Maintenant que la polémique s’est apaisée, à « Polémique-Land », je peux tranquillement faire entendre ce que je sais sur la construction et l’usage rationnel de l’information dans le domaine de la gestion publique.
L’on a eu régulièrement évoqué cette maxime « l’information, c’est le pouvoir », sans en cerner la profondeur sémiotique. Et la récente polémique nous convainc de notre ignorance collective. Aussi, ai-je décidé de traiter d’un sujet peut-être hors de mon domaine, mais en corrélation avec la gestion publique. Je m’en excuse par avance.
Le secret, principe de fonctionnement de l’Administration sous pression du CCAP
Depuis longtemps, dans toutes les sociétés, le secret a été l’apanage de tout pouvoir. Lorsqu’il est porté à la connaissance du public, par flux incontrôlé qui distille toute l’information utile à la domination par la détention de l’information stratégique, il fragilise le pouvoir. C’est pour cette raison que dans chaque société vous verrez que sa découverte procède d’une sorte d’initiation ou encore qu’on n’y accède que par pallier, en fonction du niveau hiérarchique auquel l’on se trouve.
La difficulté dans le type d’État moderne que nous sommes en train de construire, c’est qu’il n’a clairement été défini à l’avance, par voie législative ou règlementaire, toute la matière à mettre sous le sceau du secret et de la confidentialité, au moment où l’explosion de la gestion participative envahit la sphère de la gouvernance, et où les marges de manœuvre de l’autorité publique se réduisent avec l’ensemble des textes sur le contrôle citoyen de l’action publique (CCAP).
On a vu toute la gêne que l’Assemblée nationale a eu à traiter en plénière de la question de la défense et de la sécurité nationale, lors de sa session extraordinaire, se réservant le droit d’auditionner l’Exécutif à huis-clos. Malgré toutes ces précautions, il y a eu des fuites sur les propos tenus lors de ces auditions. C’est exactement ce que vivent la plupart de nos administrations qui ont du mal à contrôler les taupes en leur sein. Le dilemme à ce jour est de savoir comment concilier les exigences de transparence, en contexte de redevabilité accrue, et la gestion du secret qui demeure, elle, essence de l’Administration publique, même moderne ? Nous n’avons pas encore engagé cette nécessaire réflexion dans notre pays.
La principale question qui ressort de toutes les polémiques actuelles à « Polémique-Land » s’énonce en terme de perception ou d’affirmation de notre capacité à construire une information administrative suffisamment neutre, pour éviter de longues polémiques ; suffisamment équilibrée, pour être assez proche de la réalité des acteurs et des bénéficiaires de l’intervention publique ; mais surtout une information dont la collecte, le traitement et la diffusion sont assez pertinents pour éviter de fragiliser l’autorité de l’État.
Les qualités dont l’Administration doit veiller à revêtir son information prennent leur importance dans la collecte de celle-ci. De façon générale, on en distingue deux sources : celle dite formelle, c’est-à-dire plus structurée et collectée par le biais des structures administratives, et celle informelle, c’est-à-dire moins structurée, aux sources diverses et qui relèvent à la fois des relations personnelles entre un individu, revêtu d’une certaine autorité, et son environnement, ou encore entre l’Administration, elle-même, et son environnement, par le biais de monnayage de renseignements. Il n’y a, de ce point de vue, aucun mal pour une administration ou une autorité (gestionnaire public) quelconque à se servir de la seconde voie pour collecter de l’information.
Par contre tout le mal pourrait être reproché à toute personne ou administration publique qui consomme de l’information brute issue de ces deux grandes sources, sans un traitement approprié parce que, quelle que soit sa provenance (formelle ou informelle), l’information est toujours sujette à caution. C’est pourquoi son destinataire doit lui imposer le test des trois tamis inspiré de la théorie socratique.
En effet, la charge du test ici n’incombe pas au fournisseur de l’information, mais à l’Administration et au gestionnaire public, pour la simple raison que celui qui fournit l’information n’est dans la position stratégique favorable pour effectuer la confrontation avec d’autres informations, ou ne dispose pas de l’expertise nécessaire pour cela. Dans tous les cas, pour être consommable, l’information doit être filtrée par le tamis de la vérité des faits, ensuite celui de la bonté de l’action publique qu’elle doit susciter. Si elle réussit ces deux, elle doit subir l’épreuve du tamis de l’utilité de l’action publique engagée dont la principale qualité est de satisfaire l’intérêt général.
