Une loi fondamentale qui tient compte de qui nous sommes, qui constate où nous en sommes et qui balise le chemin vers notre vocation. Ainsi, à la question de savoir s’il faut intégrer la chefferie traditionnelle dans la Constitution du Burkina Faso, la réponse pour notre part est oui bien sûr ! Ce qui ne signifie pas que l’on applaudit le comportement ni les prises de position publiques de plusieurs chefs traditionnels ces dernières années.
1. La part d’histoire à considérer dans la genèse du pays
Qui sommes-nous au Burkina Faso ? Historiquement une mosaïque de nations autonomes et/ou indépendantes, chacune hétérogène, partageant des codes et des valeurs convergents et ayant établi des mécanismes de coexistence et d’interaction à travers divers pactes séculaires. Chacune des nations estimant à divers degrés avoir de la parenté proche ou éloignée avec plusieurs autres. Intervint alors la colonisation. Que nous dit l’histoire sur la naissance du Burkina et du rôle des autorités d’antan devenue la chefferie traditionnelle ?
En effet, le colonisateur qui a dessiné les frontières actuelles avait justifié la création du territoire par le fait qu’il est habité par un peuple vaillant, courageux qui mérite respect et surtout ne mérite pas un double assujettissement. Autrement dit, une population composite, mais structurellement convergente qui a toujours vécu libre ne mérite pas d’être à la fois sous domination de la puissance européenne qu’est la France et être également placée sous tutelle d’autres peuples qui jusque-là lui devaient que respect. Le choix de l’argumentaire n’est pas banal pour ne pas dire qu’il est original. On a créé le territoire, car, les hommes et les femmes qui vivent sont assez solides, travailleurs et organisés depuis des siècles pour se développer malgré l’adversité de cette nature si rude.
Cela prit du temps, car c’est seulement en 1919 que la colonie allait être créée alors que les colonies voisines dont elle dépendait existaient depuis des années.
La bravoure que ces paysans-soldats, fils et descendants de guerriers avaient fait montre dans les tranchées de la 1re Guerre mondiale allait être un élément supplémentaire pour ceux qui voulaient qu’il y ait un territoire autonome. En fait, un peu de justice dans cette dure nuit de la dépendance.
En 1932, c’est encore à cause de sa population, nombreuse, travailleuse et disciplinée que le territoire (toujours aride) mais surtout par le prétexte de difficultés budgétaires que le territoire va être victime d’un « partage humain ». Il est démantelé et rattaché aux colonies du Soudan français (Mali actuel), au Niger et à la Côte d’Ivoire. Ces colonies considérées alors comme étant économiquement opportunes et qui ont donc besoin des braves voltaïques pour se développer. Pour transformer la forêt tropicale de la Côte d’Ivoire en colonie rentable avec des plantations profitables de café et de cacao, pour développer les vallées du fleuve Niger, pour bâtir le chemin de fer Abidjan-Niger, le chemin de fer Dakar-Bamako, Dakar-Thiès, il faut des voltaïques ! Ils seront là, travailleront et périront par milliers tant les conditions de travail incroyables et la maltraitance étaient assimilables à l’esclavage.
Les tentatives de résistance comme celle de Soura Gnoumou, dit Rougbiênga, sont systématiquement et violemment matées. Norbert Zongo dans son roman historique Rougbiênga, donne un aperçu très réaliste du chantier Bamako. Dans le langage du quotidien, « Bamako » était devenu synonyme de « travaux forcés ». N’importe qui ne construit pas un chemin de fer. Les Américains et les Canadiens avaient, eux, fait recours aux travailleurs chinois… Devant l’ampleur de l’exploitation et la cruauté des sévices, le Mogho Naaba prit son courage pour soutenir des pétitions, pour multiplier les correspondances, les consultations et les concertations pour atténuer l’ampleur du désastre national.
Le leadership du Mogho Naaba Kom II allait permettre de concevoir la perspective d’un pays qui irait au-delà des anciens pays précoloniaux. C’est le programme de gouvernement qu’il légua à son fils et successeur Naaba Saagha II. Des concertations, des réunions, des « conseils de famille » sont organisées avec l’ensemble des grands composants nationaux. Il s’agit de réunir la famille du Nord au Sud, d’Est à l’Ouest en passant le Centre. Famille c’est le terme qu’il faut retenir. Nous sommes une famille et nous voulons un pays pour être ensemble. C’est ainsi que le dossier fut défendu avec brio dans un contexte de servitude et de dépendance dans lequel planent une constante surveillance et une menace à peine voilée.
