C’est plus en posture d’économiste, de responsable d’entreprises qu’il nous a reçus en cette soirée de jeudi, 11 janvier 2018 à son bureau sis avenue Kwamé Nkrumah. Dans cet entretien, l’ancien enseignant en sciences économiques et de gestion et en droit à l’Université Ouaga II, Eddie Komboïgo, fait une analyse des questions d’enjeu national et sous-régional. Pour le président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, ancien parti au pouvoir), des décisions mal prises ces dernières années sont à la base de nombreuses difficultés que connaît aujourd’hui le Burkina.
Lefaso.net : En ce début de nouvel an, quel vœu souhaiteriez-vous formuler à l’ensemble des Burkinabè ?
Eddie Komboïgo : J’ai toujours formulé les vœux en fonction de la situation de notre pays. Partant de là, nous avons constaté que depuis deux ou trois ans, il n’y a pas de cohésion sociale, que la dernière saison de pluie 2017 a été très déficitaire, annonçant une crise alimentaire dans plusieurs zones de notre pays. Nous avons également une pensée envers ces personnes qui ont souffert et qui souffrent d’une quelconque maladie. Puisse Dieu le Tout Puissant soulager leur souffrance et qu’elles recouvrent la santé.
Nous observons également une mésentente claire entre le gouvernement et l’ensemble des acteurs du public (les fonctionnaires). Nous avons également constaté une baisse de l’économie, étant donné que l’Etat burkinabè n’arrive pas à collecter suffisamment de recettes pour le budget. Partant de ce constat, nous ne pouvons que souhaiter le meilleur pour les Burkinabè, une bonne santé à tout le monde et une bonne organisation pour entrer dans la prochaine saison agricole. Pour nos fonctionnaires et opérateurs économiques, une bonne entente avec les gouvernants de ce pays, afin que des solutions puissent être trouvées.
Pour les gouvernants de ce pays, beaucoup de tolérance, de tempérance et d’ouverture, pour que nous puissions aller à une réconciliation vraie, une réconciliation constructive dans l’intérêt de notre pays.
Responsable de groupe d’entreprises, vous avez été arrêté, détenu pendant plusieurs mois dans le cadre du putsch de septembre 2015 avant d’être relaxé pour faits non constitués. Avez-vous subi des dommages de ce fait et si oui, comptez-vous intenter une action en réparation contre l’Etat ?
C’est vrai que lorsque dans cette situation, on parle de pertes, ce sont celles matérielles, financières… Mais, personnellement, ma pensée reste tournée vers tous ces gens qui, pendant l’insurrection populaire, le putsch, ont perdu la vie. Je voudrais vraiment m’incliner pieusement sur leur mémoire et implorer Dieu le Tout puissant qu’il apaise le cœur de leurs parents, qu’il allège la terre du Burkina pour toutes ces personnes qui ont perdu la vie. Pour ce qui me concerne, j’ai perdu énormément au plan professionnel : mes contrats ont été rompus, mes crédits ont été arrêtés…, de sorte que lorsque j’évalue aujourd’hui, ce sont beaucoup de milliards à la fois. Mais, Dieu merci, je me porte toujours en bonne santé, j’ai toujours le courage et la volonté de me battre avec espérance pour pouvoir combler ce que j’ai perdu.
Quant au second volet de votre question…, c’est vrai, j’aurais pu attaquer l’Etat, mais quand vous constatez en même temps que l’Etat, lui-même, se cherche actuellement, je ne peux pas en rajouter à ses difficultés. J’aurais pu le faire, si je pouvais attaquer individuellement. Mais ici, si je dois attaquer, c’est l’Etat burkinabè, puisqu’ils ont agi au nom de l’Etat. Et quand je constate que l’Etat lui-même n’arrive pas à boucler le budget annuel, que pour des raisons financières nous avons des remous sociaux, ce serait encore aggraver ses charges en demandant de me dédommager. Ce, d’autant que si j’attaque l’Etat, c’est le contribuable burkinabè qui va encore payer. Non, je pense que le peuple souffre déjà assez. Ça fait partie de mon histoire et je considère la situation comme telle. Par contre, pour le cas de mes contrats, ceux qui ont eu la maladresse, sans m’aviser, de rompre les engagements, je vais intenter une action en justice contre eux.
