essentiel. Les Etats et la communauté internationale se doivent d’accompagner le renforcement des capacités des journalistes et du secteur des médias pour que l’ensemble des populations aient accès à de véritables informations objectives, produites et diffusées par des professionnels.
Lefaso.net : Il semblerait qu’au Sahel circulent des armes occidentales. Comment expliquez-vous cela ?
J.P. : Les grandes puissances occidentales vendent des armes. C’est une réalité. La déstabilisation de la Libye, d’une partie du Nord-Nigeria, du Nord-Mali et de bien d’autres régions de l’Afrique a pour conséquence la circulation d’armes. C’est un butin de guerre pour les groupes armés. Si votre question est de savoir si les puissances occidentales arment les groupes armés, je répondrais en disant qu’il existe des circonstances dans lesquelles certaines armées optent pour des collaborations d’opportunités et ponctuelles dans l’intérêt de la stabilité et de la sécurité des Etats.
Lefaso.net : Aujourd’hui, le Burkina Faso est victime des attaques récurrentes des terroristes. Où se situe le remède magique au niveau national ?
J.P. : Je le disais tout à l’heure, il n’y a pas de remède magique. Sinon vous et moi ne serions pas là pour en discuter. Ce qui se passe au Burkina est très récent. Malheureusement, après la transition politique de 2015, la refonte des systèmes sécuritaires et militaires prend du temps. C’est une nouvelle culture politique et stratégique que le Burkina doit développer. Cela ne peut pas se faire en un jour…
Malgré la fragilité du pays, le pays semble relativement résilient et les autorités très conscientes des défis que le pays doit relever.
Interview réalisé par Edouard K. Samboé (stagiaire)
samboeedouard@gmail.com
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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