Ainsi le mérite du Mogho Naaba est d’avoir su utiliser son statut de grand chef en Afrique de l’Ouest, pour raviser les liens ancestraux et justifier le fondement d’avoir un pays. C’est ainsi qu’il écrit au Yatenga Naba : « N’acceptons pas un démembrement inutile qui ne fera que nous nuire et diminuer ce que nous avions d’admirable. Vous voilà au Soudan, sans nouvelles de vos frères de Ouagadougou, Koudougou, Kaya, Tenkodogo et Fada. Cette division est actuellement néfaste pour nous et sera donc encore très préjudiciable pour nos enfants si nous n’y portons pas remède. Essayons de nous regrouper pour reformer notre bloc tout en suivant et en acceptant l’évolution… » Par la suite les deux souverains écriront ensemble au Ministre de la France d’Outre-mer : « A l’issue d’un Conseil de famille tenu à Ouahigouya (Soudan français), agissant en notre nom, au nom de nos collègues les chefs de Fada (Niger), de Tenkodogo et de Boussouma (Kaya) (Côte d’Ivoire) et au nom de 2.400.000 habitants que nous administrons, exprimons au gouvernement français le mécontentement général de notre pays. […] Ce pays a toujours consenti des sacrifices au profit de ses voisins. S’agit-il de construire la digue du Niger ? Le pays mossi est là, prodiguant sans compter les bras de ses enfants mourant comme des mouches. S’agit-il de la construction du chemin de fer Thiès-Kayes ? Notre pays est encore là offrant les bras de ses fils qui succombent à la besogne pour le bien-être d’autres terres et d’autres races. S’agit-il de la construction du chemin de fer Abidjan-Bobo ? ou celle du port d’Abidjan, les enfants de notre pays sont toujours là sur un sol qui leur est inhospitalier. S’agit-il de la défense du sol français tant en 1914-1918 qu’en 1939-1945, en tout et partout notre pays a toujours manifesté son loyalisme et sa fidélité à la France. Qu’a-t-il reçu en retour pour sa fidélité, son loyalisme et pour tous le sacrifice consenti ? Pour toutes réponses : division de la famille, partage cruel du sol, de ses enfants, cette famille que la France a trouvé unie par le sang, unie par le sentiment a subi cette division cruelle … »
Il est opportun de souligner ici que ce n’est pas parce que l’histoire a retenu le nom de quelques personnalités que celles qui ne sont pas nommées ont eu un rôle négligeable. Il est important que les historiens mettent en lumière toutes ces personnes rarement nommées, les ancêtres du Burkina, sans lesquelles la famille Burkina n’aurait pas été. C’est un travail nécessaire et surtout à vulgariser une fois réalisé. Car il va sans dire que lorsque l’on parle d’un leadership l’on sous-entend un ensemble d’acteurs. On ne peut être un leader solitaire. Nous devons connaître les autres acteurs et les saluer pour leur clairvoyance qui est fondatrice.
Un prince du Liptako m’a informé que son grand-père alors Émir, a reçu la proposition de rester dans le bloc du Niger. Ce qu’il déclina en dépit des liens qui existaient et existent toujours avec une partie du Niger, il opta d’aller avec l’autre pan de sa famille composé de Lobi, de Bobo, de Gourunsi, de Bissa, de Mossi, de Gouin, de Samo, de Bwaba, etc. Un télégramme adressé au Gouvernement français, co-signé par le député Hamani Dioré, futur président du Niger, plaide en effet pour le maintien de Dori dans le Niger. Chaque grand ensemble a dû faire ce choix qui, a y voir de prêt, est assez naturel et même vu de l’extérieur. Mon père, Issaka Sinon, qui vécut une dizaine d’années au Mali, m’a raconté que si les chefs Toucouleurs El Hadj Omar puis son fils Amadou et ensuite l’Almamy Samory Touré n’ont réellement concrétisé leur volonté de conquérir l’ensemble que constitue le Burkina actuel, c’est parce que leurs experts en sciences occultes les en ont dissuadés. Leur prédisant tour à tour une défaite certaine, car les peuples qui y vivent, quoique n’étant pas musulmans, ont un socle culturel et des valeurs qui font que Dieu les protège. Tenter de les islamiser de force se solderait par un échec. Les hommes de culture Albert-Salfo Balima et Titinga Frédéric Pacéré ont chacun écrit cette histoire dans leurs publications.
