3ème adjoint au maire de la commune de Ouagadougou, Nathanaël Ouédraogo est le Secrétaire national chargé des questions électorales de l’Union pour le progrès et le changement (UPC). En prélude à l’ouverture officielle de la campagne pour le compte des municipales partielles et complémentaires, et dans l’optique de prendre le pool des états-majors des partis politiques et regroupement d’indépendants en lice, le directeur de campagne présidentielle de Zéphirin Diabré a bien voulu s’exprimer sur les préparatifs au sein de son parti. Mieux, Nathanaël Ouédraogo donne ici, sa perception du processus même de décentralisation intégrale au Burkina. Entretien !
Lefaso.net : A quatre jours de l’ouverture de la campagne électorale, quel est l’état des préparatifs au sein de votre parti, l’UPC ?
Nathanaël Ouédraogo : Effectivement, nous sommes à quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale, et comme dans tout bon parti, nous avons mis en place un système permettant à l’UPC, au soir de ces élections, de pouvoir avoir le maximum de conseillers municipaux. Il s’agit notamment de ce que nous avons déjà fait, à savoir choisir des militants capables d’arracher des suffrages dans les localités concernées. Vous savez que souvent, dans beaucoup de partis, ce choix même donne toujours lieu à des tensions.
Mais, l’UPC est toujours parvenue à mener ce processus de manière non seulement apaisée, mais aussi transparente. C’est ce qui fait que le choix des candidats de l’UPC, quelle que soit l’élection, s’est toujours passé dans le calme ; parce que notre parti a des textes, qui sont chaque fois respectés par des militants vraiment convaincus, qui savent que la démocratie n’est pas la guerre ; bien au contraire, ce sont des programmes à travers lesquels nous voulons convaincre les populations en leur montrant l’intérêt à nous voter pour que nous puissions les mettre en pratique. Donc, ce casting a été très bien fait et nous avons aujourd’hui des camarades qui sont prêts à se lancer dans la campagne électorale.
Lefaos.net : 19 circonscriptions électorales sont concernées, l’UPC prend-elle part à cette compétition dans toutes ces localités ?
Nathanaël Ouédraogo : L’UPC va compétir dans 17 communes sur les 19.
Lefaso.net : Trois de ces communes ont échappé aux élections générales du 22 mai 2016 pour des raisons de crises. Qu’est-ce que votre parti entreprend en ce moment pour décrisper la situation et donner une chance cet ultime acte ?
Nathanaël Ouédraogo : L’UPC a fait deux choses. La première a consisté dans le choix des hommes qui vont aller à la conquête des suffrages dans ces communes. Vous savez, quand vous choisissez des gens qui sont des patriotes, qui comprennent le sens de l’intérêt général, il n’y a pas de problème ; c’est sûr qu’à l’interne, il y aura la paix et ces gens vont transposer la paix à l’extérieur, non seulement lors de la campagne, mais aussi durant tout le processus en apportant toujours des revendications ou des positions très modérées et très compréhensives.
La deuxième chose est que nous avons saisi les tribunaux, quand il s’est agi de savoir si les mêmes personnes qui avaient été à l’origine des troubles pouvaient participer. Le tribunal a jugé qu’elles pouvaient participer, au nom même de la paix, et comme, justement, nous sommes un parti qui aime la paix, nous avons accepté. C’est un challenge, que les juridictions et les autorités ont pris, en disant que cela va amener la paix et nous y croyons, nous y allons et on travaille à ce que la paix règne dans ces communes afin qu’elles puissent se développer.
Donc, nous avons introduit nos requêtes devant les tribunaux, nous avons accepté le verdict et nous avons demandé à nos militants d’accepter ; puisque c’est au nom de la paix que ces juridictions et ces autorités ont décidé que tout le prenne part aux élections. Et comme à l’accoutumée, l’UPC a toujours su montrer la voie à suivre : le fait d’ester en justice, montre que dans une République, dans une démocratie, lorsqu’il y a un différend, quelle que soit la nature, c’est au juge de trancher. Et une fois les juges ont tranché, on doit accepter. Même si ce n’est pas à votre faveur. Et l’UPC l’a toujours fait, systématiquement.
Pour que ce ne soit pas comme ce que nous voyons dans beaucoup de pays, des guerres issues d’élections, c’est que les gens sachent que pour revendiquer, il n’y a qu’une seule voie : la justice. Et c’est ce que nous faisons ; l’UPC et son président, Zéphirin Diabré, ont toujours montré la voie et je suis content de voir qu’hier (8 mai, ndlr), l’ambassadeur des Etats-Unis s’est déplacé et a reconnu au chef de file de l’opposition d’être un maillon important dans la construction de la démocratie au Burkina ces dernières années. Cela montre que l’action de notre président mène à la tête du CFOP-BF et à la tête de l’UPC est vue et considérée comme un apport important pour la démocratie et pour la construction de notre cher pays.
