La présente réflexion remet au goût du jour le débat sur l’adhésion du Maroc à la Communauté Economiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest(CEDEAO). Il se pose clairement à travers cet écrit, les intérêts que le Burkina Faso pourrait avoir dans la perspective de cette adhésion.
I. Qu’est-ce que la CEDEAO ?
Pour mémoire, la CEDEAO une organisation régionale qui a été établi par le traité de Lagos et signé le 28 Mai 1975 par quinze pays de l’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. Le Cap-Vert a rejoint la Communauté en 1976 mais la Mauritanie a décidé de la quitter en 2000.
Son objectif principal est de « promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une Union économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les Etats Membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ».Si les objectifs initiaux étaient essentiellement économiques, la Communauté a par la suite pris en charge les questions politiques. Ainsi, en 1990, il a été mis sur pied une force de maintien de la paix (ECOMOG) suite aux différents conflits survenus dans la région.
La CEDEAO se compose essentiellement de huit (8) institutions : la Conférence des Chefs d’États et de gouvernement, le Conseil des ministres, le Parlement de la Communauté, le Conseil économique et social, la Cour de justice de la Communauté, la Commission, la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC), l’Organisation Ouest-Africaine de la santé.
II. Historique de la coopération entre le Burkina Faso et le Maroc
De la coopération entre le Maroc et le Burkina Faso, on peut retenir que ces deux pays entretiennent, à ce jour et ce depuis 1965, de parfaites relations qui portent essentiellement sur le commerce, l’agriculture, le transfert de compétences entre administration , l’enseignement supérieure et technique, la culture et le tourisme. La première et la dernière commission mixte de coopération entre ces deux pays ont eu lieu respectivement en 1996 et en 2012 .
A ce jour, il n’existe, à priori, aucune d’entrave à la libre circulation des personnes puisqu’il n’y a plus de visa entre ces deux pays depuis 2017. En 2014 par exemple, les échanges commerciaux entre les deux pays s’établissaient à plus de 13 milliards de FCFA (218, 6 millions de dirhams) en recul de 16, 3% par rapport à leur niveau de 2013. La balance commerciale reste favorable au Maroc. Les exportations marocaines se sont élevées à plus de 11 milliards de FCFA (198, 24 millions de dirhams) en recul de 16,3% par rapport à leur niveau de 2013. Les exportations de produits finis d’équipement industriels ont représenté 38,14% du total des exportations marocaines vers le Burkina Faso.
Les produits exportés par le Burkina Faso à destination du Maroc sont essentiellement le coton, les fruits et légumes, le sésame et les objets d’art. Les importations burkinabè en provenance du Maroc sont essentiellement constituées de produits agroalimentaires, de produits pharmaceutiques, de produits dérivés du textile, des chaussures ainsi que du matériel électronique.
III. Quelles peuvent être les raisons de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO ?
En Relations internationales, seuls les « intérêts » guident l’Action. Dit autrement, pas d’action sans intérêts. Alors que le Droit international est guidé par la volonté de fixer les règles (obligatoires) du « vivre ensemble » pour un monde pacifique et sûr, les relations internationales sont guidées par la recherche du profit, du gain et des intérêts. A priori, c’est la recherche de profit et d’intérêts qui amène le Maroc à vouloir adhérer à la CEDEAO.
Pourtant, de l’esprit des fondateurs de cette institution, l’idée forte et première reste le rattachement géographique à savoir les pays de l’Afrique de l’ouest. Dit autrement, le critère primordial d’adhésion à la CEDEAO reste l’appartenance à l’espace géographique ouest africain. Quiz de la volonté du Maroc d’adhérer à l’espace CEDEAO, vaste de 5,1 millions de kilomètres carrés (17% de la superficie totale de l’Afrique), peuplé de plus de 261,13 âmes et reconnu comme l’un des espaces au monde les plus dynamiques et prometteurs. Culturellement et historiquement, les pays membres de la CEDEAO et le Maroc sont quasi différents ; c’est d’ailleurs l’une des raisons évoquées par la Mauritanie pour se retirer de la CEDEAO. Plusieurs critères ne devraient pas militer pour l’adhésion du Maroc à la CEDEAO. Mais en relations internationales, rien ne s’explique par la logique.
