Président de l’Assemblée nationale du Burkina de 1997 à 2002 ; ancien ministre chargé des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique ; diplomate de carrière ; consultant international et chef coutumier (pour ne citer que ces aspects-là), Mélégué Traoré est une figure bien avisée des questions qui touchent à la vie du pays. Dans cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président du Centre parlementaire panafricain (CPPA), par ailleurs responsable du cabinet Africa Consult & performances, passe au scanner le discours du Premier ministre sur la situation de la nation, la vie des institutions nationales, la création du poste de « ministre d’Etat auprès de la présidence du Faso », la situation nationale. Interview !

Lefaso.net : 48 heures après le discours du Premier ministre sur la situation de la nation, quel commentaire pouvez-vous en faire ?

Mélégué Traoré : Le discours sur la situation de la nation est un mécanisme, que le Burkina Faso a copié aux Etats-Unis d’Amérique. Là-bas, effectivement le président prononce au mois de janvier, chaque année, un discours qu’on appelle « discours sur l’état de l’Union ». Chez nous ici, on l’appelle « Discours sur la situation de la nation », mais cela revient au même. Ce discours est conçu comme étant un des principaux mécanismes de contrôle parlementaire de l’exécutif. Le président rend compte donc au Congrès américain, les deux Chambres réunies, la Chambre haute, qui est le Sénat et la Chambre basse, qui est la Chambre des représentants. Le discours est toujours reçu à la Chambre des représentants. C’est là que les deux chambres se réunissent pour la circonstance et la séance est présidée par le président de la chambre des représentants. Chez nous, il est vrai que le Chef de l’Etat peut, s’il le décide, venir lire des messages devant l’Assemblée nationale ou les faire lire par le président de l’Assemblée nationale, mais c’est le Premier ministre qui, constitutionnellement au Burkina, expose la situation de la nation une fois par an devant les députés. Le but est d’informer la représentation nationale, de donner des indications sur le programme et l‘action du gouvernement, de mettre en exergue les perspectives, et de répondre aux questions des élus. Et grâce aux questions des députés, et aux réponses du Premier ministre, on entre dans le contrôle, ce qui permet aussi au gouvernement d’orienter ses actions.

Ce discours est annuel et est prononcé au début de la première session de l’Assemblée nationale. C’est donc un temps fort de la vie politique et institutionnelle du pays. Le discours doit être solennel ; il a été conçu pour ça, il faut vraiment souligner cet aspect « solennel » ici, sinon il suffirait d’un simple rapport annuel écrit, qu’on distribuerait aux députés. Si on le fait donc prononcer, c’est parce qu’il s’agit d’une adresse solennelle.

Lefaso.net : Que recouvre, ici, la notion de « solennité » et quelle appréciation faites-vous du discours ?

Mélégué Traoré : Ce discours n’est pas la simple lecture d’un texte, car le Premier ministre communique avec la représentation nationale dans un contexte solennel en vérité. C’est donc une prestation à caractère cérémoniel. Et c’est probablement ce qui a manqué à la dernière présentation du discours du Premier ministre sur la situation de la nation. Le discours doit avoir de la tenue et de la hauteur. J’y étais, mais je me suis retiré à 13h à l’interruption ; non seulement parce que j’avais une réunion, mais aussi parce que c’était devenu trop long. On n’en était qu’à 30 pages sur 60. Si j’ai une appréciation à donner sur ce discours, c’est que, côté positif, l’on a vraiment eu des informations de base à travers les statistiques et les chiffres donnés par le Premier ministre, avec un luxe de détails. Il a dessiné avec clarté la direction que le gouvernement donne à son action sous le magistère du président du Faso. Et cela a été bon. Les diplomates, les ambassadeurs, qui étaient dans l’hémicycle étaient visiblement intéressés, tout comme les députés par la masse d’informations. Sur ce plan-là, le chef du gouvernement a été irréprochable. Peut-être même qu’à force de vouloir donner trop de détails, finalement, on ne sait plus que choisir des flux d’informations qui étaient fournies.

Sur ce plan, le discours du Premier ministre pourrait s’en tenir aux informations stratégiques, lourdes et de politique générale, en laissant les détails aux questions orales ou écrites qui sont posées régulièrement par les députés aux ministres. S’il établit le tableau et tranche avec tant d’autorité dans son discours annuel, que reste-t-il à faire pour les membres du gouvernement ? Côté forme, se pose la question du volume et donc du discours avec une soixantaine de pages. C’était trop. Et pour peu que le texte soit lu lentement, la longueur devient excessive. En plus, dans le cas présent, le Premier ministre a fait beaucoup de digressions qui n’étaient pas dans le texte écrit ; le discours avait perdu toute solennité avec les commentaires et les blagues, car il ne s’agit pas dans de telles circonstances, de faire rire ou applaudir.

Lefaso.net : Que pensez-vous des commentaires qu’il faisait lors du discours ?

Mélégué Traoré : On peut certes apprécier ce style de communication légère et ouverte, mais de tels commentaires ne sont pas de mise pour la circonstance ; ils ne sont pas indiqués ici. J’ai assisté à plusieurs reprises au Congrès américain, quand je dirigeais notre Ambassade à Washington, à la présentation du discours sur l’état de la nation, du temps de Ronald Reagan à l’époque. On ne l’aurait pas imaginé un seul instant, faisant ce genre de digressions. Ce sont aussi ces digressions qui ont rendu la présentation trop longue. Or, toutes les études de sociologie et d’animation des groupes montrent que quand vous parlez seul devant un public, sans que l’auditoire ne puisse répondre du tic au tac, ou poser des questions, à partir de 45 minutes, la moitié de l’assistance n’écoute plus ou même quand elle écoute, elle ne retient pas plus de 25% de ce que vous dites. Plus le discours est long, moins il est porteur pour ceux qui écoutent. Il n’y avait qu’à voir dans l’hémicycle, la lassitude qui se lisait sur les visages, sans compter les députés qui somnolaient.

