Depuis l’année 2015, le Nord du Burkina Faso est plus que jamais sous la voûte d’un extrémisme violent. Cet extrémisme violent se manifeste par des attaques des forces de défense, des assassinats et toutes sortes d’intimidation sur les populations. L’on a tenté une explication de cette nouvelle donne d’insécurité poussé par le fait de facteurs exogènes comme la crise malienne. Mais en ce mois d’octobre 2017, le rapport de Crisis group et celui du Honko Roger Judicael Bemahoun ont exhumé les dynamiques endogènes de cette crise sécuritaire de plus en plus endémique dans la région.

Le rapport de Crisis group s’intitule « Nord du Burkina Faso : ce que cache le jihad » tandis que celui de Honko Roger Judicael Bemahoun est titré « L’extrémisme violent dans l’espace culturel du Djelgodji : facteurs associés et modalités de mitigation ». Grâce à ces deux travaux scientifiques de terrain effectués sur la zone de crise, l’on en sait davantage sur les coulisses de l’avènement et de l’amplification du phénomène djihadiste et de ses ramifications.

La dynamique de la crise est interne et non externe

Lorsque les attaques ont commencé, bon nombre de personnes ont vite conclu à une extension du conflit malien sur les terres sahéliennes du Burkina Faso. Au regard de certaines réalités géopolitiques du conflit, ces gens n’auraient pas tort. Car, l’on se souvient que les revendications territoriales et souverainistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) porte aussi sur la partie nord du pays des Hommes intègres. Si depuis l’éclatement de la crise en 2012 au Mali, la partie nord du Burkina Faso a été épargnée, c’est compte tenu de la protection que le président d’alors Blaise Compaoré assurait dans une certaine mesure aux rebelles touaregs. Ces derniers se seraient donc gardés de tailler des croupières à leur parrain qui en contrepartie leur assurait gite et couvert.

Avec la banqueroute du régime Compaoré en octobre 2014, il était donc prévisible que la situation change. Effectivement, elle a changé, elle a même évolué puisque la région du Nord n’est plus cette zone sécure où l’on peut se promener dans tous les sens. Et pour la majorité des gens, que ceux-ci soient des experts ou des profanes, l’avènement des attaques terroristes répétitives ne serait imputable qu’aux souverainistes du MNLA et aux hordes djihadistes qui sévissent au Mali.

Mais de nos jours, avec les différentes études menées, cette hypothèse, lorsqu’elle n’est pas battue en brèche, elle est de plus en plus relativisée. Sur cet aspect, les experts de Crisis group sont catégoriques dans leur analyse : « Il est faux de percevoir la situation dans le Nord du Burkina comme une extension du conflit malien, même si celui-ci rend plus disponibles les armes de guerre et offre une base de repli aux hommes d’Ansarul Islam » (p.14). Il s’agirait plutôt d’une crise sécuritaire aux origines endogènes. Le rapport déduit une vulnérabilité faite de plusieurs facteurs qui prédispose désormais cette région à être un terreau d’insécurité par excellence au Burkina Faso.

Lorsqu’on compulse également le rapport de Honko Roger Judicaël Bemahoun, l’on se rend à l’évidence que la crise puise ses racines dans la sociologie même de la région. Les origines de la crise sont encore économiques et politico-administratives.

Les origines sociologiques de la crise

Avec l’attaque de Nassoumbou en décembre 2016, l’on connait désormais l’acteur principal de l’insécurité dans la région sahélienne burkinabè. Il s’agit de Ansarul Islam de Ibrahim Malam Dicko, un groupe d’obédience salafiste. Jusque-là, l’on ne nie pas la connexion de ce groupe avec d’autres groupes djihadistes du Nord malien. Mais ce qui fait la singularité de Ansarul Islam, c’est qu’il se présente avant tout comme « un mouvement de contestation de l’ordre social qui prévaut dans la province du Soum, dans la région burkinabè du Sahel » (Crisis group, p.3).

