‘’Faire en sorte qu’à l’horizon 2025, le Burkina soit parmi les premiers pays à déclarer l’excision totalement éradiquée », c’est la ligne de mire de l’association unie pour l’éradication de l’excision au Burkina-Faso (JEUNEE/BF) qui a, depuis 2012, initié une caravane annuelle à destination des localités du Burkina. Cette année également, la tradition sera respectée à travers une offensive en direction de l’Ouest du pays, précisément les régions des Hauts-Bassins et des Cascades. Ce sera du 16 au 22 juillet 2017. A quelques jours du top de départ de cette campagne de proximité, le coordonnateur général de JUNEE/BF, Idrissa Konditamdé, donne de plus amples informations sur l’édition de cette année et revient sur les objectifs que son organisation s’est assigné à sa création.

Lefaso.net : Quels sont les objectifs poursuivis par la caravane ?

Idrissa Konditamdé : L’objectif général de la caravane des jeunes « stop excision2017 » est de contribuer à la promotion de l’élimination de la pratique de l’excision, en impliquant directement les jeunes, en tant qu’acteurs et bénéficiaires des activités. De façon spécifique, il s’agira au cours de cette semaine de campagne de sensibiliser au moins 2000 personnes de cinq communes des provinces du Kénédougou, de la Léraba et de la Comoé (dans la région des Cascades) à s’impliquer dans la promotion de l’élimination de la pratique de l’excision par des animations grand public ; susciter l’adhésion d’au moins 500 jeunes des communes sillonnées à la cause de la lutte contre la pratique de l’excision. L’initiative vise également à obtenir l’engagement écrit d’au moins 100 leaders coutumiers, religieux, administratifs et politiques des communes sillonnées pour l’accompagnement des jeunes dans la lutte contre la pratique de l’excision, de même que l’implication des populations frontalières dans les activités de promotion de l’élimination des MGF (Mutilations génitales féminines).

Lefaso.net : Quels sont les critères qui ont prévalu au choix de ces communes ?

Idrissa Konditamdé : Avant de parler des critères qui ont prévalu au choix de ces communes, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel se tient cette caravane. En effet depuis un certain temps nous avons constaté que du fait de l’application de plus en plus stricte de la loi contre l’excision au Burkina la pratique de a connu des mutations dans son mode opératoire. Il s’agit notamment de la clandestinité, l’abattement de l’âge à l’excision et la pratique transfrontalière. Cette dernière mutation est favorisée par la disparité des approches dans les pays frontaliers, la porosité des frontières et la proximité géographique, familiale et culturelle. Une étude sur la pratique transfrontalière de l’excision menée en 2016 aux frontalières avec le Mali et la côte d’Ivoire par le SP/CNLPE a révélé que 59,75% des femmes de 15 à 49 ans et 8,75% des filles de moins de 15 ans ont été victimes de l’excision.

C’est dans ce contexte que nous avons initié en partenariat avec le SP/CNLPE un premier passage de la caravane du 5 au 15 septembre 2016. La présente édition vient renforcer la couverture géographique. Donc,le premier critère qui a prévalu au choix des communes est la situation géographique ; c’est-à-dire le fait d’être située à la frontière entre le Burkina et la côte d’Ivoire ou le Mali. Le deuxième critère qui a prévalu est la situation de la pratique de l’excision dans la zone. L’actualité aussi a prévalu en ce sens que la commune de Samorogouan a connu un cas d’excision sur 8 fillettes en janvier dernier plus précisément dans le village de Sikorla. C’est l’ensemble de ces critères et après concertation avec les autorités et populations locales qui nous ont permis d’identifier les Samorogouan où nous serons le 17 juillet, Kangala le 18 juillet, Niankorodougou le 20 juillet, Banfora le 21 juillet et Soubakaniédougou le 22 juillet.

Lefaso.net : De façon concrète, comment se déroule le séjour dans une commune ?

Idrissa Konditamdé : Dans chaque commune nous avons prévu un paquet d’activités retenu de façon participative avec les populations locales. Ainsi lorsque nous arrivons dans une commune, dans la matinée à partir de 9 heures, nous tenons un atelier de plaidoyer qui regroupe tous les leaders de la commune : maire, préfet, leaders coutumiers et religieux, responsables des services déconcentrés de l’Etat, femmes leaders, organisations de jeunes, etc. Au même moment, les caravaniers qui sont au nombre de 25 sont repartis en cinq équipes : une équipe reste dans la salle pour le plaidoyer, une autre équipe se déploie à travers la commune pour mener les actions de sensibilisation de proximité dans les concessions et lieux de rassemblement.

Dans l’après-midi, nous nous retrouvons dans un espace public, identifié par la mairie, pour faire une animation grand public qui comporte une représentation de la pièce « LAMTAYA GOO » « ma tradition » en dioula, exécutée par la compagnie théâtrale « Lagmtaaba lapanga ».En plus de cette représentation théâtrale il y a une animation musicale qui sera exécutée par quatre artistes au niveau national et deux artistes résidents au niveau de la commune.

Lefaso.net : Après trois éditions, peut-on avoir une idée sur les localités servies ?

