Le 23 juin 2017, M. Jean-Baptiste Zoungrana, actuellement secrétaire général du Conseil Economique et Social, a soutenu une thèse doctorat à l’université Aube nouvelle de Ouagadougou. « Résilience des très petites entreprises aux crises de grande ampleur dans les pays en développement : cas du secteur informel suite aux inondations du 1er septembre 2009 à Ouagadougou au Burkina Faso » est le sujet de sa thèse qui a été sanctionnée par la mention « Très honorable ». Dans cet entretien, il revient ici sur les résultats et l’intérêt de ses recherches..

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Jean-Baptiste ZOUNGRANA marié, père de deux enfants. Sur le plan académique je suis titulaire entre autres diplômes, d’un BAC série A4, d’un diplôme d’Etat d’assistance sociale, d’un master II en Management de projet, d’un Master recherche en sciences de gestion et depuis le 23 juin 2017, d’un Doctorat ès sciences de gestion.

Sur le plan professionnel, j’assume les fonctions de Secrétaire Général du Conseil économique et social. Avant cela, j’ai occupé de nombreuses fonctions au ministère en charge de l’action sociale, coordonnateur de l’unité de gestion des secours d’urgence lors des inondations du premier septembre 2009, 2ème vice-président de la délégation spéciale de la commune de Ouagadougou, membre de conseils scientifiques et d’administration d’organismes internationaux de protection de l’enfant, Président du comité africain d’experts des droits et du bien-être de l’enfant de l’Union Africaine.

Vous avez brillamment soutenu une thèse de doctorat ès Sciences de Gestion à l’Université Aube Nouvelle qui portait sur la résilience du secteur informel suite aux inondations du 1er septembre 2009 à Ouagadougou. Qu’entendez-vous donc par résilience d’une entreprise du secteur informel ?

Le concept de résilience, qui signifie rebondir dans le langage courant, est employé différemment dans de nombreuses disciplines scientifiques. Dans les sciences de gestion, il signifie la capacité de rebondir face à l’inattendu. Dans le cas de notre recherche, nous avons défini la résilience d’une entreprise du secteur informel comme étant « La capacité d’une microentreprise ou unité de production dépourvue d’un numéro d’identification unique (IFU) et de comptabilité écrite formelle à survivre, voire à prospérer suite à un choc ou à une crise occasionnant des pertes partielles ou totales d’une ou de plusieurs composantes de ses ressources (matérielles, humaines, financières…).

Pouvez-vous présenter très succinctement à nos lecteurs la problématique de la thèse que vous avez soutenue ?

La problématique de notre recherche est partie de l’observation empirique sur les entreprises du secteur informel suite aux graves inondations du 1er septembre 2009 qui ont occasionné la disparition de nombre d’entre elles implantées dans les zones inondables et submersibles. Le gouvernement n’a pas accordé une aide spécifique pour le relèvement de ces entreprises comme à ce qu’il a fait en 2011 lors de la crise socio-politique et militaire. Six (6) ans plus tard, nous avons observé que de nombreuses entreprises ont totalement disparu, mais d’autres au contraire, ont survécu ou rebondi et sont même en expansion. Ce sursaut du secteur informel que je pourrai qualifier de résilience des entreprises du secteur informel à la crise de grande ampleur a constitué l’intérêt empirique de ma recherche.




Quel est l’intérêt d’un tel sujet pour le Burkina Faso ?

Un tel sujet est très important pour tous les pays en développement et particulièrement le Burkina Faso. D’abord le paradigme contextuel de quiétude que connaissait le monde fait place à un monde d’incertitude et de crises récurrentes (financières, économiques, alimentaires, socio-politiques…), de conflits armés, d’attaques terroristes, du changement climatique avec ses corollaires comme les graves inondations qui s’alternent avec les sécheresses, etc. Ensuite, les entreprises du secteur informel qui représentent plus de 89% des entreprises au Burkina Faso selon les résultats du Recensement industriel et commercial (RIC VI) 2009 jouent un rôle très important sur le plan de la cohésion social, de l’emploi et du développement, mais sont à paradoxalement les plus vulnérables aux crises. Si les facteurs de résilience de ces entreprises sont connus, maitrisés et diffusés, cela va constituer un intérêt très appréciable non seulement pour les responsables de ces entreprises, mais aussi contribue à lutter contre les migrations surtout des jeunes des pays en crise vers les pays développés à la recherche d’opportunités hypothétiques même au péril de leur vie.

En effet, notre recherche aura des apports pratiques pour les acteurs économiques sur comment gérer les très petites entreprises (TPE) notamment, les entreprises du secteur informel, car il est plus difficile de se relever que de rester coucher après un choc. Il sera d’un apport certain au gouvernement dans sa politique de développement économique et de gestion des catastrophes et aux Partenaires techniques et financiers (PTF) soucieux d’apporter leurs conseils au secteur informel. En somme, une réponse sur la manière d’aider les responsables à s’en sortir plus fort après une crise.