Depuis plusieurs années, le Maroc avec à sa tête le roi Mohammed VI, a entrepris plusieurs offensives diplomatiques à travers le monde tendant à un repositionnement de ce pays dans les échanges et relations internationales, en témoigne son retour vers l’Afrique subsaharienne et sa réintégration dans l’Union Africaine. Je prends pour preuve également le déploiement de banques marocaines dans ces pays. Le Maroc, avec son potentiel économique et ses velléités de développement, a compris la nécessité de s’ouvrir davantage au reste du monde. Le Maroc entend nouer d’autres partenariats pour contrer et prendre de l’hégémonie dans la zone du Maghreb à côté des velléités de ses voisins comme l’Algérie et l’Egypte.
Il reste évident que le Maroc entend tirer profit des opportunités économiques et politiques qu’offre l’espace CEDEAO. Pour mieux pénétrer et tirer le maximum du marché CEDEAO (Finances, agriculture, commerce, énergie, télécommunication, transport…), le Maroc a compris qu’il fallait être membre. Mais en retour, les pays membres actuels de la CEDEAO pourront également tirer profit du dynamisme de l’économie émergente du Maroc.
IV. Que peut gagner le Burkina Faso de cette adhésion ?
Avec une superficie de 274.200 Km carrés et une population estimée à environ 18 millions en 2016, le Burkina Faso est fortement enclavé sans aucun débouché maritime. Cette situation est un sérieux handicap pour le développement des échanges commerciaux mondiaux. Malheureusement, pour des raisons d’éloignement géographique, le Burkina Faso ne pourra, objectivement, tirer profit des ports marocains.
Toutefois, le Burkina Faso peut entièrement tirer plusieurs avantages du Maroc et regroupés sous deux points : les avantages économiques et commerciaux d’une part, et d’autre part, les avantages politiques et diplomatiques.
1. Aux titres des avantages économiques et commerciaux, on peut citer :
de la libre circulation des biens et des personnes avec un impact sur les échanges commerciaux (l’accès au marché dynamique du Maroc) : la suppression de barrières tarifaires et physiques (visa par exemple) profitera au Burkina Faso. Les hommes d’affaires burkinabè, déjà orienté vers le Maroc, pourront importer leurs marchandises du Maroc à moindre cout, vu que les droits aux frontières seront, ceux appliqués dans l’espace CEDEAO. La balance commerciale, actuellement déficitaire, pourra s’équilibrer en faveur du Burkina Faso.
La compagnie aérienne marocaine « Royal Air Maroc », qui fait partie des meilleures compagnies aériennes en Afrique, à travers le traitement du fret, sera la pierre angulaire du renforcement des échanges commerciaux entre ces deux pays et, partant, de l’ensemble des pays de la CEDEAO. Ensuite, cette compagnie aérienne pourrait être intéressée par la compagnie Air Burkina qui cherche un repreneur après le départ en fin 2016 du groupe Aga Khan.
Enfin, l’adhésion du Maroc à la CEDEAO permet à nos Etats de repousser leurs frontières aux limites du continent européen, « eldorado par excellence » des jeunes de la région ouest africaine, y compris les jeunes burkinabè. On risquerait d’assister très probablement à une intensification « légale » des flux migratoires « clandestins ou illégaux » vers l’Europe, dont le Maroc servirait de passerelle. Cette question devrait être impérativement traitée par les dirigeants de la CEDEAO, mais aussi l’Union Européenne, si l’on veut éviter les traitements ignobles et inhumains dont sont victimes ces jeunes en Libye ;
du transfert des compétences : le Burkina Faso a toujours bénéficié d’opportunités variées de formation/renforcement de capacités au profit de ses étudiants et de son administration. Pour preuve, selon une source de l’ambassade du Burkina Faso à Rabat, plus de 700 Burkinabè parmi lesquels près de 500 étudiants/stagiaires vivent au Maroc, hormis ceux vivant illégalement. Ce n’est guère un secret pour personne, que l’expérience soutenue du développement socioéconomique du Maroc est aujourd’hui un bel exemple réussi de développement en Afrique sur laquelle le Burkina Faso pourra fortement s’inspirer et s’appuyer afin d’imaginer son propre développement .