Le Président de l’Assemblée nationale a vite vu la difficulté, et il a interrompu le Premier ministre. Il était dans son rôle quand il l’a fait, même si visiblement, ce dernier n’a pas beaucoup apprécié. Ça a été fait avec élégance et finalement tout est rentré dans l’ordre. Par rapport aux commentaires hors-texte, c’est à ce niveau que Paul Kaba Thiéba a fini à mon avis, par aller trop loin dans les attaques contre l’opposition. Pour le but visé par le discours sur la situation de la nation qui est censé être fédérateur, ce n’était pas nécessaire. Surtout que la référence au passé n’excuse pas la situation actuelle. Ce n’est pas en faisant tout le temps référence à ce qui s’est fait ou ne s’est pas fait sous Blaise Compaoré, et dont les principaux acteurs sont aussi les principaux dirigeants de ce pays actuellement, qu’on résout nos problèmes. Surtout quand il y a des affirmations inexactes. Dire que Blaise Compaoré n’a rien fait en 30 ans, ça ne fait pas sérieux. Personne ne croit à ça véritablement, y compris les adversaires de l’ancien pouvoir. Voilà pourquoi je dis que d’un côté, nous avons eu droit à un discours très riche, qui peut servir de référence non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour nos partenaires extérieurs et de l’autre, un discours trop long, avec des digressions qui n’étaient pas indispensables et qui en plus étaient inappropriées.

Lefaso.net : Ce rendez-vous de discours sur la situation de la nation, ce sont aussi ces commentaires selon lesquels, lorsque le Premier ministre est entré dans l’hémicycle, tout le monde ne s’est pas mis débout alors qu’autour du Président de l’Assemblée nationale, ils se sont tous mis débout. Y-a-t-il des règles établies en la matière ?

Mélégué Traoré : L’obligation en la matière est que nul ne doit rester assis dans un hémicycle, quand le Président de l’Assemblée nationale y fait son entrée ; tout le monde doit se mettre débout. C’est universel. Pour le Premier ministre, on peut et on devrait le faire par courtoisie. La courtoisie républicaine et la pratique en matière de protocole, veulent que quand le Chef du gouvernement de la nation entre, on se lève. C’est le b.a.ba du protocole et de l’étiquette. En résumé, pour le Président de l’Assemblée nationale, c’est clair, c’est obligatoire, il n’y a pas à discuter. Mais le Premier ministre, quand il entre dans l’hémicycle, par égard pour lui, et par considération pour les fonctions qu’il occupe, on se lève ; on ne se lève pas parce qu’on est petit par rapport à lui, mais plutôt par courtoisie républicaine.

Lefaso.net : Avec votre expérience de Président de l’Assemblée nationale…, comment avez-vous trouvé la prestation de votre jeune frère, Bala Alassane Sakandé ?

Mélégué Traoré : Il était vraiment dans son rôle ; sa prestation était très bonne. Dans ce genre de circonstances, le Président de l’Assemblée nationale s’en tient à son rôle de représentant central du Parlement et de président de séance. C’est pour cette raison que je crois que l’initiative qu’il a prise de demander au Premier ministre de prendre un café n’était pas du tout mauvaise ou déplacée. En réalité, il a rendu service au chef du gouvernement.

Lefaso.net : … Même si son hôte, le Premier ministre, ne semblait pas très favorable à la proposition !

Mélégué Traoré : Oui, mais dans l’enceinte parlementaire, le Premier ministre fait ce que le Président de l’Assemblée nationale dit de faire, c’est une des caractéristiques du Parlement. Vous savez, dans une Assemblée nationale, personne ne peut venir avant le Président de celle-ci, même pas le chef de l’Etat. Quand le chef de l’Etat vient à l’Assemblée nationale (encore que dans notre système, normalement, il ne doit pas venir à l’Assemblée nationale, mais on a adouci la pratique en admettant qu’il puisse venir y lire des messages), il se place après le Président du Parlement, qui préside la séance. Un principe du droit parlementaire veut que personne d’autre ne puisse venir avant le Président de l’Assemblée nationale dans l’enceinte parlementaire. Dans notre système protocolaire, après le chef de l’Etat, vient le Premier ministre, tant que l’on est hors du parlement. Le seul moment où le Premier ministre met le pied à l’Assemblée nationale, la préséance revient au Président de l’Assemblée nationale.

Lefaso.net : Mais comment avez-vous apprécié les questions soulevées par les députés ?