Dans la région nord burkinabè, les Peuls forment la communauté ethnique largement majoritaire. Au demeurant, ce groupe qui n’est pas égalitaire connait une subdivision entre Peul issus des classes nobles et descendants d’esclaves, appelés Rimaibé. Les Rimaibé sont les descendants des populations autochtones qui ont été réduites en esclavage par les Peul et assimilés. Mais de nos jours, même si ces deux classes forment une entité ethnique partageant la même culture, la même langue, le clivage sociologique resterait de mise : « chacun connait sa place » d’après un représentant peul cité par Crisis group dans son rapport (p4).

La création de l’association Al Irchad (officiellement reconnue en 2012) par le prédicateur Ibrahim Malam Dicko procède de la contestation de l’organisation sociale en vigueur dans la province de Soum. Dans ses prêches, il remet en cause la subdivision de la société et appelle à la constitution d’une société égalitaire. « Il remet en cause la toute-puissance des chefferies coutumières et le monopole de l’autorité religieuse détenu par les familles maraboutiques, qu’il accuse de s’enrichir aux dépens des populations », soutient le rapport.

Cette rhétorique lui vaut un écho considérable, surtout parmi les jeunes et les cadets sociaux. Selon Honko Roger Judicaël Bemahoun, les extrémistes sont des Rimaïbé parce que Ibrahim Malam Dicko avec son discours anti-esclavagiste a pris fait et cause pour ces derniers considérés comme étant au bas de l’échelle sociale parce que descendants d’esclaves (p.39). Et par exemple, selon toujours Honko Roger Judicaël Bemahoun, il est inadmissible qu’un Rimaïbé dirige une prière dans une mosquée quelles que soient ses compétences.

Ainsi, en exprimant les doléances de la majorité silencieuse de la population qui ne détient ni le pouvoir politique, ni l’autorité religieuse, Ibrahim Malam Dicko et ses affidés font dorénavant de l’islam un référent de protestation contre une organisation sociale immobiliste et productrice de frustrations. C’est dans ce contexte que petit à petit, l’homme va glisser vers la radicalisation et la lutte armée avec la création de Ansarul Islam.

Les causes économiques et politico-administratives de la crise

Lorsque l’on parcourt « L’extrémisme violent dans l’espace culturel du Djelgodji : facteurs associés et modalités de mitigation » de Honko Roger Judicael Bemahoun et « Nord du Burkina Faso : ce que cache le jihad » de Crisis group, l’on a comme l’impression que la région du Nord, particulièrement le Soum est délaissé. En tout cas la perception que la population a de l’Etat n’est pas du tout reluisante. C’est la perception d’un Etat distant et en même temps incapable de disposer de services de base à ses citoyens qui prévaut.

Cette situation a contribué à l’essor du mouvement de Ibrahim Malam Dicko. « La population a le sentiment que la région du Sahel est délaissée par l’Etat et que ses potentialités économiques ne sont pas mises en valeur ». Or selon une enquête de l’Institut national de la démographie et de la statistique (INSD), en matière de taux de pauvreté individuelle, le Sahel burkinabè est la deuxième région la moins pauvre du Burkina. Faiblesse des infrastructures, routières en particulier, nombre limité de centres de santé et d’écoles, manque d’eau et d’électricité sont d’autres réalités économiques difficiles qui viennent se greffer au sentiment d’abandon par les autorités publiques. De surcroit, les habitants ne voient pas l’incidence heureuse du boom minier en termes d’amélioration de leur vie. Pour eux, les gisements sont exploités par des étrangers sans qu’aucun bénéfice ne leur tombe dans la main.

