Pardon et réconciliation nationale, voilà deux expressions plus que jamais en vogue au Burkina Faso. Partout on en parle presque chroniquement. Cependant, peu d’attitudes accompagnent les dires. De toute vraisemblance, tout le monde en parle, mais ne s’accorde pas sur les voies et les moyens pour y arriver. Et à ce niveau, est suscité un autre débat qui dénie la sincérité des gens et leur capacité à se libérer des pièges du fait partisan et de l’égoïsme pour tendre collégialement vers suivant les étapes du pardon et de la réconciliation nationale.
Les questions du pardon et de la réconciliation nationale font des émules au pays des Hommes intègres. Ce n’est guère exagéré de dire que depuis les Etats d’exception, ces deux sujets ont toujours fait gloser les Burkinabè. Mais avec l’avènement de la sédition des 30 et 31 octobre 2014 et celui du putsch de septembre 2015, les débats sur ces questions ont pris de l’entrain. En effet, des associations en ont fait désormais leurs marques déposées. Pour d’autres, le pardon et la réconciliation nationale sont devenus des thèmes de prédilection pour se donner de la visibilité et survivre à une actualité tohu-bohu faite de controverses politiques, économiques et sécuritaires. En tous les cas, comme déjà souligné, il se pose sérieusement la sincérité des uns et des autres dans leurs professions de foi en faveur du pardon et de la réconciliation nationale au Burkina Faso.
Arrêter le jeu hideux du révisionnisme et accepter que des torts ont été faits
Les soubresauts sociopolitiques majeurs que le Burkina Faso a connus depuis environ trois décennies, avec leurs corolaires de morts, de blessés et de victimes d’autres genres, demeurent des situations difficiles qui ont marqué à jamais la vie des gens. Le rappel des évènements comme celui du putsch et de l’insurrection, pour ne citer que ceux-là, suscite naturellement désolation et soupir chez bon nombre de Burkinabè. Ceux-ci ont été victimes directes ou indirectes. Bien évidemment pour les personnes dont les proches ont passé l’arme à gauche à l’occasion de ces évènements, la douleur est plus vive. Et déjà à ce stade, pourrait-on dire à ces personnes de ne pas chercher à comprendre ce qui s’est passé réellement ?
Mais bien avant la question des victimes, il y a lieu de reconnaître que ces évènements doivent être interprétés comme des signes historiques qui manifestent une somme d’aspirations du peuple à des valeurs données. C’est dans cette perspective qu’il faut lire les évènements et les analyser. Par exemple, l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a procédé d’un ras-le-bol d’une population face à une tentative de mise en coupe réglée de sa vie politique et économique par Blaise Compaoré et ses inconditionnels du Congrès pour la démocratie et le progrès(CDP). De même le sursaut patriotique qui a mis en échec la félonie de Gilbert Diendéré en septembre 2015 marque la volonté d’un peuple ayant décidé de tracer lui-même les sillons de son avenir politique par le refus d’une dictature clanique. Ces deux évènements qui sont cités avec respect dans le monde ne doivent pas être remis en cause.
C’est pourquoi le révisionnisme ayant prévalu lors de la tentative de tripatouillage de la Constitution en 2014 et du putsch de septembre 2015 ne devrait plus être de mise. La partie qui s’est hasardée à ces jeux politiques dangereux et qui a perdu doit avoir l’humilité et la décence de reconnaitre que c’est parce que leurs projets ramaient à contre-courant des intérêts du peuple qu’ils n’ont pas abouti. C’est la pression populaire qui a obligé Blaise Compaoré à reculer, c’est volonté du peuple burkinabè dans sa majorité qui a mis fin au putschisme du Gilbert Diendéré et sa horde militaire du Régiment de sécurité présidentielle(RSP) en septembre 2015.
Théoriser pour relativiser le sens profond de ces évènements et trouver des circonstances atténuantes aux responsables de la répression violente qui s’est abattue sur les Burkinabè, c’est faire preuve foncièrement d’un révisionnisme qui ne peut aider à marcher vers le pardon et la réconciliation nationale, c’est conspirer contre la dignité et le patriotisme des personnes qui ont eu le courage historique de s’opposer à la prise en otage de l’avenir du pays. La volonté populaire doit être respectée.
Les voies d’or de la vérité et de la justice
Il est courant d’entendre de nos jours cette phrase : « Au nom de la réconciliation, il faut pardonner… ». Il y a des gens qui poussent l’outrecuidance jusqu’à l’extrême en demandant tout simplement d’oublier au nom de la réconciliation nationale. Comment peut-on du jour au lendemain oublier des actes criminels dont on ne connait pas les tenants et les aboutissants et dont on souffre injustement des conséquences ? Comment peut-on pardonner à une personne qui n’assume pas sa responsabilité face à une faute qu’elle a commise et qui n’a pas non plus le courage de demander pardon ? Comment se réconcilier avec une personne qui n’a pas cette humanité minimale de reconnaître sa faute ?