Nous sommes une famille. Lorsque le colonisateur décide finalement de répondre favorablement au plaidoyer, il le souligne : « Mon cher Moro Naba, J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 21 juillet 1946, par laquelle vous avez bien voulu émettre le vœu de voir reconstituer la Haute-Volta et obtenir une représentation parlementaire distincte pour les régions formant le territoire. […] Je vais étudier les réformes que vous suggérez avec le plus vif désir de vous être agréable. » Le Ministre de la France d’Outre-Mer, Marius MOUTET.
Dans une vraie famille, tout le monde n’apprécie pas toujours la même chose au même moment. Dans une famille, il y a des disputes. Dans une famille, on assume son passé, on préserve et on fortifie l’essentiel : la famille !
2. Les enseignements de l’État moderne
La lutte pour doter la Famille d’un territoire autonome abouti ! Cette conscience familiale a tout de suite été intégrée dans la lutte pour l’Indépendance et même à travers les différents régimes qui ont dirigé le pays depuis. C’est une mosaïque qui fait du pays un cas rare sinon unique sur le Continent. N’eût été la mort prématurée de Ouezzin Coulibaly, il aurait vraisemblablement été le premier Président du pays indépendant sans être issu d’un groupe majoritaire. Quelques années plus tôt, lorsque Philippe Zinda KABORÉ Conseiller général, meurt prématuré également, pour son remplacement, le Mogho Naaba écrit à tous les chefs de cantons en des termes très clairs : « […] vous ne devez et ne pouvez choisir qu’un candidat capable de défendre la cause du pays tout entier. Pour cela, vous devez, sans distinction de race [ethnie] ni de religion, prendre le seul candidat présentant de réelles garanties : je veux parler de M. NAZI Boni, instituteur du cadre commun supérieur à Dédougou. […] je vous invite tous, le 17 courant, à voter pour M. NAZI Boni qui, seul, sans parti pris, défendra notre cause. »
On le voit, les consignes de votes ne sont pas chose nouvelle. L’ethnicisme n’est pas le principal défi dans cette famille. Le jeu politique ainsi que la soif du pouvoir, sa conquête et sa conservation notamment ont amené les acteurs politiques à avoir des rapports multiformes avec les anciennes institutions. Sur ce point j’invite le lecteur à consulter l’excellent article que le sociologue Zakaria SORÉ a publié en mars 2014 sur Lefaso.net. La pertinence de son écrit fait qu’il nous semble opportun de citer ici, avec son accord, un large extrait : » Dès l’accession à l’indépendance, Maurice Yaméogo qui n’a pas digéré la tentative de coup d’État du Moogh Naaba Kugri, a pris des décrets supprimant ses privilèges et interdisant le remplacement des chefs défunts (Claudette Savonnet-Guyot, 1985). La période la plus difficile de l’institution cheffale au Burkina Faso a été la période révolutionnaire (1983-1987). Pendant cette période, Thomas Sankara et le CNR qui voulaient bâtir une « société nouvelle », débarrassée de ses « archaïsmes » et de ses « féodaux », tenus responsables de l’état « d’arriération économique et culturelle » du pays se sont lancés dans un combat sans merci contre la chefferie (Basile Guissou, « La chefferie traditionnelle est politique » in L’Observateur Paalga n°6868 du 18 avril 2007). La fin de la Révolution change la nature des rapports entre la chefferie et le pouvoir politique moderne.
