Dans la vague de précipitation qui sa suivi la fuite de Blaise Compaoré, l’histoire s’est accélérée au pays des hommes intègres. Ainsi, on a vu surgir de nulle part des spécialistes de tout bord, chacun venant proposer sa solution à chaud. Et comme en la matière le peuple « qui ne sait rien a tout de suite confiance » à ces universitaires, académiciens dont le grand mérite se résume le plus souvent à leurs prouesses devant la presse nationale et internationale, s’est laissé emporter. Après tout, le vent de liberté après 27 années de Compaoré peut souvent jouer des tours et certains en ont bien profité pour placer leurs pions.

En mal de promotion au CAMES qui reste la seule structure de référence, ces académiciens se sont engouffrés dans la politique politicienne. Au moment où l’on cherche à construire un Burkina nouveau, chacun est venu avec son remède et le pauvre peuple est tombé dans le panneau.

Le premier remède qui nous a été proposé a été la réforme du code électoral

Avec le recul, on peut se rendre à l’évidence que ceux qui ont suggéré, proposé et appuyé l’idée d’interdire leurs anciens camarades… avaient leur agenda caché. Ils ne l’ont pas fait pour le bien ou l’intérêt du peuple. La preuve est que cette réforme leur a ouvert un boulevard vers le pouvoir et la méthode continue. Après tout, ils ont tous été à cette école et ils ne savent faire que cela.

Quant aux dignitaires écartés par la voie légale et non la voie légitime, eux-aussi devaient avoir la décence de proposer un stand-by pour ne pas offrir l’opportunité de se faire écarter. Bon, ils sont restés aveuglés par le pouvoir et même quand ils l’ont perdu, ils ne savent pas retrouver certaines habitudes de l’opposition. C’est une question de culture politique.

Cette réforme du code électorale par la bande à Zida nous a coûté combien ? Plus de 500 millions de nos francs et ce sont ces mêmes prétendus intellectuels qui se sont partagé cet argent en frais d’expertise, d’avocat, de voyage… A l’arrivée, la cour de la CDEAO a condamné le Burkina Faso et on est tout de même passé outre. Avec quelle conséquence pour l’image du pays ?

Le deuxième remède est ce projet d’une nouvelle constitution

Je rappelle que nous sortons de 27 années de régime Compaoré dont plus de 20 ans avec une constitution octroyée, comme l’écrivait un certain Soma avec tout le mal qu’il pense de la démarche et procédure d’élaboration et d’adoption. Aujourd’hui, le même est dans une équipe qui, comme celle de 1991 avec un certain Bognessan, va nous proposer une constitution octroyée. Encore ! En d’autres termes, quand c’est octroyé par les autres ce n’est pas bon… si l’on suit bien le raisonnement.

Je rappelle encore que quelque que soit ce que l’on va proposer, la constante va rester c’est-à-dire la nature de l’Etat, la vision républicaine, les organisations politiques, les modes d’accès au pouvoir, les accords de coopération, les droit et devoir de citoyen… Bon c’est quoi on veut changer et qui nécessité l’écriture d’une nouvelle constitution ?

Je rappelle encore que si chaque fois que l’on a des problèmes, on change de constitution, il faut tenir compte du coût et des conséquences. Un pays a des bases et l’on ne peut pas y toucher comme ça. Un coup d’œil sur l’histoire nous permet de voir que l’on n’a pas forcément besoin de changer de constitution pour rentrer dans la modernité. Consultons Wikipédia :

« La Constitution des États-Unis a été acceptée le 17 septembre 1787 par une convention réunie à Philadelphie, et après ratification, s’applique depuis 1789. Elle a été modifiée par l’ajout de vingt-sept amendements. C’est la deuxième plus ancienne constitution écrite encore appliquée dans le monde après celle de Saint-Marin. » et

« Saint-Marin est un État indépendant. C’est une des plus anciennes républiques du monde après l’Islande, et c’est en tout cas la plus ancienne république du monde ayant continuellement existé depuis sa création. Sa Constitution, qui date de 1600, est la plus ancienne constitution encore en vigueur de nos jours. »

A vrai dire, trois raisons essentielles militent en faveur de l’arrêt de cette commission

Premièrement, je pense que nous venons de loin, certes, mais nous avons une constitution qui peut être amenée et adapté au contexte actuel et traduire notre vision du future. C’est sur ce dernier point d’ailleurs que je veux que cette commission, qui est essentiellement constituée de juristes, devra être dissoute, comme le dirait un autre Bamba.