On est même allé jusqu’à le nommer « Yam puukri » (littéralement, l’éveil des consciences). C’est pour tout cela nous voulons et œuvrons, une fois encore, pour que ces élections soient apaisées. S’il y a élections aujourd’hui, qui vont coûter plus d’un milliard et 200 millions, c’est parce qu’il y a eu des tensions et violences. Nous ne voulons plus de cela. C’est pourquoi également, nous appelons effectivement les populations, que ce soit pendant la campagne, le jour du scrutin ou après le scrutin, à toujours faire référence aux juridictions compétentes pour trancher les différends issus du processus.
Lefaso.net : Votre parti appelle à la préservation de l’intérêt général, mais il se trouve qu’une compétition met aux prises plusieurs parties (des adversaires). Avez-vous initié des cadres informels de concertations avec les autres conquérants dans cet esprit ?
Nathanaël Ouédraogo : Oui, il y a eu des rencontres qui ont été initiées par les partis politiques, surtout dans les communes où les conseillers avaient été élus, mais où l’on n’a pas pu mettre en place l’exécutif local. Il y a eu des rencontres entre les partis, qui ont même pris certaines décisions allant dans le sens d’un dénouement. Mais, parfois, ce sont les acteurs, les conseillers, qui ont refusé d’appliquer ce que les partis ont convenu d’un commun accord.
C’est dire donc que le dialogue existe. Mais parfois, comme je l’ai dit, le choix de départ, le choix des candidats des partis pose souvent problème. J’espère donc que ces partis ont pris la tâche à bras-le-corps pour écarter ces gens-là des listes pour permettre que de nouvelles personnes puissent être élues et apporter la paix dans la construction nationale et la démocratie.
Lefaso.net : Pour être plus précis, depuis l’annonce de ces élections partielles, les différents partis se sont-ils rencontrés dans les circonscriptions concernées pour échanger sur la nécessité de travailler à sauver l’essentiel ?
Nathanaël Ouédraogo : ça, je peux vous dire qu’on ne l’a pas fait ; parce que, justement, il n’y a pas de cadre de concertations (comme ce qu’on voit dans un pays comme le Niger, où il y a un cadre de concertations de tous les partis politiques autour du Premier ministre ; ce ne sont pas seulement les cadres de concertations de l’opposition d’une part et, d’autre part celui de la majorité). Il faut créer ce cadre-là pour l’ensemble des acteurs politiques et ériger des règles de fonctionnement très claires. Mais, tant que ce cadre n’existe pas, il est toujours difficile de rassembler l’ensemble des acteurs politiques. On va assister à des concertations au niveau du CFOP-BF, des attentes préalables par rapport à l’issue des élections et certainement au niveau de la majorité aussi. Mais, effectivement, il aurait été bon qu’il y ait un cadre de regroupement de l’ensemble des acteurs politiques. Ce qui n’existe pas pour le moment.
Lefaso.net : Certains observateurs notent une certaine morosité pour ces élections partielles, est-ce votre constat ?
Nathanaël Ouédraogo : Oui, il faut savoir que ça (élections) coûte énormément d’argent aux partis. On parle seulement de l’Etat, mais on oublie que les acteurs politiques mettent énormément d’argent. Depuis l’annonce de la reprise, les réunions à tenir, la constitution des dossiers, etc., tout cela demande de l’argent, avant même la campagne. Surtout que cette fois-ci, l’Etat dit qu’il n’a pas d’argent pour donner aux partis en lice. Les acteurs viennent aussi de sortir de trois élections (scrutin couplé du 29 novembre 2015 et les municipales du 22 mai 2016). Ils ont déjà mis les moyens dans ces joutes électorales et se trouvent dans une situation difficile, alors qu’il faut faire des affiches, faire du marketing, etc.
Lefaso.net : Ne craignez-vous pas que cette situation (pas de financements pour les partis en lice) biaise le jeu démocratique, quand on sait que ce sont en général le parti au pouvoir et ses alliés qui disposent de moyens … ?
Nathanaël Ouédraogo : Bien sûr ! Vous conviendrez avec moi que ce ne sont pas les gens qui sont au pouvoir qui ont plus de moyens, souvent ce n’est pas ça, ils ont plutôt les moyens de l’Etat et ce sont ces moyens-là qu’ils utilisent et c’est cela qui est terrible. Ils n’ont pas les moyens (comme tout le monde), mais eux, ils disposent des moyens de l’Etat, qu’ils pensent être les leurs, qu’ils vont les mettre en branle et effectivement, il y aura un déséquilibre dans le jeu démocratique. Surtout que la loi électorale n’est jamais appliquée, sinon, normalement l’utilisation des moyens de l’Etat doit être sanctionnée par les tribunaux.