Dans leur recherche de base sociale et surtout d’alliés pour les élections à venir après le renversement du Capitaine Thomas Sankara, Blaise Compaoré et le Front Populaire tendent la main à la chefferie. Elle est désormais considérée et Albert Ouédraogo (« Les chefferies traditionnelles du Burkina Faso » in Les Grandes conférences du ministère de la Culture et de la communication, 1999) dit même que certains de ses membres font office de conseillers officieux du Président du Faso. La chefferie a résisté à l’adversité et le secret semble être la solidité de ses fondements philosophiques et institutionnels, son acceptation au-delà des clivages politiques et surtout son ancrage dans l’âme africaine. La chefferie est donc une institution solidement ancrée dans le subconscient des Africains. Ce qui explique qu’elle fait l’objet de convoitise quand l’avenir de ceux qui gèrent le pouvoir moderne devient de plus en plus incertain. » Lire l’article : http://lefaso.net/spip.php?page=impression&id_article=58180
Les événements qui ont suivi depuis montrent qu’il y a dans les reliques de ces institutions une force politique majeure. On raconte que le jour de l’insurrection populaire, Blaise aurait fait téléphoner le Mogho Naaba pour lui demander de faire calmer les manifestants, l’émissaire aurait été éconduit. Le Général Lougué dans la même foulée aurait visité le palais du Mogho Naaba plus d’une fois, soit à la recherche d’un adoubement ou d’un refuge- ? Refuge que le Premier Ministre Zida n’hésitera pas à user à chaque fois que de besoin. Est-ce pour rien que les derniers éléments du RSP lors de son agonie sont allés chez le Mogho Naaba pour signer l’accord de sortie de crise ? Si certains de ces faits sont difficiles à prouver, d’autres sont de notoriété publique et ne peuvent être ignorés sous peine d’élaborer une loi fondamentale sans sève ni fondement. Une fine observation des événements qui ont concouru à l’insurrection, qui ont compté dans la Transition, le coup d’État manqué et les élections montre bien que « le cas du Burkina est particulier » et l’on peut bien s’en féliciter. Oui, on ne reviendra pas sur le régime républicain proclamé le 11 décembre 1958. La Monarchie c’est finie nous n’y retournerons pas. Oui, aucun gouvernement depuis l’Indépendance n’a eu une politique satisfaisante sur la question de la chefferie traditionnelle. Raison de plus pour essayer autre chose.
Pourquoi ne pas demander aux principaux acteurs de contribuer à une redéfinition d’un nouveau mandat, d’un nouveau contrat social ? Pourquoi ne pas faire de cette institution une entité républicaine avec un mandat apolitique et surtout non partisan, gardienne seulement des valeurs de la famille burkinabè ? Pourquoi en effet ne pas les rendre gardiens de plusieurs des valeurs qui nous fondent et qui nous rendent distincts, comme l’histoire du pays l’a amplement démontré ? Dire de ne pas traiter de la question de façon transparente sous prétexte que cela ne concerne qu’une partie de la population nationale peut justement apparaître comme une forme d’ethnicisme. Ceci consistant à dire puisque cela ne concerne pas mon ethnie alors on n’en parle pas. Non, tout ce qui touche des Burkinabè doit concerner tout Burkinabè, tout membre de la famille.
3. Pour l’avenir
Il ne faut jamais oublier la vocation d’un pays qui a choisi de miser sur ses habitants. Le nom Burkina Faso est un projet de société, un projet national. En faisant le pari de vouloir bâtir une nation de dignité et d’intégrité, les leaders du pays avaient alors réussi à exprimer une inspiration profonde d’une partie largement majoritaire de la population. Pour tout pays la principale ressource ce sont ses citoyens. Le cas du Burkina est davantage singulier.
Pour l’avenir, ayons le courage et osons l’inventer. Cela passe par assumer notre passé, voire nos passés, prendre la mesure de notre présent et nous projeter ensuite. Nous voulons bâtir une nation burkinabè forte et prospère. Une nation burkinabè n’est pas synonyme d’homogénéité dans sa composition. Cela serait au contraire un appauvrissement. Ce qui fait de nous un peuple résilient – « un peuple de yelkayé » comme le dirait maladroitement et fort malheureusement l’honorable Laurent Bado – est notre culture mixte ! Basée sur une foi profonde en l’avenir, quelles que soient les affres du présent. Ce qui nous fait surmonter les épreuves avec des dégâts relativement contenus c’est ce socle de cultures qui transcende les micros nations et les ethnies qui nous composent. D’ailleurs aucune de ces micros nations n’est en soit homogène.
Tout le monde sait que derrière le nom Gurunsi, il y a au moins des Kasséna, des Tiébélé, des Lyélé, des Nuni, des Nounouma, des Sissala, des Ko, …, des ex-Nakomsé (mossi), etc. Dans Mossi, il faut compter entre autres des Nakomsé, des Tansobdamba, des Silmi-Mossé, des Sukouaba, des Saaba, des Sigmba, Gnoksé, des Poysé des Bilbalsé, des Yonyonsé… les deux derniers nommés ont d’ailleurs leurs langues des origines que parlent encore de nos jours, les initiés ; sans oublier les Yarsés à qui il ne reste plus que deux ou trois mots de leurs langues originelles. Le reste étant intégré dans le moré ou simplement disparu dans le temps. Dans Gourmantché il y a des composantes… Ces exemples pour illustrer le fait que le mixage et le métissage sont dans l’ADN même du Burkina.