Parlant de morosité économique, qui, selon nombre de Burkinabè, caractérise la gouvernance Kaboré, quels sont, à votre avis, les points sur lesquels l’on doit miser pour une relance nationale, telle que prônée par l’ensemble des Burkinabè ?
Il faut repartir à un diagnostic. Je n’aime pas souvent en parler, parce que je ne souhaite pas être perçu comme donneur de leçons. Mais, force est de constater que la situation économique actuelle de notre pays peut (et doit) s’analyser à travers, d’une part des aspects structurels et, d’autre part des paramètres conjoncturels.
Au plan structurel, il faut d’abord voir les ressources humaines : nous avons formé des ressources humaines qui ne sont pas adaptées aux exigences de notre économie d’aujourd’hui, voire besoins. Nous n’avons pas non plus opéré une vision claire, nous n’arrivons pas à dire ce que nous attendons faire de ce pays dans cinq, dix, vingt ans afin de pouvoir dégager une stratégie claire d’évolution. Toujours sur ces raisons structurelles, nous avons signé des accords économiques et monétaires qui nous empêchent de décoller.
Nous sommes dans l’UEMOA, nous avons un Franc CFA, qui est un Franc colonial, c’est moins l’appellation Franc CFA que les accords économiques qui entourent cette monnaie qui posent problème. Non pas parce qu’on reverse une certaine somme dans nos réserves en France pour avoir une stabilité. Mais, dites-moi, est-ce qu’une économie doit avoir une monnaie constante, courante, toute la vie d’une nation ? Non ! L’économie fructifie en fonction des besoins et des contraintes du moment ; nous devons avoir une monnaie faible à un moment donné, une monnaie moyenne, une monnaie forte, selon les exigences du moment.
Donc, le fait d’avoir signé pour avoir une monnaie constante n’est pas forcément une solution pour se développer. Il faut qu’il y ait des moments où notre monnaie peut baisser, qu’on puisse faire des opérations… Nous avons signé une convention qui dit que notre Franc CFA est constant. Et d’ailleurs, quelle constance ; d’autant plus que l’Euro fructifie par rapport au Dollar. Donc, nous suivons les contraintes européennes et non nos propres contraintes, celles de notre espace. C’est un véritable problème. Il faut revoir cette situation.
L’autre raison structurelle liée à notre monnaie est que nous avons un Franc CFA hyper-cher, au taux de crédit où l’argent coûte cher. Dans aucun pays qui s’est développé, un taux d’intérêt ne peut aller de 7 à 16% ; c’est excessif, l’argent est très cher. Si vous prenez un secteur d’activité, qui rapporte 9 ou 10%, et que vous avez un crédit qui vous donne pour charge jusqu’à 16%, vous travaillez à perte. Je vous prends un exemple : toutes choses étant égales par ailleurs, vous allez en banque pour emprunter un million pour un secteur d’activité qui vous rapportera 10%. C’est dire qu’à la fin de l’année, vous aurez 100 000 Francs CFA de plus sur le million que vous avez emprunté, alors que vous devez rembourser à la banque 12%. Il va donc se passer que vous n’allez pas pouvoir rembourser la banque, puisqu’avec ce taux (de 12%), vous devriez 120 000 franc CFA. C’est cela une explication facile de la situation.
Nulle part au monde (allez en Europe par exemple), vous verrez des taux d’intérêt qui volent aussi haut ! La monnaie est donc un outil de développement. Elle doit être moins chère pour qu’on puisse l’utiliser pour travailler et rembourser, payer la charge de la dette et gagner un tant soit peu. Si nous mettons le taux aussi haut, cela veut dire que nous tuons même l’activité de nos entreprises privées. Avec un taux aussi élevé dans l’espace qui partage cette monnaie, on empêche chacun des Etats (y compris l’Etat burkinabè) de lever des financements dans les banques commerciales ou industrielles ; puisqu’on dit à l’Etat de ne pas dépasser un certain seuil, ce sont des taux concessionnels signés avec la Banque mondiale et le FMI, qui ne peuvent dépasser 3, 4 ou 5%.