Mélégué Traoré : C’est difficile d’apprécier, car je ne suis pas resté jusqu’ aux questions. Pour ce type de discours, normalement, tout député devrait avoir le droit de poser des questions sur la situation de la nation au Chef du gouvernement. Il semble qu’actuellement, on ne permet pas aux députés non-inscrits de prendre la parole. Si c’est vrai, ce n’est pas normal en droit parlementaire fondamental. Car, tous les députés ont le droit de poser des questions au Premier ministre pour cet exercice ; c’est un droit constitutionnel des élus. Le système peut être encadré, mais pas jusqu’à priver un député de ce droit fondamental. Tout cela s’observe parce que nous en sommes arrivés au fil des législatures, à trop encadrer les députés par les partis politiques, donc par les groupes parlementaires. A partir de là, les questions ne sont plus réellement celles des députés, ce sont plutôt celles qui sont discutées et retenues au sein des groupes parlementaires. Il faudrait donner plus d’aération du système ; ce qui permettrait de mieux faire fonctionner la démocratie et le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale par tous les députés. C’est à ce niveau qu’il faut apporter du changement. Je ne vais pas m’étaler là-dessus, mais je dois dire que nous, au Centre parlementaire ici, nous avons affaire quotidiennement à ce genre de questions pour tout le continent. J’ai déjà vu des situations pareilles récemment à Djibouti. Il faut que l’organisation parlementaire soit beaucoup mieux conçue. Autrement, on finit par tuer le dynamisme du parlement par excès de formalisme.

Lefaso.net : Un centre comme le vôtre doit avoir beaucoup à faire sur ce plan, en principe … !


Mélégué Traoré : En principe oui, mais à condition que le Parlement vienne vers nous. Ce que je peux vous dire, c’est que nous travaillons avec le Parlement burkinabè sur quelques questions, mais également, et beaucoup plus avec les autres parlements africains. Nous sommes sollicités dans les autres parlements, pour les aider à rédiger les règlements, à structurer le travail parlementaire, ou à organiser la formation des députés et des sénateurs, notamment en légistique ou en diplomatie parlementaire.

Lefaso.net : De façon générale, quels sont les axes par lesquels le CPPA est le plus sollicité aujourd’hui ?

Mélégué Traoré : C’est incontestablement la légistique, la recherche et les techniques d’élaboration et de rédaction des lois, des traités et des accords internationaux, le développement des parlements nationaux ou communautaires. Les juristes connaissent le droit, mais connaître comment on le produit est tout autre chose. Je suis actuellement en train de préparer un séminaire pour les juristes de l’UEMOA, sur la rédaction des textes internationaux, c’est-à-dire la légistique internationale. On est aussi beaucoup sollicité sur le protocole, mais cet axe tient surtout à mon propre profil de diplomate de carrière. Quand nous avons conçu le Centre en 1999, les premières sollicitations que j’avais reçues, concernaient l’organisation des séminaires des agents des Protocoles d’Etat. Par la suite, la formation a été étendue aux protocoles des parlements, des ministères et des institutions. Il y a bien d’autres aspects également, notamment la consultation, les études ou l’expertise sur les politiques publiques.

Lefaso.net : Vous avez également un Cabinet, Africa Consult & Performances, qui travaille au sein du centre, et à ce titre vous êtes consultant, notamment de l’ONU sur des questions précises. Ça fait quand même beaucoup comme activités ! D’où tirez-vous toutes ces énergies après avoir tant donné à la vie politique également ?

Mélégué Traoré : Vous savez, je suis né dans un milieu fait de travail, et j’ai été éduqué, comme tous les jeunes Sénoufo de ma génération, à sacraliser le travail. Je ne sais que travailler, je ne pense pas que je sache faire autre chose. Même les samedi et dimanche, vous me trouverez au bureau. Oui, parce que dans le milieu Sénoufo où j’ai grandi, il n’y avait que le travail de la terre, et tout le temps. Nous sommes dans une région aussi où les pluies, quand nous étions jeunes, cessaient au début du mois de janvier et reprenait en mars. Il n’y avait donc que le mois de février pendant lequel nous nous reposions véritablement, et même que là, on s’occupait de la construction des greniers, de la reconstruction des cases et de la chasse. Je ne sais pas me reposer, c’est peut-être un défaut aussi d’ailleurs.

Lefaso.net : Avec le contexte actuel, votre Centre est sans doute beaucoup sollicité, on l’imagine !

Mélégué Traoré : C’est exact, mais le CPPA est plus sollicité par l’extérieur qu’au Burkina même. Mais ça, c’est typiquement burkinabè, nous faisons rarement confiance aux nationaux, sans compter les considérations de différents ordres. J’ai eu à émettre d’ailleurs quelques opinions dans la presse sur la manière dont l’Assemblée nationale est organisée actuellement et il est certain que si on m’avait demandé mon avis au début de la législature, le Règlement ne serait pas ce qu’il est actuellement, et le fonctionnement de l’Assemblée n’aurait pas été celui-là. Et puis, j’ai toujours émis une critique, qui est générale à toute l’Afrique. Je ne comprends pas et j’admets mal que près de 60 ans après les indépendances, nous en sommes encore à aller en France, aux Etats-Unis, au Canada, ou ailleurs, chercher à connaître comment organiser un parlement national. Je vous rappelle que le Conseil général de la Haute-Volta, l’ancêtre de l’Assemblée nationale actuelle date de 1948. Or, ça, c’est le problème de toutes les assemblées africaines.

En Afrique, dès qu’une nouvelle législature se met en place, le premier réflexe du Président de l’Assemblée, est de dépêcher à Paris, à Londres, à Ottawa, des missions pour voir comment l’Assemblée doit être organisée, comment sont les commissions, et bien d’autres choses encore. Résultat, ceux qui vont copier le système français sont convaincus par exemple, que tout parlement doit avoir un ou plusieurs questeurs. Ils ignorent que le poste de questeur est typiquement français. Tout près de nous, les parlements ghanéen, nigérian, libérien, et Sierra-Léonais, ou kényan et namibien ne connaissent pas ce qu’est un questeur, car il n’existe pas dans les parlements anglophones. Et tous ces intellectuels que notre pays a formés depuis 1960, c’est pour faire quoi ?

