L’institut Free Afrik vient de rendre public son rapport 2016-2017 sur l’économie burkinabè. Pour présenter ledit document, ses premiers responsables ont organisé une conférence de presse le 19 janvier 2017, à Ouagadougou. Entre un climat sécuritaire dégradé, un front social en ébullition et des réformes précipitées, le Burkina n’a pas su tirer profit d’un contexte international favorable marqué par le retour réussi à la démocratie et donc de la sympathie des partenaires au développement. C’est pourquoi, selon Free Afrik, 2016 est une année perdue pour le Burkina sur le plan économique.

Depuis quatre ans, Free Afrik publie, au mois de janvier, une étude sur le bilan de l’année écoulée et des perspectives de l’année en cours. L’étude 2016-2017 est intitulée « économie burkinabè 2016/2017 : s’éloigner du précipice, engager le renouveau ».

La ministre burkinabè de l’économie, des finances et du développement, au cours d’un point de presse animé le 12 janvier dernier, annonçait un taux de croissance de 5.4% en 2016. Mais, l’Institut Free Afrik, lui, donne un chiffre de 5.2%. Quel que soit le taux retenu, il est inférieur à celui de la zone UEMOA qui est de 7% au cours des deux dernières années.

Un contexte favorable mal exploité

Pourtant, le Burkina pouvait mieux faire s’il avait su tirer profit de la confiance des partenaires au développement. Car, « en raison de son retour réussi à la démocratie, le pays bénéficie d’une bonne disposition des partenaires au développement comme une sorte de prime au rétablissement démocratique, en témoigne le volume des intentions de financement exprimées par les PTF du PNDES à Paris. Cette bonne disposition reste davantage un potentiel à convertir en facteur effectif de soutien à la relance économique et au développement du pays. Dans un contexte de durcissement des conditions de financement du développement, elle constitue un atout que des pays comparables n’ont pas », a expliqué Dr Ra-Sablga Ouédraogo, le directeur exécutif de Free Afrik.

A cela, il ajoute la remontée du cours de l’or et du coton, principaux produits d’exportation du pays, après des chutes importantes en 2014 et 2015. Mais, la cagnotte engrangée du fait de la chute du cours du pétrole a servi à compenser essentiellement la baisse du carburant.

11 300 emplois détruits en octobre 2014

Certes, malgré les chocs adverses, l’économie nationale a montré une résilience importante. Mais, les effets négatifs demeurent encore. Dr Ouédraogo et son équipe rappellent que 114 entreprises ont été cassées et 11 300 emplois perdus suite à l’insurrection de 2014. Mais, jusque-là, regrettent-ils, « aucune action publique spécifique n’a visé le traitement des conséquences sociales » de ces dégâts économiques.


Free Afrik, dans la présente étude, ne manque pas de rappeler le climat sécuritaire fortement dégradé au fil des ans. Ainsi, entre avril 2015 et janvier 2017, le Burkina a subi 13 attaques terroristes dont neuf en 2016, occasionnant 57 morts, 82 blessés et trois prises d’otages. Cette situation a des conséquences énormes sur le plan économique. Elle conduit à un resserrement de la demande, mais aussi à une explosion des charges pour les besoins de sécurité. Les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et des loisirs sont particulièrement affectés car obligés de recourir aux services de la police et de la gendarmerie. A titre d’exemple, Dr Ra-Sablga Ouédraogo précise que les hôtels dépensent en moyenne 900 000F CFA par mois pour deux agents de sécurité.

A cette situation sécuritaire préjudiciable pour l’économie, il faudra ajouter le climat social en ébullition tout au long de l’année, avec des grèves tous azimuts dans l’administration publique.

Le PNDES attend toujours ses organes techniques

Selon Free Afrik, le Plan national de développement économique et social (PNDES) est toujours sur papier. Les organes techniques ne sont pas encore fonctionnels malgré la grande publicité autour de ce référentiel de développement du Burkina. Si Free Afrik reconnait la réussite de la table-ronde de Paris en décembre 2016, il estime toutefois que « ce succès relatif ne doit pas faire perdre de vue les contraintes concrètes qui pèsent sur la capacité d’absorption ainsi que la priorité donnée à la mobilisation des ressources internes ». Pendant ce temps, la population a augmenté d’au moins un demi-million de personnes en 2016. Et les défis restent entiers.

2017 : précipice ou renouveau ?

Free Afrik souligne l’inertie, l’improvisation, les réformes précipitées et les idées vendangées par les autorités politiques. Il en veut pour preuve la gratuité des soins qui a été improvisée, sans une communication appropriée en direction des bénéficiaires, ni concertation suffisante avec les parties prenantes. Aussi, la disponibilité des stocks et la soutenabilité financière et économique de la réforme et des formations sanitaires n’auraient pas été étudiées et les précautions requises ont alors manqué. Cette réforme de grande portée sociale du président Kaboré connait donc d’importantes difficultés qu’il faudra corriger au plus vite pour renforcer les impacts attendus.


L’étude confirme également le pouvoir triangulaire du parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Un triangle d’incompatibilité qui a pour conséquence une lourdeur dans les prises de décision, la faible réactivité et l’attentisme dans certains cas. Pour sortir de cette inertie préjudiciable à l’économie burkinabè, un repositionnement des acteurs est indispensable. Faute de quoi, le pays se dirige vers le précipice. C’est donc dire que 2017 s’annonce critique. Il appartiendra aux Burkinabè de prendre leurs responsabilités, chacun en ce qui le concerne. Car, l’analyse stratégique menée par Free Afrik indique que 2017 est une année critique, conduisant au précipice, ou une perspective plus heureuse de renouveau économique si tous les acteurs jouent pleinement leurs rôles.

Les pays de l’UEMOA se portent bien

Cette étude fait d’abord le point sur l’économie mondiale dont la croissance est en régression. Le taux de croissance mondiale est de 3.1% en 2016 contre 3.8% sur la période 2010-2015. Cette décélération de l’économie mondiale est liée au ralentissement de l’investissement des USA, les incertitudes politiques suscitées par le Brexit et la montée de l’extrémisme politique, mais aussi la menace terroriste.

Les économies émergentes, quant à elles, poursuivent leur croissance. Mais, l’économie chinoise, le moteur de cette croissance, connait un ralentissement en 2016. C’est plutôt l’économie indienne qui enregistre la meilleure performance des pays émergents avec une croissance économique de 7.6%.

La croissance africaine est en train de s’essouffler. En 2016, l’économie de l’Afrique subsaharienne enregistre une croissance inférieure à la moyenne mondiale, soit 1,4% contre 3.1% au niveau mondial. En 2015, la croissance économique de cette partie du monde était de 3.4%. Mais, la bonne nouvelle vient de la zone UEMOA qui affiche une croissance de 7% en 2015 et 2016. Le Burkina est classé 6e de l’UEMOA en terme de taux de croissance.

Free Afrik est un organisme indépendant de recherche. Il est porté par un collège de jeunes intellectuels africains engagés à mettre la science, en particulier l’économie au service de la liberté en Afrique.

Moussa Diallo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net