À titre d’illustration, dans les rapports d’activités, un des systèmes privilégiés de rapportage de l’information administrative, dans la gestion managériale, le traitement consiste à confronter l’information initiale portée dans le programme d’activités, à d’autres types d’informations qui vont des référentiels de gouvernance au risques, hypothèses et ressources, (etc.), effectivement disponibles au moment de la mise en œuvre de l’action. De même, lorsqu’une autorité, par diverses sources, collecte de l’information, une certaine éthique de la responsabilité l’oblige à procéder à un traitement adéquat, avant toute consommation, dans le cadre de la prise de décision.
On voit donc que contrairement à l’information populaire qui circule sur divers supports et dont le but est de diffamer ou de bloquer une action publique, fut-elle pertinente ou non, l’information administrative est exclusivement destinée à renforcer la qualité de la prise de décision. Son objectif premier n’est pas de se confondre à la mêlée ou de verser dans la polémique, mais de renforcer la qualité de la décision qui va engager l’action publique et sur laquelle un autre processus d’information sera engagé pour satisfaire au besoin de redevabilité des citoyens (avant, pendant et après l’exécution de l’action publique). Cette fois-ci, ce type d’information est sujet à une validation préalable au cours des sessions d’instances légales et règlementaires qui ont connu une construction continue avec la modernisation de l’État burkinabè.
Structuration du processus de validation de l’information administrative
La difficulté de nos administrations publiques, c’est d’avoir été bercé dans deux rivières, celle d’une administration française trop bureaucratique, voire abusivement sociale, fortement hiérarchisée et par trop dépendante d’un dirigeant qui ordonne des instructions à exécuter par la base, et très réfractaire aux réformes et à tout processus d’innovation commandé par l’évolution de la science ; et celle d’une administration postrévolutionnaire dont la construction est inachevée.
Pour preuve, depuis la Conférence des Commissions du Peuple chargées des secteurs Ministériels (CCPM) tenue du 13 au 21 septembre 1986 à Ouahigouya, pour se pencher sur la vie administrative en vue d’adopter une série de résolutions visant à améliorer le fonctionnement de l’administration, l’on a amélioré les processus de validation de l’information déjà enregistré avec le fonctionnement des structures Dirigeantes de l’Exécutif Révolutionnaire (SDER).
Par la suite, l’administration a poursuivi son autocritique avec les conférences annuelles de l’administration publique (CAAP) de 1993 et 1995.
Aujourd’hui, il n’y a que deux organes et instances de gestion qui ont été retenus pour valider l’information administrative qui doit servir pour la redevabilité du gestionnaire public et de l’Administration publique. D’un autre côté, les agents et les gestionnaires publics sont encore très faiblement imprégnés des démarches managériales de nouvelle gestion publique, et moins impliqués à cause des réticences opposées à un processus qui a manqué d’une mobilisation sociale suffisante. Mais au-delà, d’autres voies de certification de cette information administrative.
Aujourd’hui, les défis auxquels est confronté le processus de construction de l’information administrative s’expriment en terme d’ignorance des gestionnaires publics de leur droit absolu de recourir aux voies informelles de collecte de l’information pour alimenter le processus décisionnel au sein de l’Administration publique, mais également en terme de déficit de technicité et de capacité, de ceux-ci ou de leurs services techniques à traiter ce type d’information, qui aurait permis d’éviter de « boxer en-dessous de la ceinture » comme les non-initiés.
L’action nécessaire à notre administration, surtout dans le contexte de menaces terroristes et d’inimitiés diverses vis-à-vis de nos populations, commande un renforcement des capacités des agents publics, des gestionnaires publics et de l’Administration publique à collecter et traiter efficacement l’information des canaux informels. C’est une nécessité de gouvernance publique moderne, pudiquement appelé intelligence informationnelle, pour garantir la domination institutionnelle de l’État, facteur principal de pérennité de son autorité.
Mieux, cette domination institutionnelle permet de renforcer la qualité de l’information, par une sorte d’omniscience des matières de l’État, y compris les plus indétectables par l’Administration. Ainsi parvient-on à construire des décisions rationnelles pour le bien-être des citoyens, sans discrimination. Mais, en définitive, c’est l’autorité (le gestionnaire public) qui en sort grand bénéficiaire puisqu’une telle action lui garantit ce qu’on peut qualifier de saine autorité charismatique.
Voilà, chers compatriotes, de la matière intellectuelle pour vous permettre de sortir de « Polémique-Land ».
Ousmane Djiguemdé
oustehit@hotmail.fr
Source: LeFaso.net
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