Devant le puissant Président de la France, doublé du Président post-insurrection burkinabè démocratiquement élu et un auditoire de près d’un millier de personnes, les interlocuteurs directs de Macron qui ont eu le courage, ont fait de leur mieux, à la mesure de leurs moyens. J’ai lu et entendu beaucoup de commentaires négatifs à leur sujet, beaucoup parlant de « honte nationale ». Mais au fait, ce jugement est-il vraiment juste ?
Il m’est arrivé de voir pire que cela ; des docteurs et doctorants issus de notre université publique, incapables de lire correctement un petit texte, devant un auditoire encore moins solennel. Certes, la majorité des intervenants n’a pas été brillante, mais leurs prestations ne nous enseigne-t-elle pas bien de choses plutôt inattendues ? Il faut creuser encore davantage dans l’observation critique sous d’autres angles, pour les percevoir.
LES ACQUIS ARRACHES A MACRON PAR LES QUESTIONS D’ETUDIANTS (ET DE JOURNALISTES)
Les étudiants ont réussi à nous faire obtenir des réponses favorable sur les archives françaises concernant la levée du secret-défense autour de l’assassinat de Thomas Sankara et également sur le sort de François Compaoré concernant son extradition, même s’il s’agissait plutôt d’une répétition après le palais de Kosyam qui a l’avantage de nous rassurer plus.
Les étudiants ont aussi réussi à mettre quelque peu Macron hors de lui-même : face aux questions posées quelques fois avec un ton effronté et inattendu, il faut le reconnaître, le ton du Président Macron est monté subitement, suivi d’une certaine spontanéité hors des carcans diplomatiques qui ont apporté de la coloration et de la chaleur à la rencontre. Ce fait a révélé une fois de plus la jeunesse du Président, mais aussi sa capacité à encaisser.
Macron témoignera le lendemain 29 novembre à Abidjan lors de son interview face à RFI et France 24 : cette jeune dame qui m’a parlé hardiment dans l’amphithéâtre comme « Sankara s’est adressé à Mitterrand 30 ans auparavant. » C’est dire que pendant longtemps, ce passage le marquera encore. Cet incident ne peut nous empêcher de nous rappeler cette mise en garde de Thomas Sankara en ces termes : « tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ! »
QUAND LE NEOCOLONIALISME, SEQUELLE DU COLONIALISME DEVIENT LE SOCLE CULTURELLE ET LE REPERE DES GENERATIONS ACTUELLES, C’EST QUE CES DERNIERES VIVENT TOUJOURS REELLEMENT LE COLONIALISME IMPERIALISTE
Les étudiants ont révélé par leurs questions illustrant la France comme toute Puissance appelée au secours du pays, les séquelles graves et la grande prégnance encore vivante de l’impérialisme. C’est la forme nouvelle ou le néo-colonialisme impérialiste dans notre vie au quotidien. Tant l’impérialisme a traumatisé des générations, tant les attitudes de soumissions et de servilité face à l’Occident, ont fini par s’inscrire dans le comportement de beaucoup d’Africains comme un trait de culture. Et Cheikh Anta Diop dans le documentaire intitulé « Kemtiyu seex », ne manque pas de faire cette remarque à un journaliste africain qui lui demandait si ses théories avaient été validées par des laboratoires occidentaux. L’économiste béninois va dans le même sens ; lorsqu’il parle de servitude volontaire, concernant le Franc CFA.
Ces griefs sont valables mêmes auprès des élites intellectuelles et politiques africaines et occidentales. C’est l’exemple du journaliste qui a posé cette question peu réfléchie à Macron qui ne manquera de tomber dans discours malheureux sur la problématique de la démographie africaine galopante sous-tendue par plusieurs enfants par femme. La journaliste de France 24, Roselyne Febvre, tombe dans le même travers quand elle rapporte les ragots d’une certaine opinion sur la taquinerie de Macron dans l’amphi, à l’endroit de Roch Marc Kaboré, vite traité de « raciste ».