Les pratiques traditionnelles telles la parenté à plaisanterie tiennent beaucoup à cœur les Burkinabè. Comment les conserver pour les prochaines générations d’autant qu’elles sont conditionnées par une diversité ethnique ? Comment les faire exister sans une référence ethnique ? S’il n’y a pas de Peuls et de Bobo, de Samos et de Mossi, Saaba et de Yarsés, … qui se reconnaissent réciproquement comme tels, il n’y a plus de parenté à plaisanterie. Comment promouvoir alors nos valeurs éthiques et tout notre patrimoine immatériel ? Il s’agit là des questions qui de notre avis, dépassent le cercle des politiques et des libres penseurs.
Des professionnels tels les sociologues, les ethnologues, les anthropologues, etc. devraient nous éclairer et nous esquisser des pistes afin que nous procédions de façon éclairée. En somme, retenons que le degré d’homogénéité d’un peuple est proportionnel à celui de son insignifiance. Retenons aussi, qu’une nation qui veut compter parmi les autres ne peut pas se limiter à la satisfaction de ses besoins matériels de base. Si on perd la culture, on aura tout perdu. Si l’on n’y investit pas non plus, on la perdra. L’on raconte que pour soutenir l’effort de guerre, l’on proposa à Winston Churchill de couper dans le budget des arts et de la culture. Réponse du grand homme : « Alors pourquoi nous battons-nous ? »
4. Une charte constitutionnelle
Répétons-nous : faut-il constitutionnaliser la chefferie traditionnelle ? La réponse est oui bien sûr ! Comment se fait-il que cela n’ait pas été fait plus tôt ? Ceux qui n’y voient qu’un anachronisme et une entrave à la démocratie devront pousser leurs réflexions plus loin. Tant que les entités concernées auront de l’influence sur une aussi grande part de la population, n’importe qui qui veut se faire élire s’en servira. Que cela nous enchante ou non. Raison de plus pour définir leur mission et formaliser les balises qui vont avec la modernité et notre volonté de consolider la famille. Commentant la démission du Larhlé Naaba Tigré du CDP, Zakaria SORÉ dans son texte, déjà cité, constate : « Plusieurs analystes ont considéré ce départ comme le début de l’émancipation de la chefferie vis-à-vis du CDP, sinon la fin de la mainmise du parti au pouvoir sur cette institution.
Pour les partisans de cette thèse, si le CDP perd le soutien de la chefferie surtout sur fond d’insultes, il perdra aussi le pouvoir, car non seulement l’expérience politique du Burkina Faso montre que tous ceux qui ont fait de la chefferie leur ennemi n’ont fait qu’un bref séjour au palais présidentiel, mais aussi parce que wende pa ninguidi nam gnand ye [Dieu ne honnit pas l’Autorité.] » Il faut avoir le courage de gérer la question ouvertement en toute transparence. C’est une réalité et l’on ne peut l’élider aussi simplement en faisant une simple mention dans la constitution comme c’est déjà le cas. Cela donne lieu à des interprétations et suscite des ambiguïtés.
Quels rôles la chefferie peut-elle jouer ? Les propositions sont nombreuses et tournent autour de la Culture et un certain rôle facilitateur sur un plan administratif (promotion de de l’état civil par exemple, éducation populaire, sensibilisation sur des thématiques sociales, alphabétisation, instruction civique, conciliation, etc. tribunaux de conciliation, et surtout aussi paradoxal que cela puisse paraître, à l’enseignement des valeurs de notre république : notre laïcité burkinabè qui considère que le manque de respect entre les personnes et les groupes est à l’origine de tout désordre social…) En faisant comment et à quelle condition ? Là encore il faut avoir la volonté d’impliquer les premiers concernés et d’écouter le peuple et aussi ses élites. Les conditions entre autres seraient que l’on puisse regarder sereinement dans le mode de succession et de gestion. Par exemple, la gestion de la violence et de la répression est du seul ressort de l’État burkinabè. Il n’est donc pas question que des chefs puissent éventuellement se donner une milice répressive qui administrerait des sanctions à des concitoyens.