L’Etat a formé des politologues, des juristes, des sociologues, des ingénieurs, des agronomes, des spécialistes dans tous les domaines. Et tout le personnel d’expertise parlementaire que nous possédons, à l’image d’Alphonse Nombré, de la secrétaire générale actuelle du parlement, des juristes, des anciens parlementaires expérimentés, des politologues, qu’en faisons-nous ? Ce sont des personnes qui peuvent vous écrire les yeux fermés, le règlement d’une Assemblée nationale ! A-t-on besoin aujourd’hui d’aller chercher des consultants ailleurs ? C’est cela la perpétuation de la colonisation. Il est vrai qu’on ne colonise que les personnes et les peuples colonisables.

Lefaso.net : On a l’impression que le Burkina Faso souffre aussi et surtout d’une absence de capitalisation de ressources humaines !

Mélégué Traoré : Absolument ! Il en a toujours été ainsi. Là, nous sommes en train de parler du parlement. Mais, prenez la recherche scientifique, l’une des meilleures d’Afrique. J’ai été cinq ans durant, ministre de la recherche scientifique et je sais de quoi je parle. Je peux vous assurer que nos chercheurs au CNRST (centre national de la recherche scientifique et technologique) et dans les universités, comptent parmi les meilleurs du continent. Et pourtant, le gouvernement part chercher, pour des dossiers simples, des consultants étrangers, alors que le Burkina en a ici au CNRST et dans les universités, qui valent deux fois mieux. Et puis, regardez le maigre budget qui est consacré au CNRST et aux universités !

Lefaso.net : Mais, cela est dû à quoi ?

Mélégué Traoré : C’est dans la tête d’abord : le problème réside dans le mental des dirigeants et des élites. Quand on est durablement colonisé et qu’on manque de recul, il est difficile de décoloniser le mental. L’auto-sous-évaluation souvent par complexe, se transmet de génération en génération ; ce n’est donc pas une question d’individus seulement. Le fait que nous ne valorisions pas ce que nous sommes nous-mêmes, finit par se transmettre des individus au système lui-même et c’est ce qui explique que la situation perdure.

Cela dit, je collabore bien avec le parlement burkinabè quand je suis sollicité. Avec Salifou Diallo (dont je salue la mémoire), nous avions arrêté un certain nombre de chantiers qu’il confiait au CPPA, dont la rédaction d’un livre sur l’histoire du Parlement burkinabè, que j’ai commencée depuis l’an dernier, et qui est très avancée. L’on n’a pas encore repris la coopération avec le parlement sur ces questions. On doit se rencontrer prochainement avec le Président Sakandé pour relancer ces projets. L’Assemblée nationale est en train d’élaborer le « Guide du député », projet pour lequel je servirai de consultant quand l’équipe qui est chargée de la rédaction, fera la finalisation des travaux lors d’un atelier en mai. Le Burkina a vraiment intérêt à valoriser ses ressources humaines, d’autant plus que c’est la seule véritable richesse durable que notre pays détient.

Qu’est-ce que le Burkina a, en dehors de l’agriculture si on sait l’organiser, et de nos ressources humaines de grande qualité ? Même l’or dont on vante tant l’apport pose problème. Des mines d’or qui ne dépassent pas quinze ou 20 ans de durée d’exploitation, ne permettent pas de planifier et d’opérer le développement d’un pays. En revanche, les élites intellectuelles, les professeurs à l’Université, les sociologues, les chercheurs, les médecins, les ingénieurs, les artistes, les écrivains, voilà la richesse. Valorisons ces ressources humaines et vous verrez qu’un pays peut se développer sans ressources naturelles, matérielles ou économiques. De quelles ressources la Suisse dispose-t-elle ? Rien du tout. Pourtant aujourd’hui, c’est l’un des pays les plus riches au monde.

Voyez aussi le Liban et Taiwan ! Le Burkina pourrait être le véritable cerveau de l’Afrique de l’Ouest, c’est sûr. Nous avons le capital humain pour ça. Et quand je parle de capital humain de qualité, c’est à tous les secteurs que je pense. Il s’agit tout autant de la qualité de la paysannerie agricole, du monde ouvrier, des artisans, de tout ce monde qui a construit tous les grands chantiers de l’AOF (Afrique-Occidentale française) et du Ghana. Je ne parle pas seulement de l’intelligentsia. Ce sont encore les Burkinabè qui sont aujourd’hui les édificateurs de la prospérité de pays tels que la Côte d’Ivoire et le Ghana. Le développement aussi résulte de l’intelligence des faits et des situations.

Lefaso.net : Pourtant, on a toujours prôné la « valorisation du capital humain », de Blaise Compaoré au programme de Roch Kaboré ! Qu’est ce qui ne marche pas alors ?