Lefaso.net : On sait aussi que la campagne est un moment de conscientisation et une loi réglemente sa pratique, prévoyez-vous un dispositif pour contrôler tout cela également ?
Nathanaël Ouédraogo : Ah oui ! A l’UPC, on a mis en place un dispositif (comme toujours) pour aller devant les tribunaux, à chaque fois que de besoin. Cela a également valeur pédagogique ; ce n’est pas forcement (et toujours) le résultat qui compte, mais le fait qu’on en parle, ça éveille la conscience des gens, ça les instruits sur les pratiques et les tribunaux jouent aussi leur crédibilité en tranchant. Quand une décision est rendue, nous nous réservons de la commenter, mais le citoyen lambda arrive à se faire une idée s’il y a justice ou pas. Nous laissons à chacun son rôle et notre rôle est qu’à chaque fois qu’il y aura des travers, un manquement à la loi, nous allons le porter devant les tribunaux, à eux aussi de faire leur travail et au peuple de reconnaître si le droit a été dit ou non (puisque le jugement est rendu en son nom).
Lefaso.net : C’est une campagne de proximité certes, mais comment l’UPC compte-t-elle faire le maillage du terrain ?
Nathanaël Ouédraogo : Vous savez, un général ne dit jamais sa stratégie avant la bataille…
Lefaso.net : N’empêche que vous pouvez dévoiler l’ossature de l’organisation !
Nathanaël Ouédraogo : Même l’ossature ; il y a la stratégie et la tactique. La stratégie consiste à donner l’ossature et si on vous casse votre ossature…, imaginez un être humain qui a la colonne vertébrale cassée, il ne tient plus débout ! Donc, ce que je peux dire, c’est que nous avons, dans cette campagne qui est de proximité, privilégié l’approche auprès de l’électeur. Et d’ailleurs, je me rappelle en 2012, c’est l’UPC qui a commencé à dire ‘’campagne de proximité », parce qu’à l’époque, le parti au pouvoir était dans les grands meetings, à des coûts de millions. Mais, ils se sont rendu compte que la campagne de proximité était plus efficace.
Imaginez à l’époque si on l’avait dit et qu’on nous avait copié, on ne serait pas là avec nos députés et nos conseillers. Je peux vous dire donc que nous allons vers l’électeur, pour nous faire comprendre que c’est dans son intérêt qu’il choisisse l’UPC, à cause de son programme, à cause des hommes qui vont animer ce programme. Chaque élection est toujours une occasion de rencontres entre les populations et l’élu.
Lefaso.net : Parlons du cas spécifique de l’arrondissement N°4 de Ouagadougou, un sujet récurent…. On repart avec la même dynamique…, pensez-vous, en toute sincérité, qu’on pourra enfin doter cet arrondissement d’un organe dirigeant issu des urnes ?
Nathanaël Ouédraogo : Je l’espère vivement ! Il y a des signaux qui peuvent nous indiquer que nous sommes sûrs des probabilités, que ça se passe bien ou que ça se passe mal. N’oubliez pas que depuis 2012, c’est la quatrième élection que cet arrondissement va faire. Cela montre que jusqu’à présent, le processus tel que fait, et les acteurs tels qu’ils le composent, ont du mal justement à sortir l’arrondissement de ces difficultés. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je suis de cet avis. Mais, je pense que l’UPC, à Ouagadougou, a une fois encore montré la voie en disant que ce serait bien de choisir le maire à l’avance, pour que la population vote justement pour quelqu’un et son programme.
C’est ce que nous avons fait pour la mairie de Ouagadougou. Donc, c’est parce que nous pensons que c’est la meilleure voie d’éviter tous ces problèmes et tous ces blocages. Je crois qu’il y a justement des textes qui sont en révision concernant le code électoral et la gestion des collectivités territoriales. Je pense que cet aspect est en train d’être pris en compte.
Lefaso.net : On fait le constat général que, le processus de décentralisation souffre aussi d’un manque de moyens sur le terrain…. Ce système de gouvernance (décentralisation intégrale) convient-elle vraiment au Burkina ?