Et pour Crisis group, la demande de plusieurs Djibolais d’ériger la province du Soum en région administrative afin de favoriser le désenclavement est symptomatique de ce sentiment d’abandon par l’Etat. Les résultats des recherches menées par Honko Roger Bemahoun vont également dans ce sens : « Le sentiment selon lequel la province du Soum serait un « oublié de la République » est majoritairement partagé » (p.17). « Ils (gouvernement du Burkina Faso), sont là-bas(Ouagadougou), et nous ont laissés à notre propre sort. Toi-même, il faut regarder. C’est depuis quand ils nous ont promis le goudron (bitumage de la RN22) ? Tu étais là non ? » rapporte-t-il des propos d’un habitant à la page 16 de son rapport.

Par quelles voies et avec quels moyens désensorceler la région de l’extrémisme violent

La solution militaire est une option. Mais selon toute vraisemblance, elle n’est pas la meilleure pour venir à bout de l’hydre de l’extrémisme violent. C’est pourquoi il va falloir que les politiques soient plus ingénieux dans la recherche des solutions pour circonscrire le phénomène qui tend à se généraliser.

Les deux experts, Crisis group et Honko Roger Judicaël Bemahoun, les autorités burkinabè doivent développer une synergie d’actions pour pouvoir lutter contre l’extrémisme violent de façon efficace. Il faut donc développer une réponse globale à la crise.

A court terme, d’après l’expert Honko Roger Judicaël Bemahoun, l’Etat devrait équiper conséquemment les Forces de défense et de sécurité(FDS), mener des enquêtes sur les principales notabilités coutumières et religieuses en vue de conciliations, inviter les autorités locales à dire ce qu’elles savent de la crise, créer les conditions sécuritaires minimales pour la relance de l’activité économique…A long terme, le gouvernement devrait créer un centre de formation professionnelle aux métiers de l’élevage et de l’agriculture au profit des jeunes et rendre obligatoire la scolarisation des enfants ou du moins revoir à la hausse le niveau des statistiques de l’éducation (formelle ou non-formelle)…

Pour Crisis group, donner une réponse globale se matérialiserait précisément par le lancement d’un programme de développement d’urgence pour la région du Sahel afin de construire des infrastructures et de réduire la pauvreté. Les chercheurs de Crisis group ne manquent cependant pas de relativiser ces solutions économiques qui devraient être obligatoirement accompagnées par d’autres, étant donné d’ailleurs qu’il s’agit de donner une réponse globale à la crise.

En tout état de cause, il faudrait jouxter à la politique de développement local des perspectives de résolution des problèmes sociologiques ou sociétaux. Dans cette logique, concernant la question sensible de l’organisation sociale productrice de frustrations et bellicisme, l’Etat gagnerait à « mobiliser davantage les acteurs locaux pour trouver des solutions adaptées à une crise profondément enracinée dans des dynamiques locales » plutôt qu’à chercher à s’insérer dans les dynamiques socioculturelles pour tenter d’arbitrer la catégorisation sociale.

En outre, il faut rétablir la confiance entre les forces sécuritaires et la population de sorte à rendre efficace la collaboration et le renseignement. En effet, tant que les gens pris individuellement ne vont jamais se sentir concernés, responsables de la politique sécuritaire, ils ne contribueront pas en termes d’informations.

Enfin, une régulation à minima du discours religieux, dans laquelle les autorités religieuses et coutumières pourraient jouer un rôle clé, peut être envisagée afin de lutter contre les propos intolérants et haineux. Les autorités étatiques pourraient favoriser l’installation à Djibo d’une section de l’Union fraternelle des croyants, une association basée à Dori chargée de promouvoir la tolérance et le dialogue religieux.

De façon globale, les deux expertises sont convergentes sur les origines de la crise. Endogènes, elles le sont. C’est pourquoi elles appellent à prioriser des solutions endogènes. Espérons que les différentes propositions de solutions dont regorgent les deux travaux de recherche seront exploitées dûment par les autorités, surtout en ce printemps de fora sur la sécurité, pour trouver une solution idoine, globale et durable au phénomène.

Anselme Marcel Kammanl

Lefaso.net

Source: LeFaso.net