Mélégué Traoré : C’est là que le bât blesse : l’absence de continuité. Quand un ministre prend des initiatives, qu’un autre arrive, ce dernier se croit toujours obligé de tout changer pour qu’on dise qu’il a innové. Regardez les organigrammes des ministères (même s’il existe maintenant un organigramme-type), c’est un éternel recommencement. Un nouveau ministre arrive, sa première initiative, c’est d’élaborer son organigramme à lui, puis de changer de secrétaire général. Comment évoluer avec ça ? C’est dans les années 90 que l’on est arrivé là. Car, jusqu’au milieu des années 80, un secrétaire général de ministère restait sous deux ou trois ministres, parce qu’il était le cerveau, la concentration technique, la mémoire et la continuité de l’administration. Mais aujourd’hui, quand un nouveau ministre s’installe, il amène son directeur de cabinet, son chef de cabinet, ses conseillers techniques, ses chargés de missions, cela est normal, c’est l’équipe politique. Mais le secrétaire général et les grands directeurs ne sont pas des politiques, ils devraient demeurer à leur poste. Rien que cet acquis suffirait pour assurer la continuité.

Aujourd’hui, à Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso, sont assis à la maison pendant des années, d’excellents cadres des différents ministères, parce que tout simplement la direction politique du pays a changé. C’est du gâchis, surtout quand l’Etat a tant dépensé pour former les cadres. Des cadres sont relevés de leur poste, pourtant très compétents dans leurs domaines, et passent deux ou trois ans à la maison, sans affectation, tout en étant payés par l’Etat. Ça s’est vu sous tous les régimes depuis 1966 ; il ne s’agit donc pas d’accabler uniquement le MPP (parti au pouvoir, ndlr) et l’équipe au pouvoir actuellement.

Lefaso.net : Revenons au cas du CNRST, que vous connaissez bien également, c’est quand même un domaine qui pouvait booster les autres secteurs de développement et très utile dans ce contexte de crises alimentaires répétées !

Mélégué Traoré : Bien sûr ! Il faut sur ce plan parfois s’opposer à la Banque mondiale frontalement et aux autres bailleurs, en faisant accepter le fait que la recherche scientifique n’est pas un secteur social, c’est un secteur vital de soutien à l’investissement. C’est dans cet esprit que j’ai fait élaborer et adopter par le gouvernement le plan stratégique de la recherche scientifique en 1995. Le FRSIT (Forum national de la recherche scientifique et des innovations technologiques) aussi avait été créé dans cette optique avec Michel Sedogo, alors Directeur général du CNRST, ou encore le Tour du Faso de la recherche scientifique.

Lfeaso.net : Le problème se situe-t-il donc au niveau de la Banque mondiale ?

Mélégué Traoré : Ce n’est pas la Banque mondiale qui est particulièrement en cause ; c’est tous les bailleurs ou partenaires. Lorsque vous discutez avec eux, vous constaterez qu’ils placent la recherche scientifique parmi les secteurs sociaux. Pourtant, cela n’a rien à voir ! Comment augmenter la productivité et les rendements agricoles sans recherche scientifique ? Et c’est vrai dans tous les secteurs. Or, le budget de la recherche scientifique, est un budget de misère ! Si l’on veut aller de l’avant, il faut copier sur ce point, ceux qui viennent ici, avec l’objectif proclamé de nous aider, car dans leurs propres pays, les budgets de la recherche scientifique dans chaque secteur, sont colossaux, comme ceux des enseignements.

Lefaso.net : Parlant d’institutions…, avec le dernier remaniement, on a assisté à la création d’un ministre d’Etat auprès de la présidence du Faso. D’abord, il y a souvent confusion, même à travers certaines notes de l’administration. Faut-il dire « Ministre d’Etat auprès de la présidence » ou « Ministère d’Etat auprès de la présidence » ?


Mélégué Traoré : Une précision d’abord : il n’y a pas de « Ministère d’Etat » ; il n’y a que des « ministres d’Etat ». Il y a actuellement un « ministre d’Etat à la présidence » ou « ministre d’Etat auprès de la présidence du Faso », les deux termes s’utilisent, et c’est Simon Compaoré. Il faut toujours rectifier. La rationalisation des fonctions gouvernementales est faite de telle sorte que chaque grand secteur de l’Etat, soit confié à un ministre ; ce qu’on appelle « ministère ». Donc, « ministère d’Etat », ça ne veut rien dire du point de vue du découpage en secteurs d’action gouvernementale, à moins qu’un véritable secteur ne soit confié au Ministre d’Etat. Ce fut le cas pour Blaise Compaoré à la Justice sous le CNR (Conseil national de la révolution), de Roch Kaboré aux Finances et au Plan, de Salif Diallo à l’Agriculture, d’Alain Yoda à la Santé, de Youssouf Ouédraogo (paix à son âme !) et de Djibrill Bassolé aux Affaires étrangères, de Naboho Kanidoua à la Défense.

Lefaso.net : Quelle différence peut-on faire entre ministre (tout court) et ministre d’Etat ?

Mélégué Traoré : Reprenons historiquement. A la fin de l’époque coloniale, à partir de 1957, c’est-à-dire quand a commencé l’application de la loi-cadre de Gaston Defferre de 1956 ; celle qui a permis de créer les véritables assemblées que nous avons actuellement, Félix Houphouët-Boigny était ministre d’Etat en France en 1958. Sous Maurice Yameogo, il n’y a pas eu de ministre d’Etat, jusqu’à son dernier gouvernement. La première fois qu’il a nommé un ministre d’Etat, c’était Moussa Edouard Yameogo dans ce gouvernement du 8 décembre 1965. Il était chargé du Développement. Sous Sangoulé Lamizana, il n’y a pas eu de ministre d’Etat. Ce fut pareil avec le colonel Saye Zerbo et le président Jean-Baptiste Ouédraogo. Ce n’est qu’avec la Révolution que fut repris le système des « ministres d’Etat », et Blaise Compaoré a été, pendant toute la période du CNR, ministre d’Etat – ou ministre d’Etat délégué à la présidence ou encore ministre d’Etat chargé de la Justice. Par la suite, il y a eu plusieurs autres ministres d’Etat.

