Les deuxièmes journées parlementaires du groupe ‘’Burkindlim », tenues les 16 et 17 septembre 2016 à Yako dans le Passoré sur le thème « Le passage à la cinquième République répondra-t-il aux aspirations du peuple burkinabè ? » n’ont pas été une simple formalité statutaire. Pour ce rendez-vous qui vise aussi à « s’imprégner des réalités que vivent au quotidien les populations … », le groupe Burkindlim (intégrité) a bien justifié son choix de se rapprocher de ses mandants (les populations). C’est ce qu’on peut dire, au regard des réactions suscitées par le thème.
Pour scruter le sujet, les députés ont fait appel au directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), Dr Thomas Ouédraogo. Pour mieux mettre en exergue le sujet, le communicateur va le scinder en cinq points principaux, en plantant le décor par la notion même de Constitution (le passage à la Vème République qui suppose un changement de Constitution). Il a ensuite creusé le rôle de la Constitution avant de passer à un diagnostic de la IVème République (forces et faiblesses de la Constitution de juin 91).
Le directeur exécutif du CGD a également jeté un regard sur la production législative du Conseil national de la transition (CNT) en énumérant entre autres, le verrouillage du nombre de mandats présidentiels, la suppression du Sénat, l’Indépendance du Conseil supérieur de la Magistrature, la suppression de l’amnistie accordée aux anciens Chefs d’Etat. Dr Thomas Ouédraogo a, enfin, jeté son dévolu sur les perspectives à travers des questionnements : faut-il passer par une Commission constitutionnelle comme voulue par le Président du Faso ? Faut-il adopter la nouvelle Constitution par voie référendaire ou parlementaire ? Aussi a-t-il interrogé le chronogramme consacré au passage à la Vème République, la prise d’effet de la Constitution ? Va-t-elle rétroagir ?
A l’issue d’un exposé unanimement salué par l’assistance, les réactions n’ont pas été mitigées. Mieux, les participants n’ont pas masqué leur sentiment sur cette importante question nationale. Des députés aux délégués des partis politiques membres du groupe Burkindlim, invités à ces journées. Parmi les interventions, on peut retenir celle du député Laurent Kilachu Bado qui s’est voulue ferme et concise sur le sujet : « Le peuple a soif de justice. Le peuple burkinabè sera d’accord qu’on aille à une Vème République mais fondée sur une vraie justice. (…). Oui ou non que la justice est lente ? Oui ou non qu’il y a deux justices (selon que tu sois grand ou que tu sois pauvre) ? C’est une réalité qu’il n’y a pas de justice… ».
Pour l’honorable Bado, la question de la justice est primordiale pour « prendre en compte les aspirations du peuple ». D’ailleurs, il donne 18 mois aux députés ‘’pour traverser la frontière, si la question de la justice n’est pas résolue ». En plus de ce point précis, le député Bado prône de« vraies élections transparentes » et un nouveau système politique. « On ne peut pas laisser n’importe quel pauvre type créer un parti politique pour divaguer, embêter le monde », mâte le fondateur du PAREN.
C’est aussi le sentiment de nombreux participants aux travaux. Pour ce délégué de parti politique, le passage à une Vème République ne constitue pas une priorité pour les populations. « Le problème n’est pas celui de textes de lois. Il y a eu des lois qui ont été prises par la IVè République mais qui n’ont jamais été respectées ! Il y a des lois qui ont été votées par le CNT (Conseil national de la Transition) mais qui ne sont pas appliquées ! Il faut d’abord appliquer ces lois, et si dans l’application, il y a des insuffisances, on peut chercher à rectifier le tir. Il ne faut pas aimer imiter chaque fois les autres pays ; une fois qu’un régime vient, il se précipite pour changer les lois comme il veut et en sa faveur. Ça ne nous avance pas. On a des textes ; ce qui manque, ce sont les hommes pour les appliquer. Même si eux (gouvernants, ndlr), ils estiment que c’est une priorité (le passage à une Vème République, ndlr), on peut s’en passer pour le moment. Parce que même entre eux, leaders politiques, tout le monde n’est pas d’accord ; certains pensent que ce n’est pas le moment. Et puis, en le faisant, il faut prendre le temps d’expliquer au peuple ; qu’est-ce que le peule y gagne, qu’est-ce que ça va changer. Et il faut l’expliquer dans toutes les langues. Moi-même qui vous parle, je ne vois pas ce qu’on veut changer. Pour mettre quelque chose en pratique, il faut convaincre les intéressés (populations) que c’est pour l’intérêt de tout le monde. Si on me dit de voter la nouvelle Constitution, je vote et après je me rends compte que j’ai été trahi, qu’on a glissé des dispositions pour des intérêts personnels, je serai frustré. Il ne faut pas vouloir aller à une Vè République sans expliquer les détails aux populations. Non ! Je vous prends un exemple : le CNT a voté des lois pour dire que pendant la campagne (électorale), on ne veut plus voir de gadgets. Mais quand vous regardez bien, l’actuel parti au pouvoir a utilisé tous les moyens. Il a fait sortir des tee-shirts pour dire que c’est un uniforme choisi par les militants pour soutenir leur candidat. Mais tout le monde savait que c’était interdit. Pourtant c’était une loi votée par le CNT ! Donc, moi, c’est ce que je pense, à eux de prendre en compte ou non ce que nous pensons », s’est lâché ce délégué.