Tout au plus, si vous émettez des obligations, vous devez accepter de payer 6% ou au-delà. Or, les francs que nous déposons en DAT (dépôt à terme), c’est-à-dire les épargnes lointaines, sont déjà rémunérées à 5, 6%. Alors, le banquier ne peut pas récolter ses ressources-là, aux mêmes taux, et prendre prêter à quelqu’un encore aux mêmes taux de 5, 6%. Il faut ramener les gens à des taux raisonnables. Je ne suis pas de ceux qui appliquent un taux aussi élevé. Donc, structurellement, tous ces accords sont à revoir. Le fonctionnement de la BCEAO, de l’UEMOA…, doit être revu.
Toujours dans ce chapitre, nous savons aussi que notre pays, seul, ne peut pas investir (du point de vue financement) dans des infrastructures lourdes.
Nous avons eu l’intelligence d’avoir créé l’UEMOA, alors, pourquoi ce grand ensemble ne porte pas sur lui, l’initiative de projets régionaux sur l’énergie par exemple (qui est un coût de facteur de la production ?). Pourquoi l’UEMOA ne porte pas des projets de financements d’infrastructures routières et ferroviaires ? Il n’y a qu’à regarder le train que nous avons, il date des années 60, voire années 50, avec un écart de 90 centimètres (cm), alors que la norme aujourd’hui est d’un mètre 40 cm. Nous avons une journée et demie pour quitter Ouagadougou pour rejoindre Abidjan. C’est autant de temps perdu.
Cinquante ou soixante ans après nos indépendances, nous sommes toujours-là, avec ces mêmes outils. Toujours sur ce plan, si on ne peut pas lever des Fonds au niveau des banques commerciales et industrielles, on devrait pouvoir se tourner vers nos banques de développement (la BAD et la BOAD, pour ce qui concerne notre sous-région). Mais, il se trouve aussi que dans ces mêmes banques (BAD et BOAD), il y a des accords qui donnent des droits de véto à nos partenaires internationaux (et pas des moindres, la France). Cela veut dire quoi ? Que tout simplement, un pays qui demande à la BAD de financer son projet, si l’administrateur de la France dit non, la demande n’a plus de sens. Courageusement, il faut dire non à cette situation ! Aussi bien à la BOAD qu’à la BAD. Si ces gens s’opposent à des financements, il nous reste quelles voies pour aller lever des financements ? La Banque mondiale et le FMI. Et là, nous y irons et ils vont nous imposer leur diktat (diminuer les salaires, le nombre d’employés, faites ceci ou cela, sinon on ne finance pas). C’est dans cette situation nous sommes aujourd’hui, au plan structurel.
Et ainsi de suite… Comment voulez-vous qu’on se développe ? Donc, structurellement, il faut qu’ensemble, majorité et opposition, que ce soit au Burkina ou les politiques régionales, les dirigeants prennent conscience de ces limites et osent, courageusement, les franchir. Il faut le faire avec en tête, tous les défis que cela nous impose de nous voir opposer à nos partenaires internationaux. Il faut donc que, le président Roch Marc Christian Kaboré, courageusement, et en concertations avec les autres Chefs d’Etat de l’UEMOA, puissent travailler dans ce sens, à revoir les accords.
C’est bien d’aller dire qu’on va créer une monnaie de la CEDEAO. Mais, une monnaie où il y a des pays anglo-saxons, suppose qu’il faut d’abord définir des critères de convergence économique (avec nos propres critères) ; parce que les indicateurs que nous avons aujourd’hui sont importés. Ça me rappelle ces propos du regretté Dr Salifou Diallo (paix à son âme !) qui disait que les gens de Ouahigouya ou de Fada ne s’affichent de savoir que le taux de croissance est de 6 ou 8%, ce qui les intéresse, c’est de voir les conditions de vie s’améliorer. Il faut donc que la sous-région fasse un effort pour définir nos propres critères, nos propres indicateurs de croissance et de développement. Tant que nous resterons à aller dans le sens de ce que l’on nous donne comme indicateurs, ça ne marchera pas (on ne fait pas du couper-coller).