L’appellation « ministre d’Etat » qui a continué, désigne uniquement une distinction républicaine et une prééminence politique avec ce titre, que le président du Faso accorde intuitu personae à un membre du gouvernement. Ce choix peut tenir compte de trois facteurs : la notoriété de la personnalité, l’appartenance à un parti, ou l’importance d’un secteur ministériel auquel le chef de l’Etat accorde une importance particulière. Quand Hermann Yameogo est devenu Ministre d’Etat, Ministre de l’Intégration régionale en 1992, c’était bien parce que non seulement il était une des principales personnalités politiques du pays, mais aussi parce que Blaise Compaoré voulait donner de l’importance à l’intégration régionale. Mais, je le répète, le titre ne correspond qu’à des effets protocolaires.

Lefaso.net : Effectivement, on retiendra que dans le régime Roch Kaboré (et jusque-là) que Simon Compaoré se déplace avec son titre de « ministre d’Etat ».

Mélégué Traoré : Oui, le titre suit le parcours de Simon Compaoré, non seulement parce qu’il est une des personnalités influentes de l’Etat, qu’il a un statut éminent au sein du MPP au pouvoir, mais aussi parce qu’il y a cette prégnance des questions de décentralisation et de sécurité aujourd’hui.

Lefaso.net : Quel est son rapport avec les autres ministres ?

Mélégué Traoré : Il faut d’abord balayer toute idée de hiérarchie ; il n’y a pas de rapport hiérarchique entre le ministre d’Etat et les autres ministres. Ils sont tous égaux du point de vue du droit. Le ministre d’Etat ne peut pas donner d’instruction à un autre ministre ; si la relation était hiérarchique, il aurait pu en donner. Je comprends que certains ministres considèrent ou croient vraiment que le ministre d’Etat est leur supérieur. Ce qui n’est pas le cas. Il m’est déjà arrivé, quand j’étais à l’Enseignement supérieur, de relever en conseil des ministres, qu’il n’y a pas de ministère d’Etat, mais des ministres d’Etat, et qu’ils ne sont pas supérieurs aux autres ministres. « Le ministre d’Etat » est un titre de fonction qui ne joue qu’au niveau de l’étiquette et du protocole. On peut aussi ajouter que c’est important politiquement, ce qui n’a rien à avoir avec le droit. Au niveau de la préséance, à une cérémonie, on placera d’abord les ministres d’Etat avant les autres membres du gouvernement. Un deuxième niveau où le titre peut jouer politiquement, c’est que dans certains pays, quand le Premier ministre est absent, l’intérim est assuré par un ministre d’Etat. Un troisième niveau où le titre opère, c’est celui du traitement : les indemnités servies aux ministres d’Etat sont supérieures à celles versées aux autres membres du gouvernement.

Quatrièmement, dans un certain nombre de pays, au niveau des véhicules de fonction, le ministre d’Etat dispose d’une cylindrée beaucoup plus grosse que les autres ministres ; il bénéficie parfois même d’un véhicule plus luxueux. Et cinquièmement, au niveau de la sécurité : dans certains pays, alors que les autres ministres ont droit à un seul agent de sécurité, les ministres d’Etat ont deux ou trois. C’est le président du Faso qui décide de qui est ministre d’Etat, même si ce n’est écrit nulle part. N’oubliez pas que le Président du Faso est au sommet et au départ de l’étiquette d’Etat.

Lefaso.net : Quel est l’enjeu de la création du ministre d’Etat auprès de la présidence, lorsqu’on sait qu’en plus du ministre des affaires étrangères, des chargés de missions auprès de la présidence du Faso, il y a un haut représentant du président du Faso ?

Mélégué Traoré : Tout dépend du président du Faso. Le titre de haut représentant apparu récemment chez nous, entre dans l’ordre de l’étiquette, c’est simplement un représentant personnel du Chef de l’Etat. On aurait pu d’ailleurs l’appeler ainsi ou l’appeler ministre d’Etat à la présidence. Cela aurait créé moins de critiques et une polémique inutile. Du reste, nous n’avons fait que copier d’autres pays tels que le Niger et le Mali. Quant au statut du ministre des affaires étrangères, c’est clair, son statut est unique au sein du gouvernement. En relations internationales, c’est lui seul qu’on connaît au cœur de la diplomatie : c’est une institution internationale, beaucoup plus que le président lui-même. Le ministre d’Etat à la présidence, aurait pu détenir un portefeuille comme Blaise Compaoré sous Thomas Sankara : le titre aurait été mieux rentabilisé. Néanmoins, il y a un certain nombre de tâches spécifiques que le président du Faso lui confie. Je suppose que Simon Compaoré est amené à gérer des questions présidentielles comme Amadou Gon Coulibaly en Côte d’Ivoire avant de devenir Premier ministre. Nous aurons dans les faits, deux responsables pour le champ présidentiel : le Haut Représentant et le Ministre d’Etat.

Lefaso.net : Mais au regard de toutes ces ressources qui gravitent autour de la présidence, ne peut-on pas dire qu’avec la création de ce poste, on assiste désormais à la création d’un vice-président de fait ?

Mélégué Traoré : Non, notre Constitution ne prévoit pas de vice-président du Faso. Le faire serait inconstitutionnel. On n’invente pas la nomenclature officielle dans l’Etat, de par sa seule volonté.

