L’adoption, le 30 juillet 2018, du nouveau code électoral, a ouvert de réelles brèches dans la vie nationale avec ces débats politiques tranchés entre partisans et détracteurs de cette nouvelle législation électorale. Et dans sa position, chaque camp y va de ses arguments. Dans cet entretien, le secrétaire exécutif adjoint de la NAFA (Nouvelle alliance du Faso, opposition), Aziz Dabo, par ailleurs porte-parole du parti, donne son analyse sur cette question qui retient l’attention des Burkinabè. « Ne creusons pas notre propre tombe pour des élections », invite-t-il dans cet entretien.

Lefaso.net : Toutes considérations politiques mises à part, comment vivez-vous et que vous inspire le vif débat sur le nouveau code électoral ?

Aziz Dabo (A.D.) : Avant tout propos, je voudrais présenter mes sincères condoléances aux familles éplorées suite à l’attaque terroriste de Boungou et apporter tout mon soutien et mes encouragements à la gendarmerie nationale et à l’ensemble des Forces de défense et de sécurité de notre pays.

Jeune politique, je voudrais rappeler aux lecteurs que de 2009 à 2015, je suis resté à l’étranger, tout en étant très impliqué dans les activités de la communauté burkinabè. Ce code électoral est une trahison et passe mal pour moi. Je ne peux rester silencieux face à cette exclusion massive de mes compatriotes de l’étranger.

Je refuse historiquement d’être complice de cette forfaiture. Trop c’est trop. Desmond Tutu disait : « Si vous êtes neutres dans une situation d’injustice, vous avez choisi le coté de l’oppresseur ».

Lefaso.net : Quels sont les points de discorde de ce code électoral ?

A.D. : Ils sont au nombre de trois. Tout d’abord, sur les lieux de votation, c’est un recul par rapport à l’ancien code de considérer les enclaves diplomatiques comme les seuls lieux de vote à l’extérieur. C’est une insulte, car les ressortissants sont inégalement répartis sur les territoires d’accueil.

Au Burkina Faso, les Maliens viennent de voter sans incident dans des écoles à l’occasion de la présidentielle de cette année. Ensuite, la carte consulaire, qui fait couler beaucoup d’encre et de salive, est un document officiel reconnu et valable sur les terres d’accueil, selon les conventions de Vienne. D’ailleurs, cette mention y est inscrite, « fait office de CNIB » pour les résidents étrangers.

Enfin, l’opposition républicaine s’inquiète que le fichier électoral soit uniquement entre les mains du ministère de la Sécurité via l’ONI (Office national d’indentification).

N’oublions pas que le ministre de la Sécurité est le 2e vice-président du MPP, parti au pouvoir.

Pour un souci d’équité, l’opposition souhaiterait être partie prenante de l’ONI, tout comme elle l’est à la CENI (Commission électorale nationale indépendante) pour éviter des velléités de production massive de cartes frauduleuses en vue des élections. Certains ont transporté des urnes dans ce pays, mais se retrouvent aujourd’hui dans le parti au pouvoir ; donc nous ne pouvons qu’être très inquiets de ce qu’ils pourraient concocter.

Il faut permettre à tous les Burkinabè du monde de voter avec les documents les plus accessibles et non les exclure par des stratagèmes.

Lefaso.net : Il semble que l’opposition tente de discréditer l’ONI !

A.D. : Non, pas du tout. Au contraire, nous saluons l’énorme travail abattu par l’ONI. Cependant, compte tenu des enjeux, et par mesure de prudence, vu que la CNIB (Carte nationale d’identité burkinabè) devient un document de votation, l’opposition émet des réserves pour un scrutin plus transparent.

Lefaso.net : La loi sur le code électoral ne permet-elle pas en réalité à tous les Burkinabè du Burkina et de la diaspora d’être égaux sur ce plan ?

A.D. : Donc les Burkinabè n’étaient-ils pas égaux ? À ce que je sache, ils naissent libres et égaux, et le droit de vote leur est garanti par la Constitution. Bien au contraire, à écouter les explications laborieuses de certaines autorités, c’est maintenant que ce nouveau code vient créer une fracture, car certains seraient indexés de non-Burkinabè par leurs propres frères : c’est une discrimination.