Toujours au sujet de la prégnance du néo-colonialisme, pragmatiques qu’ils sont, certains étudiants de bonne foi ont raisonné en prenant des raccourcis. Comment peuvent-ils distinguer le PNDES de la France et de son Chef d’Etat si l’on se rappelle que c’est en grande pompe et à coup de médias que les 18000 milliards de FCFA de financements promis du PNDES ont été annoncés à Paris. Sous un autre angle aussi, l’on peut se poser la question de savoir si toute la communication faite sur le PNDES s’est révélée efficace et compréhensible auprès de certaines franges jeunes. Il ne faudrait pas perdre de vue que ces jeunes sont des « forumistes » activistes des médias sociaux et du « Présimètre » !
Par conséquent, ils ne doivent pas être aussi déconnectés de la vie publique comme beaucoup le prétendent. Ces étudiants ont donc parlé avec leur niveau de l’université, amélioré d’ailleurs des acquis de leurs activismes dans la société civile, comme le révèle d’ailleurs la vedette incontestée du jour, Salimata Nah Traoré, « La Voilée » comme on pourrait l’appeler. Par sa prestation, cette dernière vient rappeler que la burqa qui fait polémique en France n’enlève rien à la qualité d’une femme.
QUAND DES ENSEIGNANTS DISTRIBUENT 300 ZEROS AUX DEVOIRS, EST-CE UN NIVEAU D’ETUDIANTS QUI DOIT LAISSER INDIFFERENT ?
Ce qui paraît paradoxal dans certaines critiques mettant les jeunes étudiants hors de leur contexte émotionnel inhabituel dans l’amphithéâtre, c’est qu’on semble ignorer certains maux plus graves, socialement, économiquement et temporellement très coûteux pour les étudiants et leurs familles. Plusieurs fois, il nous revient que certains enseignants d’université ont la cynique manie de distribuer plus de 300 zéros aux étudiants dans certaines classes. Si vraiment il y a cette préoccupation d’un enseignement de qualité dans l’université publique, de tels faits qui sont courants, devraient susciter des audits (ou enquêtes) des plus hautes autorités universitaires politiques depuis belle lurette !
CRITIQUE A L’ENDROIT DES ORGANISATEURS
Au-delà des étudiants, quelques critiques peuvent être faites à l’endroit des organisateurs, notamment dans l’anticipation sur le déroulement des scénarii. D’abord en effet, pour éviter aux étudiants de poser des questions qui avaient déjà obtenu des réponses depuis le point de presse au palais de Kosyam, il fallait installer dans l’amphithéâtre, un écran téléviseur géant ou à défaut, de la radio pour leur permettre de suivre l’hôte du jour dans son intervention au palais de Kosyam.
Ensuite, pour un nombre maximal de quatre questions autorisées, il fallait préparer quelques huit étudiants en prévoyant ainsi des questions alternatives aux questions des étudiants déjà évacuées de par le corps du discours principal du Président et ne donner intelligemment la parole que pour des questions encore en suspens, dignes d’intérêt ou d’approfondissement.
Enfin, l’échantillon de la jeunesse ne paraissait pas étoffé notamment à travers ceux qui ont eu droit à la parole. La jeunesse burkinabè, il faut en convenir, ne se limite pas seulement aux étudiants, ni aux seuls francophones ; il y a aussi en son sein, des non-instruits, des travailleurs, donc des jeunes qui parlent mal le français ou ne le parle pas du tout ; cela ne devrait pas les empêcher d’être de véritables champions dans les langues nationales comme le Mooré, le Dioula, le Fulfuldé, etc.
A l’image des interventions du Mogho Naaba, intervenant quasiment toujours en langue nationale, on aurait pu mettre en scène, un dioulaphone, mooréphone, dont on allait traduire la question pour Macron, pour qu’il comprenne sérieusement au fond, tout l’enjeu de l’appropriation d’une langue officielle unique qui n’est pas celle de ses arrière-grands-parents (comme il l’y exhorte). Enrichir la langue française de nos terminologies locales certes, mais mieux, il faut ériger d’autres langues nationales en langues officielles et les enseigner dès l’école primaire, avec en sus, cet avantage de créer de nombreux emplois pour des enseignants de langues. On ne devrait donc pas se contenter seulement d’insérer quelques mots comme le « mouta-mouta » présidentiel de Roch Marc Kaboré dans le français.