Lefaso.net …certes, mais de fait !

Mélégué Traoré : Non, un vice-président aurait été le supérieur des autres ministres ; ce qui n’est pas le cas ici. Je ne me préoccupe pas de savoir si les ministres ne considèrent pas les choses ainsi, car probablement certains parmi eux pensent que le ministre d’Etat leur est supérieur même si c’est erroné. Cela dit, en l’absence d’un secteur dont il aurait la charge, il ne me semble pas raisonnable d’établir une véritable administration lourde, de services, au-delà du cabinet du ministre d’Etat. Notre pays n’en a pas les moyens, surtout en ce moment.

Lefaso.net : Avec toutes ces institutions qui gravitent autour de la présidence du Faso…, ça ne fait pas trop ?

Mélégué Traoré : Il s’agit, là, d’une option qui a été prise par le Chef de l’Etat et il faut la respecter ; parce que la Constitution lui donne ce pouvoir d’organiser les structures qui peuvent l’aider. Ce sont des choses qu’on ne doit pas discuter ; on peut seulement supposer que si c’était plus dépouillé, ce serait plus fonctionnel. Sinon, on ne peut pas lui contester cette prérogative, sans quoi il ne serait plus le président du Faso. La charpente institutionnelle habituelle autour du président du Faso, c’est d’abord, normalement, le secrétaire général du gouvernement au point de vue de l’organisation institutionnelle de l’Etat, et le directeur de cabinet qui dirige son équipe politique. Et quand on dit présidence du Faso, tout de suite on glisse vers les institutions telles que le Conseil économique et social, le Médiateur du Faso, le Conseil supérieur de la communication, et les autres structures. Cela étant observé, ce n’est pas l’inflation institutionnelle qui fait le développement. Elle est rarement le signe d’une bonne gouvernance.

Lefaso.net : Quand on prend une institution comme le Médiateur du Faso, quel rang doit-il occuper dans le dispositif institutionnel ?


Mélégué Traoré : Pendant longtemps, le Médiateur du Faso n’était pas inscrit dans la Constitution, et je me souviens des tentatives vaines de Tiémoko Marc Garango pour que la fonction le soit. Cela n’a pas été facile, parce que beaucoup n’étaient pas d’accord avec lui. Finalement, le Médiateur a été intégré à la Constitution et son rôle est très précis. L’Etat a une administration avec des administrés, ceux-ci ont souvent des problèmes avec elle. Son rôle est donc bien circonscrit : gérer les problèmes entre l’administration et les administrés. Maintenant, on peut discuter la question de sa place même dans les institutions. Sur ce plan, il faut simplement se référer au décret de 2005 sur les préséances au sein de l’Etat, qui établit la place protocolaire de chaque président d’institution. Pour le Médiateur, c’est tout à fait clair. Je ne comprends donc pas ceux qui émettent des critiques là-dessus. En revanche, il est réellement légitime de s’interroger sur la pertinence de l’existence simultanée du HCRUN (Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale) et du Haut Conseil pour le Dialogue Social.

Lefaso.net : Il y a également le CES (Conseil économique et social) !

Mélégué Traoré : Le CES est une vieille institution, qui sert de laboratoire de débats et de réflexion pour le gouvernement et l’Assemblée nationale. Quand j’étais président de l’Assemblée nationale, j’avais proposé à la faveur des réformes constitutionnelles d’avril 2000, que le CES puisse émettre des avis ou faire des recommandations à l’Assemblée nationale, comme il le faisait pour le gouvernement. Ça n’a pas été accepté. Actuellement, le CES est un organe de débats et d’intégration nationale, parce qu’on y compte tous les corps sociaux et justement, c’est grâce à cette diversité que cette institution est une vraie structure de consultation et d’aide à la décision pour le gouvernement et l’Assemblée nationale. Son rôle est fondamental.

Lefaso.net : L’institution, CES, est en tournée dans les régions en ce moment, ce qui suscite des commentaires …

Mélégué Traoré : Oui, mais comment le CES peut-il véritablement jouer son rôle sans relations avec les populations ? Je pense que ce n’est pas cela le problème. Le problème, c’est l’existence simultanée du HCRUN et le Haut conseil du dialogue social. Il est certain que la réconciliation nationale est un impératif, mais elle commence aussi par le dialogue social. Ceux qui sont à la tête de ces institutions sont tous deux des amis à moi. Domba Jean-Marc Palm, est un grand ami de longue date, qui occupe le poste de président au Haut Conseil pour le dialogue social, et Léandre Bassolé avec qui j’entretiens d’étroites relations, est un confrère diplomate de haut vol. Cela étant, les deux structures peuvent très bien fusionner à terme, pour ne faire qu’une. Forcément, leurs attributions se recoupent ; ce qui veut dire qu’il y a des doubles emplois. Or, vous connaissez le problème, qui n’est pas propre à l’Afrique : dès lors qu’on créé une institution, elle cherche à avoir le plus d’attributions possibles, et à se doter d’une administration de plus en plus touffue. C’est budgétivore dans tous les cas. Ça a été le cas au début avec le Médiateur du Faso, qui n’était pas conçu pour avoir une grande administration. Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

Lefaso.net : Justement, on voit qu’avec l’arrivée de Saran Sérémé, l’institution Médiateur du Faso a pris une autre allure…