…conjoncturellement, que faut-il comprendre ?
Il y a certes une crise conjoncturelle, mondiale, mais ici, il devait avoir une croissance conjoncturelle. Voyez un peu les mines (d’or) qui poussent un peu partout… Il faut une politique qui puisse permettre d’engranger le maximum de recettes pour l’Etat. Mais, on ne voit pas venir. Je ne pense pas que notre pays puisse connaître une crise conjoncturelle, si nous savons nous organiser. Nous devons connaître une croissance conjoncturelle. Lorsqu’on regarde les politiques agricoles…, on continue de faire de l’agriculture dans le plateau-central, tout en sachant que ses sols sont arides. Nous avons les sols les plus fertiles dans les parties sud et grand ouest de notre pays. Alors, spécialisons nos régions ! Nous n’avons rien à inventer en la matière. Cela va nous permettre de mieux optimiser nos moyens, d’économiser l’énergie de nos populations et d’atteindre par-là également l’auto-suffisance alimentaire ; on ne sera plus obligé d’aller importer.
Je suis parfois touché, lorsqu’en Occident on me demande ce que je suis venu chercher en politique (ils estiment que j’ai tout gagné, etc.). Mais, je leur fais savoir que oui, je gagne… Mais quand je rentre chez moi au pays, je descends au village, je vois une de mes tantes, au bord de la rivière, avec dans sa main droite, une daba (un outil moyenâgeux de production), que malgré l’âge, elle déploie avec force dans son âme et dans son corps…, pour gagner à manger, tout au plus deux fois par jour (les médecins nous dirons qu’il faut manger trois fois par jour !). Je vois en elle, ces nombreuses femmes de son âge à travers le Burkina, ces personnes âgées, ces jeunes…, obligés de s’adonner de la sorte…
C’est une situation qui m’interpelle. Et là encore, cette tante regarde la semence ou bien la tige du mil et dit, tel maïs me semble bien pour semer l’année prochaine et c’est ce qu’elle enlève. Aucune analyse scientifique ne la guide, elle essaie de faire avec ses propres connaissances. Pourtant, on nous parle de semences améliorées, sans pour autant nous dire à combien de pour cent est améliorée telle ou telle autre semence. Il faut des informations fiables et suffisamment diffusées pour nos paysans. Mais non, pourvu que le paysan dise qu’il a eu deux ou quatre sacs de plus que l’année dernière et on s’enorgueillit pour dire « c’est bien ». Non, soyons sérieux !
Notre situation conjoncturelle est liée à notre manque d’organisation et de vision.
Mais, paradoxalement, cette tante qui tient cet outil du moyen âge, tient aussi dans la main gauche, un autre outil, qu’on appelle téléphone (le cellulaire ; le concentré des technologies les plus avancées, que l’Occident a rendu aussi simple et à travers lequel, elle peut rester au village et m’appeler à Ouagadougou…). Pour cet outil (téléphone), imaginez-vous combien de nuits blanches, la quantité d’encre et de salive qui ont été sacrifiés pour que nous arrivions à cette technologie moderne, qu’on a simplifié de la sorte. Bref, ce sont toutes ces frustrations que nous observons et vivons, qui justifient le sens de mon engagement en politique. Et je dis ici, qu’on fera mieux de faire face à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux, en leur disant la vérité et en défendant pleinement les intérêts de nos populations, de nos pays.
Doit-on comprendre en filigrane que vous êtes pour une monnaie commune, telle que prônée par le président Roch Kaboré et ses pairs ?