Nathanaël Ouédraogo : Je pense qu’il y a eu une erreur fondamentale au moment de la création des collectivités territoriales. Dans notre tête, quand on parle de décentralisation, on voit une autonomie ou une indépendance. Ce qui n’est pas le cas. Les gens n’ont pas compris qu’en fait, aujourd’hui, les maires dépendent du ministère de la décentralisation. Tout comme le préfet, le haut-commissaire, le gouverneur. Mais, les gens pensent que le maire est indépendant. Non, le maire n’est pas indépendant, il est sous tutelle de l’administration centrale.
Sinon, on ne parlerait pas de décentralisation. Il y a eu donc cette confusion au départ et les gens ont cru que lorsqu’on dit décentraliser, ça implique que le maire est autonome. Ce n’est pas cela. On a un qui est nommé par l’Etat (le préfet) et l’autre, ce sont les populations qui le choisissent (le maire). Mais tous sont toujours rattachés au même ministère de tutelle. Cela est important que les populations le sachent. Même les acteurs (il y a aujourd’hui des conseillers qui ne comprennent pas quel est leur rôle, il y a des maires qui n’en savent pas, qui se croient indépendants du pouvoir central, qui croient pouvoir exécuter des programmes indépendants du pouvoir central). L’éducation veut que nous fassions la part des choses.
Si nous voulons par exemple qu’il y ait non seulement décentralisation, mais également une autonomie des collectivités territoriales, c’est une autre loi qu’il faut prendre, ce n’est pas celle-là. Celle-là concerne une décentralisation. Quand on a créé les préfectures, c’était pour une déconcentration, pour qu’au niveau local, il y ait quelqu’un qui continue à représenter l’Etat : le préfet est nommé par les gouvernants et le maire est ‘’nommé » par les gouvernés. C’est la différence notable entre la décentralisation et la déconcentration. Sinon, tous deux répondent et dépendent de l’Etat central. C’est un choix de société et le peuple burkinabè doit se demander s’il a besoin du parfait couplage décentralisation-déconcentration.
Je vais vous dire encore que dans les grandes villes, ça ne se sent pas, mais dans les autres localités, il y a un conflit réel entre le préfet et le maire. Chacun se revendique être au-dessus de l’autre. Nous pensons qu’il faut rendre indépendantes nos collectivités territoriales… Sinon, ça n’a pas de sens, c’est un doublon qui ne sert à rien. J’aurais aimé qu’on enlève aujourd’hui les préfets et que le représentant de l’Etat soit le maire, désigné par les populations. Que le maire soit le seul maître à bord, pour rendre compte au haut-commissaire.
Mieux, j’aurais pensé même qu’on enlève les gouverneurs, puisqu’on a des présidents de conseils régionaux (PCR), il n’y a pas de raison encore qu’on ait un gouverneur, si on a un président de région. Voyez-vous qu’à ce niveau également, ça crée un doublon qui, financièrement, coûte de l’argent (puisque le gouverneur est-là, avec ce qu’il faut et le PCR aussi est-là, avec ses moyens etc.). Si ces deux étaient fusionnés, il n’aurait pas de cacophonie. Je comprends aujourd’hui qu’il y ait un haut-commissaire, parce que pour le moment on n’a pas de structure élective au plan provincial. J’ai l’impression que même l’Etat ne comprend pas…, sinon pourquoi nommer un préfet alors qu’il y a déjà quelqu’un qui est-là, désigné par la population et qui représente l’Etat ? Même si le maire est désigné par les populations, il est l’autorité décentralisée de l’Etat.
Donc, il y a besoin d’éclaircissements pour que, l’Etat comprenant, le peuple comprenant, les gouvernants et les gouvernés puissent, ensemble, dire où est-ce qu’on va. Si on mise sur la décentralisation, il n’y a pas de raison qu’on ait un préfet et un gouverneur (il y a un PCR qui est élu par des conseillers régionaux, qui fonctionne et qui exécute les mêmes projets que l’Etat).
Lefaso.net : Quelles peuvent être les conséquences, si toutefois ces reprises venaient à piétiner (les vieux démons refont surface après le scrutin) ?
Nathanaël Ouédraogo : Je ne pense pas que ça va piétiner. Il y a des facteurs qui font qu’on peut penser cela et déjà, quand on regarde les listes qui ont été déposées, ce n’est jamais à cent pour cent les mêmes acteurs. Je suis sûr que les acteurs candidats vont changer. Le deuxième élément est que je suis sûr que les élus vont changer, chaque camp ne va pas se retrouver avec les mêmes élus (même si on présentait les mêmes listes). C’est dans ce sens que je pense que la campagne peut se faire de façon apaisée. A l’issue de ces élections, j’espère de tout cœur que les problèmes qui nous ont conduits seront définitivement derrière nous.
Lefaso.net : Pour terminer ?
Nathanaël Ouédraogo : J’invite les populations à la pondération et à réfléchir sur leur avenir.
Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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