Mélégué Traoré : Le Médiateur fait partie de la catégorie des autorités administratives indépendantes. Ce sont des structures qui ne reçoivent pas d’instructions du gouvernement, mais doivent demeurer dans leurs domaines de compétence, et ne pas vouloir finalement faire le travail à la place des secteurs ministériels. L’Etat est déjà structuré en segments de secteurs ministériels. En voulant quadriller le pays, même si elles ne le veulent pas, ces institutions entrent finalement en concurrence avec les secteurs ministériels. Et forcement, elles affaiblissent ceux-ci, il n’y a rien à faire, en dehors de l’administration territoriale, il faut éviter la décentralisation à outrance. C’est pour cette raison qu’il est bon que ces institutions demeurent dans le cadre des textes qui les ont mises en place et des attributions qui leur sont confiées par la loi. Ce qui veut dire que c’est au moment de rédiger les textes de base qu’il faut faire très attention. Voilà pourquoi quand on écrit une loi, il faut faire attention parce qu’elle aura des répercussions après, sur le terrain ; c’est une règle de légistique.

Lefaso.net : Nous sommes à la fin de notre entretien, avez-vous un message particulier, en regard surtout du contexte national actuel ?

Mélégué Traoré : J’évite généralement de trop me prononcer sur ce genre de questions, parce qu’aujourd’hui, les propos sont facilement interprétés au Burkina, alors que je n’ai pas l’habitude d’avoir ma langue dans la poche. Mais, je pense néanmoins que quand on est dans une situation où le pays traverse une période difficile, comme c’est le cas, l’impératif doit être d’abord celui de l’unité nationale. Nous sous-estimons encore probablement la portée de ce qui se passe au Nord du Burkina. Le jour où il y aura l’accoutumance au terrorisme, ce sera très grave pour le pays. Ce qui se passe au sahel est dangereux et il faut en prendre conscience. Dans ce contexte, l’appartenance aux partis politiques ne compte pas. Il n’y a qu’un seul chef d’Etat, il n’y a pas deux : le pouvoir est comme une aiguille ; au sommet il n’y a qu’une seule personne.

Dans les circonstances difficiles, c’est l’unité qu’il faut autour de cette personne, non la personne « Roch Kaboré », mais l’institution « président du Faso ». Ce qui veut dire que tout le monde doit resserrer les rangs autour du gouvernement, quand il s’agit de question comme celle du terrorisme. Cela veut dire aussi que le gouvernement doit en revanche faire en sorte de faciliter ce rapprochement entre les citoyens, en en créant les conditions. Pour moi donc, et dans cet esprit, tout ce qui peut amener les Burkinabè à se diviser, il faut l’éviter. Et puis maintenant, il y a les mesures pratiques qu’il faut prendre ; la réconciliation ne peut pas se limiter à des effets oratoires ou d’annonce. Construire la réconciliation nationale ne relève pas du discours. Ce qui ne veut pas dire renier la question de la justice ; si un citoyen a commis une infraction, c’est clair qu’il doit être jugé et sanctionné.

L’autre point, à mon avis, c’est la situation économique qui, elle, est extrêmement difficile ; les grands chiffres qui nous ont été cités à l’Assemblée dans les statistiques par le Premier ministre, les Burkinabè s’en foutent : le Burkinabè qui vit dans le quartier Kalgondin sait qu’il vit beaucoup moins bien maintenant qu’avant. Ce n’est pas une question de parti politique ou de qui est au pouvoir, mais la réalité est que le citoyen qui vit à Diapaga, à Falangoutou ou à Bomborokuy constate aujourd’hui, c’est plus difficile pour lui que par le passé. Le taux de croissance ne se consomme pas. Les raisons qui font que c’est ainsi, peuvent se discuter, mais le constat, c’est cela. Face à la situation, il faut aussi reconnaître que ce n’est pas au gouvernement seul de développer des initiatives, mais il a le devoir de créer le cadre et les conditions pour que les énergies se développent. Ce sont des questions auxquelles je tiens.

Je souhaite aussi que le Burkina ait une place de premier plan au niveau diplomatique, car tout cela a un lien avec le développement. Donc, que notre pays ait diplomatie avisée et forte. Là aussi, l’un des principaux acquis de Blaise Compaoré, a été la diplomatie : on peut l’aimer, on peut ne pas l’aimer, des gens peuvent dire n’importe quoi, mais l’une des réussites de Blaise Compaoré a été la politique étrangère. Or, aujourd’hui, le régime a des atouts dans ce domaine, parce que parmi ceux qui étaient avec Blaise Compaoré en son temps, sont actuellement les principaux ténors du pouvoir. Ils ont donc l’expérience des questions internationales et de leurs complexités. On ne se rend peut-être pas compte au niveau de nos dirigeants, mais la mise en cause incessante de l’ancien président dans la question des attaques terroristes, à travers des affirmations souvent hasardeuses, ne rend pas service au pays. Elles affaiblissent lourdement la politique étrangère et la diplomatie du Burkina Faso. Dès lors qu’on est l’acteur central dans un processus de négociation et de médiation, cela entraîne des dépenses pour l’Etat, même quand l’Union africaine ou la CEDEAO s’engagent financièrement. Laïco (hôtel) a abrité, ici, aux frais du Burkina, les Ivoiriens, les Togolais, les Touaregs, les Bissau-Guinéens, les Centrafricains, les Maliens, les Tchadiens, les Guinéens : le rayonnement international a un coût. Il ne faut donc pas faire une lecture partielle ou partiale du passé.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo

(oumarpro226@gmail.com)

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Source: LeFaso.net