Il faut signaler que ce projet ne date pas d’aujourd’hui, c’est une idée des années 60. Depuis que la CEDEAO a été créée, ce projet d’arriver à une ‘’monnaie commune » a toujours existé. Pourquoi nous n’y arrivons pas ? On nous dit, attention, au niveau de la CEDEAO, il y a des pays anglophones…, obstacle à cette union régionale. Mais, quand vous regardez l’Union européenne, il y a combien de langues ? Plusieurs ! Mais elle arrive à encadrer, à s’organiser et à évoluer. C’est donc une question de volonté politique. S’il y a une volonté au niveau des Chefs d’Etats d’aller à une monnaie commune, il faut commencer à travailler sérieusement dans ce sens.
D’abord, définir théoriquement les critères de convergence. Si le Ghana à lui seul peut gérer sa monnaie, il n’y a pas de raison que le Burkina ne puisse pas le faire. Mais, si nous pouvons mettre en synergie nos forces, il n’y a pas de raison que nous ne constitutions pas un marché important. Et les Chefs d’Etat ont tout à fait raison de vouloir créer une monnaie commune CEDEAO, parce que le marché est plus important. Il y a un grand intérêt à créer non seulement ce marché monétaire, mais également économique ; le CEDAEO étant un vrai marché de consommation.
Donc, il faut d’abord que nous pensions au marché de productions pour nos consommateurs. Mais si nous créons un marché où c’est le statu quo et où nous importons 80% de nos produits de base de consommation, nous n’irons nulle part. Si nous créions un marché commun, où nous exportons nos produits agricoles sans transformation, nous ne créerions pas une valeur-ajoutée dans nos pays, nous le ferons plutôt dans les pays qui nous achètent ces matières premières. Il faut donc des unités industrielles de transformation de premier, deuxième…, même de cinquième degré. Par exemple, dans le domaine du coton, il n’y a pas de raison qu’on exporte toujours le coton fibre. Arrêtons, mettons des unités en place et nous résorberons plusieurs problèmes à la fois.
En la matière, nous sommes arrivés à mettre en place plus de 300 mille producteurs, c’est important. Mais, c’est insuffisant, quelle est la politique d’accompagnement réelle à ces producteurs (on a même la question de la semence et des intrants qui posent toujours problèmes !). Si nous attendons en vain des technologies de l’Occident, ayons alors une politique qui puisse nous permettre d’avoir ces technologies. Il faut former les gens à des métiers techniques, si on ne revoit pas les choses, même en 2100, le pays sera toujours à la case-départ. Il faut prendre et courageusement tourner la page, se sacrifier pour les générations futures.
La filière coton constitue une équation pour les gouvernants successifs, parce qu’au même moment où il y a unanimité à encourager la consommation du Faso Dani Fani par exemple, les producteurs expriment fréquemment leur agacement de cultiver à pertes (menaçant même parfois d’abandonner le coton ou de vendre leurs récoltes au Mali voisin). Comment sortir de cette situation de contradiction… ?
C’est dire qu’il faut impérativement changer la conduite des choses. Nous avons une quantité importante de coton produit, il faut donc qu’on installe des unités industrielles de transformation pour créer de la valeur ajoutée, créer de l’emploi et redistribuer les revenus. C’est par cette façon qu’on verra de plus en plus un revenu plus substantiel dans le panier de la ménagère burkinabè. Mais, si nous exportons en l’état, on ne s’en sortira pas. Je crois que le président Blaise Compaoré avait, à un moment, donné des instructions pour qu’on arrive à transformer sur place au Burkina, au moins 25% de notre production de coton. Et la première unité qui a été mise en place, c’est FILSAH.
Mais FILSAH n’est pas une unité très évoluée, elle fait de la filature. Mais après cette étape, on peut faire beaucoup d’autres choses ; il faut arriver au tissu par exemple. Et même en matière de files, il y en a de plusieurs tailles à faire (fin, moyen, gros, …). Mais FILSAH n’arrive pas à offrir toutes ces tailles de files. Encore, sa capacité de production ne couvre même pas 5% de la demande nationale. Nous aimerions que nos tisserands également aient de la ressource, et pour cela, il faut aller au-delà par une bonne organisation et faire en sorte à ne pas remettre en cause la production artisanale.
