Il faudrait le dire tout net : nous ne marchons pas au même pas qu’une justice équitable, ni au rythme d’une réconciliation vraie, encore moins sur la voie de la bonne gouvernance tant attendue par le vaillant peuple insurgé qui, pourtant a parié pour l’actuel régime lors des élections présidentielles de novembre 2015.

En votant massivement pour le candidat Kaboré, le peuple burkinabè a de ce fait donné un blanc-seing au triumvirat ; avec la ferme conviction que plus rien ne serait comme avant. Dire que le peuple s’est trompé par son choix serait assez précipité dans notre jugement. Ne dit-on pas en langue de Shakespeare « a last but not a least » ?

Si le MPP (ndlr : mouvement du peuple pour le progrès ; parti au pouvoir) fût la dernière formation politique à intégrer le CFOP (chef de file de l’opposition politique) pour barrer la route au régime clanique du président Compaoré dans leur élan de « patrimonisation » du pouvoir, le triumvirat de ce parti n’était pas moins engagé pour le vrai changement. Le coup d’Etat bête du général Dienderé et ses acolytes aurait été un succès et ce triumvirat serait bien loin du Burkina Faso ou pire, serait passé de vie à trépas…

Nous en profitons aussi pour rappeler au régime actuel qu’il doit son pouvoir et sa survie au mouvement de la résistance ; au vaillant peuple intègre, aux différents bataillons des Forces de Défense et de Sécurité qui n’ont ménagé aucun effort pour en découdre avec l’ex-RSP, -et quoiqu’on dise- à la ténacité des hautes personnalités de la Transition.

Ainsi donc, l’euphorie générale d’avoir bouté le régime Compaoré hors du pouvoir l’emportât sur la préoccupation de « qui viendrait au pouvoir » ? Pour le vaillant peuple, peu importait celui qui viendrait car le prochain régime aurait appris une leçon certaine : le pouvoir, c’est pour servir le peuple et non se servir.

Le MPP arrivât donc au pouvoir avec son trio gagnant ; mais aussi avec une dette envers l’ensemble des Burkinabè au regard des circonstances qui ont permis l’organisation d’une élection présidentielle libre et transparente. Les populations, qu’elles soient de Gorom-Gorom, de Mangodara, de Diapaga ou de Djibasso, ont toutes gagé pour ce renouveau démocratique « sans visage » qui pourrait enfin leur apporter le progrès social tant attendu sous l’ère Compaoré. Hélas, les populations attendent toujours de voir des lendemains meilleurs un an et demi après l’arrivée au pouvoir du Mouvement du peuple pour le progrès et ses alliés politiques.

Notre problème en Afrique, c’est le manque de planification stratégique et de rigueur dans la mise en œuvre d’un programme ou d’un projet quelconque. Quelqu’un nous disait que le problème de l’Afrique, ce ne sont ni le manque de compétences ou d’idées mais le manque de rigueur en toute chose. Il suffit de jeter un regard furtif pour se rendre compte comment nos administrations (publiques ou privées) fonctionnent. Toutes les excuses sont bonnes pour griller des heures de travail et parfois même c’est en groupe que cela se fait : saluer la famille du beau-frère décédé du DG, empêchement pour raison de forte pluie, fiançailles traditionnelles d’un collègue, funérailles de la femme de l’oncle maternel au village… et quoi encore !

On ne peut prôner une gestion axée sur les résultats et tolérer un laxisme à la limite officialisé. La bonne gouvernance ne s’attèle pas avec sentiments. En claire, celui qui prône une bonne gouvernance devrait avant tout mettre l’Homme qu’il faut à la place qu’il faut afin que ce dernier puisse rendre forte l’institution qu’il est appelé à diriger. Le premier moteur de développement c’est l’Homme lui-même ! Lorsque nous apprenons que « le président est choqué » pour ceci ou cela, le gouvernement va mener des investigations pour ceci ou cela, le parlement s’excuse pour ceci ou cela, ou encore que la justice soit dite pour telle ou telle affaire… Et pourtant nous ne voyons rien à l’horizon, cela ramène à croire que la volonté politique n’y est pas. Encore moins le charisme ?