Il manque à cette commission des personnes capables de traduire la vision. S’y sont engouffrés des juristes qui ne savent et que règlementer. Or, avant d’en arriver là, il faut des compétences pour traduire, comme dans le cas des pères fondateurs des USA, notre vision du pays sur le très très très long terme. Les constitutions à la gloire du prince régnant, on n’en veut pas. Or comme vous le voyez déjà, la lutte est serrée entre les partisans de de la forme républicaine qui veulent déshabiller le chef et ceux de la forme présidentielle qui veulent garder leurs acquis et prestiges. Et nos enfants dans tout ça ? Et les enfants des enfants des enfants de nos enfants ? Vous avez pensé au Faso dans 200 voire 1000 ans ?

La deuxième est que rien ne presse. Si l’on doit réformer notre Etat, nous en avons le temps et les moyens. On fait comme la Tunisie en commettant une chambre constituante qui va travailler sur 5 voire 10 ans pour produire quelque chose qui va tenir dans la durée. Une constitution, c’est bâtir un pays dans sa tête avant de le réaliser physiquement et c’est la raison pour laquelle ceux qui n’ont pas les constitutions solides, les institutions solides vont s’effondrer très vite. Après tout, « les caisses de l’Etat sont vides » et cette commission nous coûte combien. Alors qu’une chambre constituante peut être constituée de personnes bénévoles travaillant sur la durée en vue de produire un projet de constitution consensuel et non un projet octroyé.

Le mode de validation de ce projet que l’on voit venir. C’est vrai que les acteurs de cette commission se sont inquiétés à un certain moment de voir le document qui risque d’être adopté par l’Assemblée Nationale (si cela arrange certains adeptes du régime parlementaire). Mais la commission souhaite un référendum. Le mot est lancé et cela m’a fait rire. Que vaut un référendum au pays des hommes intègres où 70% ne savent pas lire et sur les 30 % nous avons 10% de francophones utiles (niveau BEPC). Sur ces 10%, combien vont lire le projet de constitution avant le referendum pour voter en connaissance de cause ?

Non, je ne suis pas pour l’adoption à l’AN mais je crois que le référendum va nous plonger dans celui de 1991 où plus de 98% des votants n’avaient jamais vu le document de projet de constitution qui a pourtant été adopté. C’est ça « le vote des bêtes sauvages ».

Au stade actuel des choses, reconnaissons que :

La commission n’a pas les compétences intellectuelles et morales requises. Certains membres ont été trempés dans la transition dont nous n’avons pas fini de compter les dégâts,

La procédure d’élaboration est exactement celle de 1991 décriée par Soma et qui risque de nous conduire vers une constitution à la gloire du chef ou à l’aspiration de ceux qui veulent lui tirer le tapis sous les pieds,

Prenons le temps de mettre quelque chose de solide en place en tenant compte de la durée et de la vision ainsi que de nos ressources.

Rien ne presse et nous courons vers le risque de faire commettre les mêmes fautes parce que certains ont vu l’opportunité de manger dans la commission quel que soit le résultat. Quoi qu’il en soit, on ne va pas inventer la roue et si l’on a une constitution qui ne marche pas, prenons des mesures conservatoires sur les points à polémique avant d’avoir les mesures nécessaires pour une application sereine ou un amendement comme dans le cas des USA.

A vous les spécialistes et académiciens de toutes carapaces, vous ne pouvez rien nous proposer de nouveau qui n’existe pas de l’histoire politique des nations. Comme quoi, même si le Bon Dieu te casse la jambe et qu’il te montre une nouvelle démarche, tu vas toujours devoir te remuer les fesses.

Abou Bamba DOUKARE (ABD)

Source: LeFaso.net