Quelle sont les questions de recherche auxquelles vous avez tenté de répondre dans le cadre de votre travail ?

Pour atteindre nos objectifs, nous avons posé la question de recherche suivante : Quels sont les facteurs qui déterminent les capacités de résilience des entreprises du secteur informel aux crises de grande ampleur en Afrique de l’Ouest ?

Elle est assortie des questions spécifiques suivantes :

1. Est-ce que la résilience des entreprises du secteur informel est tributaire du domaine d’activité ?

2. La résilience de l’entreprise dépend -t- elle de l’importance des ressources possédées avant la catastrophe ?

3. Dans quelle mesure, la résilience de l’entreprise dépend -t- elle du manager ou du propriétaire ?

4. La résilience de l’entreprise dépend -t- elle des facteurs exogènes ?

Quels sont les facteurs de résilience d’une entreprise du secteur informel ?

Il convient de noter que les très petites entreprises sont les parents pauvres ou les entreprises oubliées de la recherche car il existe très peu de recherche sur ces organisations par rapport aux grandes entreprises qui sont suffisamment structurées. Selon les résultats des recherches scientifiques, les facteurs de résilience sont nombreux. Nous avons abordé les facteurs de résilience et prenant appui sur les facteurs de défaillance car la résilience et la défaillance sont les deux facettes d’une même médaille. Nous avons traité notre thème de manière holistique, à savoir que les facteurs de résilience dépendent de l’entrepreneur, de l’entreprise et de l’environnement.

Quelles théories et méthodologies avez-vous adoptées pour réaliser cette étude ?

Il existe plusieurs théories sur la résilience organisationnelle. Dans le cadre de notre recherche, nous avons analysé les différentes théories et avons bâti nos travaux sur la théorie de Lucie BEGIN et Didier CHABAUD (2010) sur la résilience d’une entreprise familiale qui est très proche de notre objet de recherche. Selon cette théorie, la résilience renvoie à une capacité à travers trois dimensions imbriquées.

1) Une capacité d’absorption permettant à l’organisation de ne pas s’effondrer face au choc ou à l’inattendue ; une capacité de pouvoir mobiliser les ressources internes et externes ;

2) Une capacité de renouvellement par laquelle l’entreprise peut s’inventer des nouveaux futurs, trouver des solutions inédites ;

3) Une capacité d’appropriation lui permettant de devenir plus forte de ses expériences.

Sur le plan méthodologique, nous avons utilisé une méthode mixte ou duale, c’est-à-dire une méthodologie qualitative exploratoire à travers trois guides d’entretien dont un adressé aux experts et personnes ressources, un autre aux partenaires techniques et financiers et un autre aux entrepreneurs résilients. Nous avons également conçu un questionnaire adressé à 269 responsables d’entreprises informelles victimes des inondations du 1er septembre 2009 implantées dans les zones inondables et submersibles de 14 secteurs de 5 arrondissements selon l‘ancien découpage de la ville de Ouagadougou. L’échantillon a été établi sur la base des résultats du recensement industriel et commercial de l’INSD en 2009 avant les inondations de septembre. Il a été choisi conformément aux normes scientifiques généralement admises avec une erreur de 6%.

De façon brève, quels ont été vos résultats à l’issue de votre recherche ?

En termes de résultats, il y a les résultats qualitatifs et quantitatifs. Sur le plan qualitatif, selon les experts et les personnes ressources, il faut diversifier les lieux de vente et les produits, tisser des relations de partenariats, être pro-actif/ savoir anticiper, avoir un bon modèle d’affaires…, pour les entrepreneurs victimes, ce sont les crédits qu’ils ont contractés et la solidarité qui les ont permis de rebondir. Nous avons aussi noté qu’il n’existe pas une définition unique concernant ces types d’entreprises au Burkina Faso.

Sur le plan quantitatif, par rapport au chiffre d’affaires mensuel, celui-ci variait de moins de 50 000 francs CFA à plus de 3 millions. Les pertes enregistrées au cours des inondations du 1er septembre 2009 et déclarées par 244 enquêtés se chiffrent à 308 344 000 francs et allaient de 15 000 francs au minimum à 33 millions le montant le plus élevé. Il importe de souligner que 236 soit 87,73% de ces entreprises ne sont pas enregistrées. Par rapport au niveau d’instruction des entrepreneurs, 35,32% ont le niveau d’études primaires, 33,09% n’ont jamais fréquenté l’école, 23, 42% ont le niveau secondaire et 2, 23% le niveau supérieur.

Dans le domaine de la formation, 38 entrepreneurs, soit 14% affirment avoir suivi des formations avant le démarrage de leurs entreprises. La majorité des cas soit, 85,87% n’ont reçu aucune formation avant de se lancer dans l’entreprenariat. En matière de formation continue, 11 soit 4,09% en ont bénéficié. L’immense majorité 258 soit 95,91% affirment n’avoir jamais bénéficié d’une formation continue dans un domaine à haut risque.