Mieux, que la production artisanale puisse être améliorée par la chaîne de production industrielle. C’est en cela que nous pourrions porter un Faso Dan Fani non seulement adapté à notre climat, mais également accessible à l’ensemble des Burkinabè. Il faut évoluer ; quand on n’est pas satisfait, on investit et on évolue. Aucun transfert de technologies n’a été fait dans ce domaine, toutes les unités de transformation qui étaient-là depuis les années coloniales, qui fabriquaient les vélos…, qu’a-t-on pu faire en la matière ? Rien !
Nous ne pouvons même pas fabriquer un vélo, même pas un rayon de vélo. Et nous sommes fiers ! Voyez-vous, à un moment donné, l’intellectuel doit savoir qu’on est mal parti. Revoyons donc ! Nous fonctionnons au modèle français (on fait le droit, la comptabilité, la sociologie, etc.), c’est bien, mais il faut miser aujourd’hui sur les domaines techniques de production. Les vrais mécaniciens aujourd’hui, vous les chercher, mais vous ne les trouverez pas. Dès l’installation des sociétés minières, ces mécaniciens industriels, qui étaient-là, qui touchaient peut-être 125 mille FCA le mois, ont rejoint les mines pour un salaire mensuel qui frôle les deux millions. Quel fonctionnaire de l’Etat touche aujourd’hui ce salaire ?
Pourtant, c’était des domaines qu’on a négligés hier. C’est la même chose pour ce qui concerne les électriciens. Mais, Imaginez qu’on n’a même pas un seul plombier formé au Burkina. Nous avons, depuis un certain moment, cherché à employer un plombier de niveau BTS. Au bout d’un mois, nous n’avons pas trouvé, on a ramené le niveau au BAC, on n’a pas trouvé. Nous sommes passés au BEP, puis le CEAP. Malgré tout, on n’a pas trouvé. C’est dire que ces millions de tuyauterie posés sous nos sols et bâtiments, le sont, pas par des spécialistes. Le problème, c’est donc la formation. On ne peut pas être président, Premier ministre, et ne pas toucher fondamentalement le contenu de la formation.
En attendant la solution globale par l’espace communautaire, au Burkina, la préoccupation porte aussi sur le comment rendre plus dynamiques les entreprises pour en faire un maillon important de développement. En tant que vétéran, quels sont les obstacles que vous identifiés à un épanouissement réel de l’entrepreneuriat/entreprises burkinabè ?
C’est d’abord la formation. Aucune personne n’a été formée pour être un entrepreneur, il n’y en a pas. On dit oui, il a fait des études en gestion…, mais en réalité, ce ne sont pas des formations pour être entrepreneur. Ce sont des formations théoriques. Quand vous allez dans les pays anglo-saxons, dès les premières années, vous allez faire deux ou trois ans dans des sociétés puis vous revenez à l’Université pour terminer. Pour poser le carreau, au Burkina, vous n’avez pas de spécialistes formés, ils apprennent sur le tas. Des vitriers, il n’y en a pas. Prenez une maison, vous avez le ciment, le gravier, le fer-à-béton, l’ouverture-bois, l’ouverture-métallique, la vitrerie, le carrelage, la peinture etc. Dans tout le pays, qu’est-ce que nous avons comme unités industrielles dans tout ce que j’ai cité ? C’est seulement la cimenterie ; les autres, c’est du fer qu’elles tordent (ce ne sont pas des unités industrielles de finition du fer). C’est dire que tout le reste est importé. C’est dire également que chaque année, ce sont d’importantes masses monétaires qui sortent de notre pays. Même pour les unités industrielles qui existent, comment est-on arrivé à leur création ? Je peux vous raconter cette histoire et vous verrez que la politique d’urbanisation en a été pour quelque chose…
Comment en est-on arrivé ?