Si ces écueils cités étaient évités, il y’aurait plus de coloration et d’authenticité symbolique à cet évènement ! Malheureusement, dans l’organisation de l’accueil, des voix innocentes ou quelques peu critiques ont été suspectées et traitées d’ennemis, notamment les anti-néocolonialistes. C’est en cela qu’il faut affirmer avec force, que beaucoup parmi les organisateurs (y compris certaines autorités) semblent n’avoir pas bien compris la symbolique forte et le sens profond qu’Emmanuel Macron entendait donner à sa visite au Burkina Faso.
Autrement, l’on ne devrait pas assister à des décisions aussi impertinentes, sinon destructrices pour l’éducation des enfants, comme la fermeture des classes. Cela revient à l’illustration de la critique de Cheikh Anta Diop ci-dessus mentionnée à l’endroit de ses sœurs et frères africains.
QUE FALLAIT-IL FAIRE POUR LES ETUDIANTS POUR DES PRESTATIONS DE MEILLEURES QUALITES, A LA HAUTEUR D’UNE CERTAINE FIERTE NATIONALE, AFRICAINE
Il faut le répéter, ceux et celles qui ont posé des questions, aussi impertinentes semblent-elles être, ne sont pas à blâmer ! L’enjeu de l’exercice n’était pas de montrer à Macron que les étudiants étaient des cracks ou des surdoués. Quand un système éducatif et d’enseignement est performant, c’est en aval qu’il se ressent avec éclat ! C’est notamment dans la capacité de toute la nation à produire des choses à proposer à l’exportation, à accroître ses richesses et affirmer sa souveraineté sur la plan économique, sécuritaire, militaire, culturel. Or, notre système d’enseignement est désarticulé depuis des décennies, sinon depuis qu’il existe, notamment en raison de son programme déconnecté de la culture nationale et des besoins concrets du marché de l’utile et de l’emploi. Il est aussi miné par certains corps d’enseignants avec des idées rétrogrades égocentriques, il faut le reconnaître franchement.
Les étudiants auraient pu mieux faire en montrant plus d’intérêt pour le discours du Président par une écoute plus attentive (malgré sa longueur sur une trentaine de pages) afin d’y détecter d’éventuelles faiblesses et les réponses déjà apportées. Dans ce cas, ce serait preuve d’élégance que de dire tout simplement que leurs questions avaient déjà trouvé des réponses à travers le discours.
Il fallait proscrire cette volonté de juste vouloir se faire voir au micron devant les plus hautes personnalités en négligeant l’important qui est la question elle-même et sa préparation. En d’autres termes, pour paraphraser Macron, il fallait être dans l’esprit de quelqu’un qui pose une question importante pour la jeunesse et pour l’Afrique, sans se prendre pour autant, de quelqu’un d’important !
Il fallait mesurer l’enjeu de l’intervention qui s’est faite en directe sans essai (un coup K.O), devant un auditoire national et international important avec tout l’enjeu de fierté patriotique et africaine.
Il fallait non seulement être souple, mais aussi éviter de sous-estimer la tâche quoique visiblement petite et préparer soigneusement la question au moins un jour à l’avance, la répéter, se faire assister, se faire évaluer de façon constructive, visualiser la scène de l’amphithéâtre avec les personnalités en face, toute la salle et tout l’auditoire national et international en face.
Critiquer dans le forum de par les réseaux sociaux, ce n’est jamais équivalent au travail original de réflexion et de construction à partir du néant ou de matériaux bruts de réflexion ! C’est ce que nos jeunes sœurs et frères doivent comprendre. On n’est jamais leader par hasard ! C’est ce que son Grand-frère Macron enseigne à cette jeunesse à travers cet exercice, visiblement plein de volontarisme d’humanisme et de progressisme.
Idrissa Diarra
Politologue,
Président de la Section nationale du Mouvement
Fédéraliste Pan-Africain pour la création des
Etats Africains-Unis en moins d’une génération
(M.F.P.A/Burkina E.A.U)
E-mail : diarra.idrissa@rocketmail.com
Site Web : www.etatsafricainsunis.org
Source: LeFaso.net
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