Par ailleurs, il faut rappeler que nous avons formulé 5 hypothèses relativement aux ressources possédées par l’entreprise avant la crise, au niveau formalisation de l’entreprise avant la crise, au profil entrepreneurial du dirigeant et sa capacité à comprendre l’environnement, au choix et à l’application de stratégie par l’entrepreneur, et aux facteurs exogènes notamment la solidarité, la culture et la résilience. Nous avons effectivement observé que ces éléments avaient un impact positif sur la résilience. Mais seule l’hypothèse relative au profil entrepreneurial du dirigeant et sa capacité à comprendre l’environnement a été validée à travers de test de Connor-Davidson Resilience Scale(CD-RISC).




Quels sont les apports, les limites et les perspectives de cette étude ?

Notre recherche a eu plusieurs types d’apports. Par exemple au plan scientifique, nos travaux ont apporté de nouvelles connaissances sur les facteurs de résilience de ces entreprises oubliées par la recherche, notamment la solidarité. Ils ont aussi montré que les entrepreneurs analphabètes ont des capacités et sont plus résilients que les entrepreneurs plus instruits. Ils ont aussi permis d’infirmer les hypothèses selon lesquelles la résilience dépendait de l’importance des ressources possédées antérieurement à une crise et que la culture africaine était un obstacle à la performance des entreprises sans oublier les apports méthodologique, managérial et opérationnel.

Limites

Tout travail de recherche comporte des limites. Pour notre cas, nous pouvons relever le fait que les résultats ne reflètent que les points de vue des dirigeants, l’absence de support écrit pour valider certaines affirmations ; la culture de l’oralité qui est spécifiques pour ce secteur.

Ces risques de biais ont été contenus en réussissant à travers l’expérience et la communication à instaurer une relation de confiance avec les interviewés. De ce fait, les résultats obtenus sont probants.

Perspectives

Les futures recherches pourront s’orienter vers les mécanismes de soutien de ces entreprises lors des crises, leurs modalités de souscriptions aux assurances, les causes de la faible résilience des entrepreneurs plus instruits et les stratégies d’incitation des entrepreneurs à évoluer vers la formalisation.

Comment avez-vous trouvé ce travail de recherche ?

Ce travail de recherche a été vraiment éprouvant à tout point de vue. Il y a eu même des moments où je me demandais s’il ne fallait pas abandonner ? Mais, ce fut également un travail exaltant lorsqu’on est arrivé, à travers une méthodologie rigoureuse, à trouver des résultats qui, tout en faisant progresser la science, sont très utiles à nos populations et aux autorités des pays en développement et même des pays développés car le secteur informel de nos jours est une réalité planétaire.

Quelles sont vos perspectives après un tel travail de recherche ?

En termes de perspectives, je vais m’orienter davantage vers la recherche, l’enseignement et le conseil aux organisations. J’exhorte tous ceux qui ont les capacités surtout les jeunes à se lancer à la conquête du doctorat et les autorités à investir davantage dans la recherche car la relation entre la recherche et le développement d’une nation est une vérité triviale.

Votre mot de la fin ?

Permettez-moi de saisir cette opportunité pour tout d’abord, rendre grâce à Dieu qui m’a donné les capacités de pouvoir faire cet important travail. Ensuite, je voudrais exprimer ma gratitude à mon directeur de thèse Monsieur Alidou OUEDRAOGO, Professeur Titulaire en Sciences de Gestion, Universités de Moncton (Canada) et Aube Nouvelle (Burkina Faso) et à mon Co-directeur de Thèse, Monsieur Jean-Fabrice LEBRATY, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université de Lyon3 (France) qui, 5 ans durant, c’est à dire depuis mon Master recherche ont accepté de m’accompagner à travers leurs appuis divers à la réalisation de cette Œuvre.

Cette gratitude va également à l’endroit des membres du jury international présidé par Monsieur Marc Bidan, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université de Nantes (France) et Aube nouvelle (Burkina Faso) qui après la délibération m’ont décerné la mention « très honorables ».

J’exprime de tout cœur, mes remerciements et ma gratitude à Monsieur Isidore KINI, Président Directeur Fondateur de l’Université Aube Nouvelles pour toutes les sollicitudes à mon endroit. J’associe dans cette tranche de remerciements, toute l’équipe d’encadrement de l’Université Aube Nouvelle pour son dévouement ainsi qu’à toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, m’ont apporté leur soutien.

Un grand merci au Dr Cyriaque PARE, fondateur de Lefaso.net et à toute son équipe pour m’avoir offert l’occasion de communiquer les résultats de mon travail de recherche.

Que Dieu Tout Puissant, bénisse chacun au centuple de ses bienfaits.

Entretien réalisé par Yvette ZONGO

Lefaso.net

Source: LeFaso.net