Tous les domaines devraient être des sources d’inspiration pour le Burkina : la gouvernance financière et politique, l’armée, les transports et le tourisme, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les banques, l’architecture et les constructions, la formation professionnelle… On pourrait envisager l’émergence d’industries et du savoir-faire marocain au Burkina Faso. Par exemple, le savoir-faire marocain dans le domaine de l’habillement et du textile peut s’appuyer sur la disponibilité au Burkina Faso de la matière première à savoir le coton. L’installation au Burkina de nouvelles industries marocaines de transformation de ce coton engendrerait plusieurs emplois sûrs au profit de la jeunesse burkinabè confrontée au chômage.
2. Aux titres des avantages politico-diplomatiques :
Il s’agit essentiellement de dire que désormais, dans le concert des nations, le Burkina Faso bénéficierait du soutien assuré du Maroc, notamment pour mieux tirer profit du monde arabo-musulman, qui reste un regroupement géostratégique très important et influant dans le monde (Par exemple, ils sont en majorité des pays producteurs de pétrole) ;
En retour, le Maroc pourrait également bénéficier du soutien non moins négligeable des pays de la CEDEAO, y compris le Burkina, dans son différend géo-politico-stratégique qui l’oppose essentiellement à l’Algérie sur la question du Sahara Occidental. Le Maroc, pour rien au monde, n’entend « lâcher » cette partie pour des raisons politiques mais surtout économiques (la pêche par exemple) car les territoires que Rabat appelle « provinces du Sud » contribuent largement aux recettes d’exportation du royaume, donc à son Produit intérieur brut (PIB).
A l’analyse, la balance des avantages pour le Burkina Faso pencherait plutôt vers les avantages économiques et commerciaux que ceux politiques et diplomatiques.
V. Quid d’un partenariat équilibré « gagnant-gagnant » ?
Plusieurs milieux, notamment le secteur privé, s’oppose à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO. Les inquiétudes de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO portent fondamentalement sur le secteur privé. Sinon, du point de vue stratégique et politique, un nouvel partenaire est toujours bien à prendre afin de mieux peser dans le concert des nations.
Au Sénégal par exemple, des membres d’organisations patronales et professionnelles, de syndicats des travailleurs, d’associations de la société civile et d’universitaires, regroupés au sein du Comité d’initiative pour le suivi de l’intégration (CISI) se méfie des effets pervers que pourraient engendrer l’adhésion du Maroc à la CEDEAO. En effet, pour les membres de ce comité, les économies moribondes de la zone ne peuvent pas concurrencer celle du Maroc. L’économie marocaine est très compétitive et n’épargnera aucun secteur.
Des chiffres ne sont pas annoncés, mais ils craignent, avec la suppression des barrières douanières et tarifaires, l’instauration de relations déséquilibrées qui étoufferaient les économies des Etats, détruiraient des pans entiers de secteurs productifs et enfin exporteraient leurs emplois vers le Maroc. L’envahissement des marchés moribonds ouest africains par des produits très compétitifs marocains contribuera à « tuer » les efforts de développement du secteur privé de ces pays.
Rappelons que l’adhésion du Maroc à la CEDEAO sera confirmée en décembre prochain à Lomé. Toutefois, de source concordante, le Roi du Maroc serait prêt à renoncer à cette procédure d’adhésion du fait de la participation de Israël, comme pays invité, à ce sommet de décembre. Le Maroc, pays du monde musulman, est opposé depuis à Israël, en soutien à la Palestine.
Source: LeFaso.net
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