Idrissa Konditamdé : La première édition a eu lieu dans la région du Centre-ouest à travers deux communes dont celle de Koudougou et Léo. On n’avait pas de partenaires pour nous accompagner en ce moment, si fait qu’on était obligé de se limiter à ces deux localités. La deuxième édition a eu lieu dans les régions du Centre-nord et du Plateau-central et nous avons pu, à cette édition, parcourir cinq communes dans ces deux régions (dont deux dans le centre-nord (Kaya et Korsimoro) et trois dans le Plateau-central (Zam, Mogtédo et Zorgho). A la troisième édition, nous avons été dans une commune dans la province duKénédougou (Koloko), deux dans la province de la Léréba (Dakoroet Ouéléni), et deux dans la Comoé à savoir Niangoloko et Mangodara.

La quatrième édition reprend la même direction des régions des Cascades, parce que nous nous sommes dit qu’au regard de la persistance de l’excision dans les zones frontalières, il fallait faire un autre passage.Raison pour laquelle, pour cette édition, nous avons décidé de mettre le cap sur cette région et de prendre en compte les communes de Samorogouan où nous serons le 17 juillet, Kangala le 18 juillet, Niankorodougou le 20 juillet, Banfora le 21 juillet et Soubakaniédougou le 22 juillet.

Lefaso.net : Quel est le temps que vous consacré à chaque commune ?


Idrissa Konditamdé : Quand nous arrivons dans une commune, nous faisons à peu près 48heures ; nous arrivons la veille, on passe la nuit et le lendemain, on déroule les activités prévues. Puis, nous continuons dans la commune suivante où on y passe la nuit pour exécuter ensuite les activités le lendemain. Cette année, la Caravane va se dérouler du 16 au 22 juillet. C’est une période de pluies, certes, mais c’est également la période où les cas d’excision sont très élevés. C’est donc une période critique ; ce qui justifie que nous ayons maintenu l’activité malgré les aléas climatiques.

Lefaso.net : Quelles sont les principales leçons que vous avez tirées des éditions précédentes ?

Idrissa Konditamdé : Le premier constat est que l’approche participative et inclusive que nous utilisons est bien appréciée par les populations. En effet, on a constaté une forte mobilisation des jeunes dans toutes les communes où nous sommes passés. Nous avons également noté la mobilisation des autorités coutumières, religieuses et politiques autour de la question (partout, nous avons pu mobiliser toutes les couches de la société). On constate aussi la mobilisation de plus en plus de partenaires à nous accompagner ; ce qui témoigne de la pertinence de notre combat. Par ailleurs, les déclarations attendues sont rassurantes en ce sens qu’il est très rare de rencontrer une personne qui a un avis favorable à cette pratique. Les engagements signés par les leaders communautaires sont la preuve de leur décision de combattre l’excision dans leur commune.

Cependant, au-delà de ces notes positives, il y a des difficultés qu’il convient de signaler. La non-couverture de toutes les communes des régions que nous traversons réduit l’impact de nos activités. Il arrive qu’après notre passage dans une commune, on récence un cas d’excision dans une autre commune de la même province que nous n’avons pu prendre en compte faute de moyens. Pour pallier cela nous invitons les partenaires à renforcer leur accompagnement afin que nous puissions couvrir toutes les communes de la région concernée avant de passer à une autre région.

Lefaso.net : Lorsque les communes sont identifiées, comment se fait le travail préparatoire sur le terrain ?

Idrissa Konditamdé : Avant la Caravane, nous envoyons une équipe de prospection. Pour cette édition, la mission de prospection était dans les communes concernées, du 27 juin au 2 juillet.Cette démarche a permis de rencontrer, dans chacune des communes, le préfet, le maire, les associations de la localité, etc. Elle nous a permis d’échanger avec les autorités locales sur leurs attentes et de recueillir leurs conseils et suggestions. C’est pour cela d’ailleurs qu’il y a une légère modification de la date (c’était prévu de 10 au 16 juillet) pour tenir compte des recommandations des autorités locales. Au cours de cette mission nous avons également pu rencontrer des Je profite de l’occasion pour traduire mes remerciements aux autorités régionales et provinciales du ministère de la femme, la solidarité nationale et de la famille, aux préfets et maires des communes retenues pour leur disponibilité.

Lefaso.net : Que faites-vous entre deux éditions ?


Idrissa Konditamdé : Entre deux éditions, nous essayons de maintenir le cap, même si le manque de financements fait qu’on ne peut pas rester actif douze mois sur douze. Déjà partout où nous passons, nous mettons en place un noyau de quatre jeunes, que nous appelons « Comité de veille et d’alerte ». Ce Comité est chargé, au cas où il y aurait une tentative d’excision, d’appeler le numéro vert du conseil national de lutte contre la pratique de l’excision (80 00 11 12) pour dénoncer, permettre de sauver les fillettes ou appliquer des sanctions si l’acte est déjà consommé. Nous avons également des activités de formation et nous participons à des activités auxquelles nous sommes conviés par nos partenaires.