Ce dernier estime qu’il faut que les autorités mettent l’accent d’abord sur ce qui urge à savoir (et selon lui) la justice et la liberté de presse. ‘’Aujourd’hui, on voit qu’à part ceux de la presse privée, les journalistes des organes publics ne sont pas libres dans leur travail. On a même suivi l’intervention du ministre de la communication à ce sujet ….et c’est déplorable. La liberté est importante. Même dans ta propre famille, il faut forcément quelqu’un parmi tes enfants-là, qui puisse te dire la vérité. Même si ça ne va pas te plaire, ça te guide et c’est très important. C’est ainsi qu’on aide la famille. C’est pourquoi j’ai attiré l’attention du groupe Burkindlim ; il ne faut pas qu’il suive tout ce qui se dit, il faut qu’il prenne les dispositions pour ne pas tomber dans le même piège que le régime précédent ‘’, a-t-il recommandé.
Ainsi, certains participants se sont interrogés sur l’opportunité même d’un passage à une Vème République. Qu’à cela ne tienne, si cela doit se faire, ils proposent la tenue d’assises au niveau local (provincial et communal) pour favoriser une appropriation de la nouvelle loi fondamentale par tout le monde. Ils ont également souhaité la constitutionnalisation de l’éducation civique, le serment du Président du Faso sur les valeurs traditionnelles (jurer sur la terre par exemple) et ont appelé à une constitutionnalisation de l’insurrection populaire.
Pour le président du groupe parlementaire, Issa Barry, au terme des travaux, il est indéniable que les aspirations du peuple sont encore très nombreuses et les attentes principales demeurent la quête permanente d’une meilleure justice et les défis d’une bonne gouvernance, d’un système électoral, politique et institutionnel qui répondent efficacement aux aspirations. « Nous sommes d’avis que la beauté et la qualité des textes à eux seuls ne permettront pas d’amorcer un véritable développement sans une vision claire et une détermination des personnes habilitées à les faire appliquer », a-t-il admis avant d’exhorter à un éveil de la conscience populaire. Les gouvernants doivent, quant à eux, donner le bon exemple par une gestion rationnelle des deniers publics en sacralisant la promotion de la bonne gouvernance économique et politique, tout comme doivent-ils assurer le peuple d’une juste répartition des fruits de la croissance. « Une lutte acharnée doit être entreprise sans état d’âme contre les maux qui gangrènent notre économie à savoir la corruption ambiante, le favoritisme et le népotisme, les monopoles commerciaux, l’évasion fiscale et j’en passe », a-t-il encouragé.
Avant de se séparer, les députés ont recommandé au gouvernement, « une communication sur les éventuelles raisons de la non mise en œuvre de la Commission constitutionnelle », « l’opérationnalisation dans les plus brefs délais des organes de la Commission constitutionnelle » et « la vulgarisation et la validation des résultats des travaux de la Commission par l’organisation d’Assises nationales, régionales et provinciales ».
Le groupe parlementaire Burkindlim a, en outre, lancé un appel au peuple à « soutenir et contribuer au renforcement des acquis démocratiques si chèrement obtenus ».
Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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