Le renoncement à la partisannerie politique et le renoncement à l’engagement partisan actif sont à exiger. Les chefs qui voudront se prévaloir de ce droit doivent abdiquer et respecter au moins 5 ans de carence avant de pouvoir être candidat à une fonction élective. Oui, l’État moderne dans notre cas a le droit, voire le devoir, de s’intéresser à l’organisation de la chefferie traditionnelle qu’il importera d’ailleurs de distinguer en deux groupes. Les chefs coutumiers et les chefs traditionnels. Les premiers étant des intermèdes religieux, responsable des coutumes, voir des prêtres traditionnels et les seconds des autorités régnantes d’autrefois. Il s’agit de classifier pour apporter des réponses appropriées, car il y a du potentiel pour du bon et pour du mauvais. En occupant des fonctions publiques, il va sans dire que la puissance publique devra les rémunérer en fonction des degrés de responsabilités. Le but du propos ici n’est pas de prétendre donner réponse à tous les défis d’opérationnalisation. Il s’agit d’une humble invitation à une réflexion collective.
Que l’on soit issu d’un groupe avec une chefferie structurée ou que l’on soit issue d’un groupe à organisation alternative, nous sommes tous héritiers et toutes héritières de tout. C’est en ce sens que nous devons agir, c’est ce qu’il faut raconter à nos enfants. D’ailleurs, Laurent Bado avec son malheureux « peuple de yelkayé », suggère l’existence d’une unité nationale burkinabè bâtie autour d’attitudes et de tempéraments semblables que lui déplore à travers son expression.
Si l’on veut aller plus loin, le projet constitutionnel en cours d’élaboration devrait prévoir une charte de nos valeurs qui sera votée plus tard comme une loi constitutionnelle. Une sorte d’appendice de la Constitution qui pourra être périodiquement mise à jour sans enclencher un grand débat constitutionnel. Il s’agit d’une solution pour le moyen terme. Les 50 prochaines années. La donne va sérieusement changer et la question se posera autrement. D’où l’importance que tout ceci soit dans une charte du Burkindi comme je l’ai déjà suggéré. Cette charte qui se veut dynamique par nature, car les valeurs évoluent et intègrent de nouvelles considérations qu’apportent le progrès et les changements sociétaux. La charte traitera également de la question des organisations de la société civile et des partis politiques.
Car comme l’explique si bien le sociologue, le recours à la chefferie traditionnelle procède de la volonté des politiques de se constituer une base sociale qu’ils n’arrivent pas avoir autrement. Il y a fort à parier qu’en maintenant le statu quo, l’on trouvera rarement des politiques déterminer à avoir le pouvoir d’État, et qui renonceront à utiliser ces leaders sociaux, ces mobilisateurs de masses, ces faiseurs de députés et de président. En principe, cette mobilisation se fait normalement à travers les partis politiques, les mouvements syndicaux et autres organismes dits de la société civile. Au Burkina Faso, nous n’en sommes pas encore là et il faudra pourtant y aller pour assainir le système politique national.
Pour terminer, disons qu’il serait dangereux de limiter l’analyse de la chefferie traditionnelle à l’appréciation que l’on en fait du traitement que le régime de Blaise Compaoré lui a réservé. Blaise a fait ce qu’il pouvait. Nous sommes nombreux à croire qu’il a mal fait sur bien des points. Le monde ne s’arrête pas pour autant. Le dossier de la chefferie traditionnelle lui, reste têtu. Tous les présidents du pays ont chacun tenté d’y donner une réponse. Personne n’a réellement réussi à la combattre ou à la réorganiser. Parlons-en alors avec sérénité et bienveillance. Il nous faut faire la différence entre les institutions et les acteurs qui les animent à un moment donner. Sinon, l’on risque de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Ce serait un effort pour consolider notre capital social et culturel qui n’a pas varié depuis les débuts : les Burkinabè. C’est sur eux et pour eux et surtout avec eux qu’il faut bâtir une nation dotée d’une âme qui sonne juste par rapport à son identité profonde. La chefferie traditionnelle est une immense ressource pour notre culture. Cette culture nous est indispensable comme à d’autres. Le Professeur Joseph Ki-Zerbo, nous a prévenus : « C’est par son « être » que l’Afrique pourra vraiment accéder à l’avoir. À un avoir authentique ; pas un avoir de l’aumône, de la mendicité. Il s’agit du problème de l’identité et du rôle à jouer dans le monde. Sans identité, nous sommes un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres : un ustensile. » La vie des nations ne peut être limitée à la satisfaction des besoins matériels.
Burkinabè, un peuple résilient !
Moussa Sinon
(sinon_m@hotmail.com)
Source: LeFaso.net
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