Avec les premiers lotissements qui ont été lancés, dans les arrondissements, la parcelle coûtait 75 000 francs CFA, 65000 francs, 55 000 francs et 35 000 francs (il y avait quatre arrondissements, je pense). Ces parcelles ont été vendues selon trois critères : les autochtones (c’est-à-dire ceux qui habitaient dans ces zones non-loties), les résidents et les simples demandeurs.
Les autochtones achetaient à 25 000 francs et 35 000 francs, les résidents à 50 000 francs et les simples demandeurs à 75 000 francs la parcelle. Vous imaginez, les gens ont loti autant de parcelles, et les autochtones avaient trois parcelles (le papa, la femme et le premier fils). C’était une vision et c’est cela qui a permis de développer les quartiers péri-urbains et d’avoir des unités industrielles. Je vous explique. Cinq ans après l’opération, l’autochtone va placer la parcelle de la femme (ce sont nos réalités sociologiques de notre société, on place d’abord celle de la femme), mais cette fois-ci, à cinq millions (étant donné qu’avec le temps, le prix à augmenter). On enlève dans cette somme de vente de la parcelle de femme pour construire une chambre-salon pour le couple et les enfants dans une dépendance en banco à côté.
En ce moment, la petite table d’arachides de madame est transformée en boutique de savons, sucre, etc., et on achète une moto pour monsieur (le chef de famille) et l’enfant a un vélo pour aller à l’école. Puis, on attend. Au bout de cinq ans encore, soient dix ans après l’opération, par concertations, on vend la parcelle du fils (le père fera comprendre au premier fils que de toute façon, il va hériter de la cour familiale).
Le terrain du fils est donc vendu, mais cette fois-ci, pas à cinq millions, mais entre plutôt entre huit et dix millions. Dès lors, la chambre-salon est transformée en deux chambres-chalon, on construit une autre chambre à côté pour les enfants et la boutique de madame va se transformer en quincaillerie, parce qu’il fallait traverser toute la ville pour venir à Hage matériaux ou chez Nana Boureima pour avoir le fer à béton, etc. C’est ainsi que ce sont développés les quincailleries dans les quartiers… Et comme partout les gens construisaient, se sont développés les menuiseries-bois ou métalliques, les lieux de ventes de briques, de pavées, etc. Tout cela est parti d’une vision : celle de Blaise Compaoré (certains ne voudront pas que je le dise, mais c’est cela la réalité).
Si vous prenez donc 100 000 parcelles, qui ont été vendues dans un laps de temps de cinq ans, à cinq millions la parcelle, vous verrez que ce sont 500 milliards qui sont passés d’une main à une autre. Si au bout de dix ans, elles sont échangées à dix millions (en moyenne), ça fait 1000 milliards FCFA. Ce n’est pas la somme totale qu’il faut voir ici, mais l’échange qui a enrichi les populations péri-urbaines, qui a permis à celles-ci d’avoir des revenus, si fait que les gens disaient : ‘’en tout cas, ça va, ça bouge, quand on sort, on vend bien nos articles… ». Mais les gens ne savent pas, ils arrivent et ils disent d’arrêter les lotissements, que les maires font des ‘’deals »… C’est vrai, on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs (il y a des maires indélicats), mais attention … !
Regardez, on met un impôt sur le foncier, c’est un impôt sur le capital. La deuxième parcelle que vous avez, que vous ayez construit ou pas, chaque année vous devez payer. Le Burkina n’a pas encore atteint ce niveau pour qu’il y ait un impôt sur le capital, donc un impôt sur le foncier. Il faut simplement un impôt sur le revenu ; si vous avez construit et que vous avez mis en location, que l’Etat dise qu’il augmente le revenu foncier, je suis d’accord. Mais, que l’Etat mette un impôt sur le foncier…, on ne se rend pas compte que l’ensemble de ces décisions, mal pensées et mal prises par la transition ou par le gouvernement Thiéba, sont à la base de l’asphyxie économique de notre pays aujourd’hui. Et il faut le leur dire, il faut qu’ils changent. S’ils ne changent pas, ils feront notre lit.
Propos recueillis par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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