Le passé est d’ailleurs éloquent sur ce genre de pardon et de réconciliation que l’on voudrait procéder de rien. L’on a en souvenance la fameuse journée du pardon de Blaise Compaoré, le 30 mars. En son temps, l’ancien homme fort avait galvaudé les valeurs du pardon et de la réconciliation. Rappelons que le 30-Mars avait été institué comme une journée de souvenir, de pardon et de réconciliation pour tous ceux qui avaient été victimes de la violence politique. Naturellement, les victimes, on les connaissait. Par contre les commanditaires et les bourreaux étaient hypocritement et soigneusement gardés dans le secret. Comment une victime peut-elle accorder le pardon à son bureau sans le connaître ? Conséquence, cette journée du 30-Mars n’a pas trouvé l’assentiment des citoyens qui étaient restés apathiques.
Le pardon et la réconciliation sont l’aboutissement d’un processus de vérité et de justice
Le pardon et la réconciliation sont l’aboutissement d’un processus de vérité et de justice. Ce qui implique que les personnes dont les responsabilités sont engagées dans la perpétration des crimes ou des exactions doivent s’assumer pleinement. La nécessité de reconnaître ses torts devant les victimes et les juridictions compétentes s’impose de facto. C’est une étape cruciale que l’on ne peut pas survoler. La vérité et la justice viennent toujours en amont du pardon et de la réconciliation.
Or à voir ce qui se passe, une certaine opinion voudrait que l’on y arrive de façon injonctive. L’on assiste à la formation de groupes de pression qui ne sont pas pour aider la justice. Ce qui est plus juste, c’est de prêcher auprès de ceux qui sont impliqués dans des affaires judiciaires à collaborer convenablement avec les juridictions afin que la vérité soit connue des victimes, ces personnes-là qui lorsqu’elles ne souffrent pas dans leur chair, souffrent dans leurs cœurs.
Dans l’affaire judiciaire concernant Djibrill Bassolet, l’on a vu des gens qui ont même souhaité l’abandon de la charge et la relaxation pure et simple de l’intéressé au nom de la même prétendue réconciliation nationale. En même temps, l’on use de procédures dilatoires comme ces recours répétitifs pour sans cesse retarder le jugement. Mais ce qui est vraiment malsain, c’est le fait que les bourreaux manifestent cette propension à se prendre pour des victimes de leurs victimes en réalité. Et avec cette posture, d’une manière générale, les partisans des uns et des autres en sont arrivés à politiser les affaires judiciaires nées de l’insurrection et du putsch manqué. Ce qui amène certaines personnes à parler de règlement de compte politique dans les détentions et le traitement des dossiers à ce propos. Mais n’y a-t-il une certaine fuite de responsabilité bien entendu préjudiciable à la manifestation de la vérité afin que la justice et le droit aient droit de cité ?
Passer par l’étape de la catharsis pour se pardonner et se réconcilier
Le Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale(HCRUN) après la crise qu’il a vécue tente de donner de la visibilité à son travail qui pour l’instant semble stagner dans la production de résultats. Plus d’un an après avoir succédé à la Commission de réconciliation nationale et des réformes(CRNR) mise en place pendant la transition, le HCRUN n’a même pas encore fini d’examiner les dossiers dont il a hérité du premier. Les conseillers se sont d’ailleurs retirés tout récemment à Bobo-Dioulasso pour valider les travaux de cinq sous-commissions qui se sont penchées sur les victimes de l’insurrection et du putsch. Les choses n’avancent pas vraiment. Et l’on a du mal à remarquer les signes d’une politique active pour que la réconciliation nationale ne soit pas un vœu pieux.
Ce n’est pas dans les institutions que la réconciliation va se faire. C’est dans la vérité et dans les cœurs que le pardon et la réconciliation nationale auront tous leurs sens. Mais c’est vrai que les institutions de la République commises à l’œuvre réconciliatrice doivent mouiller vraiment le maillot pour baliser le terrain dans ce sens. C’est pourquoi il va falloir qu’elles jouent pleinement le rôle qui leur est assigné afin que d’autres groupes aux desseins obscurs ne s’engouffrent pernicieusement dans le débat.
Au demeurant, il faut encore le redire avec force que le pardon et la réconciliation nationale ne peuvent procéder que l’humilité, la vérité et la justice. Battre en brèche ces étapes, c’est rééditer l’expérience du régime, celle d’un pardon juste institutionnel, un pardon de façade. Vouloir faire abstraction de la responsabilité dans les actes, de la vérité et de la justice, c’est travailler à la consécration de l’impunité, c’est cristalliser davantage les frustrations, c’est fermenter les rancœurs et courir le risque d’une explosion sociale.
La promotion d’un dialogue franc de tout le monde avec tout le monde est impérative pour poser les jalons d’une réconciliation authentique au Burkina Faso. Dans cette perspective, une catharsis est une étape éminemment importante. L’humilité, la vérité et la justice sont des voies par lesquelles tout le monde devrait y coopérer. Cela afin que l’on puisse rompre avec une certaine fourberie pour tendre vers une volonté véritable de se demander pardon pour les iniquités causées envers les uns et les autres. Vouloir faire autrement, c’est incontestablement consacrer la loi du Talion et celle de la jungle dans notre pays.
Anselme Marcel KAMMANL
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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