Lefaso.net : Y-a-t-il assez de structures de lutte contre la pratique de l’excision au Burkina ? Si oui…, une synergie d’action entre vous ?

Idrissa Konditamdé : Il y a de nombreuses organisations de lutte contre la pratique au Burkina Faso. A la faveur de la première phase du projet conjoint UNFPA-UNICEF pour l’accélération de l’élimination de la pratique de l’excision des réseaux ont été mis en place. Nous nous sommes engagés alors à capitaliser la force, la vigueur et l’énergie dont dispose la jeunesse pour servir la cause de cette lutte. Nous entretenons une parfaite collaboration avec le Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision. La preuve en est que pour cette activité, il est notre partenaire technique. Il a également été pour beaucoup dans la mobilisation des Fonds pour cette caravane. Avec les autres organisations de la société civile qui travaillent dans ce domaine, nous travaillons en toute complémentarité.

Nous notons avec satisfaction un début de reconnaissance de notre action à travers l’invitation de notre association à des rencontres nationales et internationales sur l’excision. On peut citer le forum sur le rôle des adolescents dans la mise en œuvre de l’agenda 2030 des Nations-Unies en décembre 2016 à Marrakech au Maroc et l’atelier de formation en communication de l’ONG GIRL GENERATION en mai 2017 au Sénégal. Au cours de ces foras nous ne manquons pas de faire le point de ce qui est fait au Burkinaconsidéré aujourd’hui comme un exemple en la matière, en termes d’activités des organisations de la société civile et de volonté politique du gouvernement. Le Burkina a même été porteur d’une Résolution des Nations-Unies pour l’interdiction totale des mutilations génitales féminines dans le monde.

Lefaso.net : Qui sont les caravaniers ?

Idrissa Konditamdé : Ce sont des jeunes, issus de plusieurs domaines. Dans le recrutement, nous tenons compte de la langue et de leurs compétences en matière d’animation. Il y en a qui sont-là depuis la première année et ce sont des expériences que nous comptons capitaliser.

Lefaso.net : Pour une pratique que certains collent à la tradition, on imagine que les difficultés dans ce combat sont aussi nombreuses !

Idrissa Konditamdé : C’est vrai, mais l’évolution a fait que le travail est un peu plus facilité, parce que je me rappelle bien que les premières années de la lutte n’a pas été facile ; puisque certains agents se sont faits même lapidés sur le terrain quand ils sont partis pour aborder la question. Mais, de plus en plus on assiste à un basculement vers la nouvelle norme sociale que nous promouvons à savoir la non pratique de l’excision. Les populations sont réceptives à nos messages. Mais, il reste que certaines populations sont sous la pesanteur de la coutume. Et notre rôle, c’est de pouvoir développer des arguments pour leur faire comprendre que la pratique n’a que des conséquences néfastes à court, moyen et long termes (hémorragie, choc psychologique, infections, développement de kystes, risques de perturber les parties génitales, etc.).

Lefaso.net : Votre principal défi à ce jour ?

Idrissa Konditamdé : C’est de faire en sorte qu’à l’horizon 2025, le Burkina soit parmi les premiers pays à déclarer l’excision totalement éradiquée (l’échéance des Nations-Unies étant fixée à 2030). Et pour y arriver, nous envisageons le renforcement de nos relations avec nos partenaires techniques et financiers et la décentralisation de nos activités jusqu’au niveau village.

Lefaso.net : A quelques jours du top départ de l’édition de 2017, qu’avez-vous à dire en conclusion ?

Idrissa Konditamdé : Je voudrais tout d’abord, au nom de tous les membres de JEUNEE/BF,remercier les autorités de notre pays pour la volonté politique affichée dans la lutte contre l’excision. Cependant, je tiens à leur rappeler que, tant que cette volonté politique n’est pas accompagnée d’un financement conséquemment, les objectifs affichés resteront au stade de vœux pieux. Il vous souviendra que l’édition de 2016 a été patronnée par l’épouse du président du Faso, Sika Kaboré, par ailleurs présidente d’honneur du CNLPE, (Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision) que nous avons encore sollicitée cette année au regard de son engagement personnel dans cette lutte. Je profite donc de votre tribune pour lui traduire nos remerciements pour avoir fait le déplacement le jour du lancement de notre caravane.

Ces remerciements s’adressent également au ministre de la Femme, la Solidarité nationale et de la Famille, Laure Zongo, pour sa présence le jour de notre départ. Je salue également l’engagement à nos côtés de notreparrain, le ministre de l’énergie,

Pr Alpha Oumar Dissa. Au SP/CNLPE (Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre la pratique de l’excision), je traduis ma satisfaction pour la parfaite collaboration dans la mise en œuvre de ce projet. Aux partenaires techniques et financiers, à savoir l’UNICEF et l’UNFPA, j’exprime ma sincère reconnaissance pour le soutien constant depuis la IIème édition de notre caravane. Pour finir, j’invite les populations de Samorogouan à se mobiliser fortement le lundi, 17 juillet 2017 à partir de 9h, au terrain communal pour écouter notre message.

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo

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Source: LeFaso.net