Pour faire raccourci, nos gouvernants devraient savoir qu’il n’y a que deux modèles pour aspirer à la bonne gestion de la chose publique : le premier modèle c’est de s’entourer de hautes compétences doublées d’intégrité, de responsabilité et de probité. Le second, moins harassant (à défaut de hautes compétences), c’est se servir d’un rétroviseur pour adopter les bonnes actions du passé et éviter de commettre les mêmes erreurs qu’un régime antérieur. Car Il n’y a plus incompétent que celui qui continue de faire les mêmes actions tout en espérant un résultat différent.

Des erreurs du passé ? Il n’y a aucun Burkinabè d’un certain âge qui ne puisse les énumérer. Et nous les citons pêle-mêle : crimes économiques et de sang, corruption à ciel ouvert, clientélisme, clanisme et copinage politiques, malversations financières, affairisme et laxisme dans l’administration publique…etc.

Quid des bonnes actions du passé ? Il suffirait juste de sortir du tiroir et dépoussiérer le programme du panafricaniste Thomas Sankara, président du Faso (1983-1987). Dans son fameux Discours d’orientation politique (DOP), tout gouvernement soucieux du développement de son peuple y trouverait de quoi moudre : autosuffisance alimentaire, alphabétisation, émancipation de la femme, eau potable, santé et logement pour tous, luttes contre la corruption, le néo-colonialisme économique, la gabegie, le laxisme dans l’administration publique…et.

Si nous saluons l’intention du gouvernement actuel dans sa préoccupation du bien-être des populations- car nous y percevons une certaine sincérité lorsqu’ils ont l’occasion de s’exprimer sur la vie de la nation-, nous devons néanmoins leur rappeler que la fermeté diligente renforce la bonne gouvernance. Il n’y a pas à attendre midi à quatorze heure pour sanctionner un fautif de malversation, d’affairisme ou de détournement de deniers publics dans l’un des pays les plus pauvres de la planète. Notre retard, notre sous-développement légendaire ne nous autorise pas à tergiverser bien longtemps sur des faits pourtant bien avérés avant de prendre des sanctions.

Le peuple burkinabè insurgé a faim et soif : soif de la vérité, la justice vraie avant toute réconciliation si réconciliation il y a dans l’ordre du jour. Il a faim du développement socioéconomique, de l’emploi, du partage équitable des retombées économiques, faim du bien-être tout court. Et lorsque nous entendons « allons seulement ! », il ne suffit pas seulement d’aller mais de savoir d’où l’on vient et où va-t-on ?

Déjà un an et demi que le régime du président Kaboré est en marche mais les indicateurs laissent le peuple encore dubitatif sur les réelles capacités de bonne gouvernance de nos dirigeants. Le 29 décembre 2016, à la faveur de la sortie du président Roch Kaboré face à la presse pour faire le bilan d’un an de sa gouvernance, il a bien voulu expliquer l’expression mouta mouta -dont il serait l’auteur- en ces termes : « le mouta mouta c’est le manque de transparence. Ce sont les négociations souterraines pour aboutir à des accords souterrains que personne ne connait ».

Alors cher président, nous vous savons droit et conciliateur, nous croyons sincèrement à votre préoccupation pour le bien-être de la population, nous croyons que vous croyez à votre PNDES (référentiel de développement socioéconomique) et nous sommes conscients que vous ne souhaitez pas que votre régime tombe dans le « mouta mouta » puisque les mêmes causes ne peuvent que produire les mêmes effets.
Vos collaborateurs n’ont qu’à juste regarder dans leur rétroviseur et copier puis coller les bonnes actions qui ont donné espoir à tout un peuple dans un passé pas tellement récent de notre cher Faso.

Ne l’oublions jamais : une insurrection peut en cacher une autre…

Roland ZONGO SANOU,

Lefaso.net (Correspondant en Espagne)

Source: LeFaso.net