Lefaso.net : Avec ces positions tranchées et figées, le processus électoral n’est-il pas déjà mal parti ?

A.D. : Très souvent, à l’approche des élections en Afrique, les autorités en place modifient les textes en vigueur, pour s’assurer une victoire. Il va de soi que, lorsque le consensus n’est point privilégié sur des questions aussi importantes et sensibles, tout le processus est biaisé et des crises pré et post-électorales peuvent en découler.

Lefaso.net : L’atmosphère est suffisamment tendue et l’opposition politique entend ne pas se laisser faire et le pouvoir clame « une réelle victoire » !

A.D. : Pour un régime responsable, il n’y a pas de quoi jubiler après le vote d’un nouveau code électoral, sauf si celui-ci est partial et cache certaines velléités inavouées. Une loi est de portée générale et doit préserver la cohésion et l’intérêt de tous. C’est de bonne guère que nous n’allons pas nous laisser faire, car le régime est en train de ficeler une victoire par tous les moyens aux prochaines élections. Avec de probables fraudes.

Lefaso.net : Vous qui avez longtemps vécu à l’extérieur et qui entretenez toujours un lien avec la diaspora, quel peut être l’impact du nouveau code électoral par rapport à la diaspora ?

A.D. : La diaspora burkinabè regorge de compétences qui n’attendent que d’être exploitées. Hélas, les vieux démons ont rattrapé le MPP.

Une grosse déception, d’autant plus que cette diaspora, au sortir du forum national à elle consacrée en juillet dernier, estimait qu’elle serait mieux considérée et non rejetée par un code électoral interposé.

Les valeurs de la République nous imposent de toujours nous projeter vers le futur, lors des prises de grandes décisions : il s’agit d’être visionnaire et de nous départir des petits calculs. La remise en cause de la fiabilité de la carte consulaire par certaines autorités jette un discrédit sur nos institutions car, délivrées par des autorités burkinabè déléguées par le pouvoir politique.

Nos ressortissants pourraient s’exposer désormais au refus des pays d’accueil de reconnaître ces documents et je vous laisse imaginer les tracasseries. Nous avons toujours en mémoire le rapatriement de Burkinabè de la Côte d’Ivoire, de la Lybie. Ne creusons pas notre propre tombe pour des élections.

Lefaso.net : Avec cette situation, peut-on conclure que le forum national de la diaspora a effleuré un aspect important, lorsqu’on sait que la question des documents a été la principale préoccupation partagée par les participants et que le débat aurait pu y être posé clairement ?

A.D. : J’ai salué l’idée du Forum national de la diaspora, car ayant participé à une rencontre préparatoire à Paris en mai dernier. C’était, pour moi, l’espoir que la diaspora occupe enfin une place de choix et contribue véritablement à l’essor économique du pays. J’y ai cru.

Malheureusement, ce forum se serait transformé en une kermesse, des vacances avec per diem pour des militants du parti au pouvoir venus se reposer et se ressourcer.

Certains sont arrivés le jour du forum, d’autres la veille de la clôture des travaux, d’autres sont arrivés en Business Class. À l’heure du bilan, une loi d’exclusion : c’est le mouta-mouta du MPP.

Lefaso.net : Quelle solution peut-on envisager, à même de satisfaire tout le monde (majorité, opposition, diaspora) ?

A.D. : Au nom de l’intérêt supérieur de la nation, le président du Faso, candidat MPP aux prochaines présidentielles, garant de l’unité nationale, gagnerait à ne pas promulguer cette loi pour privilégier encore le consensus sur cette question très délicate.

« La démocratie, ce n’est pas le consensus. La démocratie, c’est la règle du nombre. Le nombre, c’est plusieurs hommes. Le consensus, ce n’est que les grands hommes. Seuls les grands hommes sont capables de consensus », disait Aissata Tall Sall, avocate et parlementaire sénégalaise.

Il est encore temps de faire demi-tour en toute sagesse et les Burkinabè ont d’autres difficultés plus urgentes.

Lefaso.net : Pour mettre fin à l’entretien ?



A.D. :
Nous avons besoin de maturité politique.

Que Dieu bénisse le Burkina Faso !

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net