Monsieur le Président,

A ce stade de ma lettre, je tiens encore à implorer votre indulgence. D’entrée de jeu, je vous avais promis de vous en écrire une qui soit plutôt courte. Hélas ! Le talent ne s’improvise pas : l’art de la concision n’est pas donné à tout le monde. Je ne suis pas César.

En effet, mon ancien professeur de latin, du temps de ma jeunesse, au petit séminaire, pour nous inviter à l’excellence, aimait à nous raconter mille et une anecdotes sur le personnage de César. Ainsi – légende ou réalité ? – ce professeur nous fit comprendre qu’un jour, un ami de César, comme pour mettre ce dernier dans l’embarras, comme pour rivaliser avec lui en matière de talent, a eu la prétention de lui écrire la lettre la plus courte de l’histoire de la Littérature. La formule utilisée, me semble-t-il, était : « Cras rus eo » (Demain, je vais à la campagne). Ce mot parvint à César. Sans attendre, ce grand homme rédigea cette réponse à son ami : « I ! » (Va !). Chacun conviendra que le vrai Maître était et restera à jamais César.

Monsieur le Président,

Sans modestie aucune, je confesse que je ne suis pas César. D’où la longueur de la lettre que je vous adresse. En d’autres termes, mon ambition était à la hauteur de mon rêve. Toutefois, même la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. En la matière, je ne suis pas sûr que même la vôtre, notre Première Dame, puisse faire exception … J’aurais tant aimé pouvoir me situer à une certaine hauteur pour m’adresser à vous, mais encore faut-il que j’accepte d’inscrire mes œuvres dans les limites de ma propre nature. C’est dire que je ne cherche pas à m’aventurer dans la cour des Grands. Et cet aveu étant fait publiquement, je sais que je peux compter sur votre indulgence.

Monsieur le Président,

J’aimerais, enfin, conclure ma lettre.

La noblesse de votre fonction vous imposant, entre autres, la patience, je me permets de vous livrer mes derniers sentiments. En effet, le radar de mon imagination débridée me signale, au loin, dans le ciel brumeux, la présence d’un objet volant non identifié. Un minimum d’attention me permet de comprendre qu’il s’agit d’un avion drapé des couleurs de la République sœur de Côte d’Ivoire.

La distance à parcourir n’est pas longue. Il suffira que cet oiseau métallique prenne son envol et qu’il contourne délicatement la Lagune Ebrié. Sa trajectoire indique qu’il a mis le cap sur OUAGA. Il s’agit bien d’un gros porteur, un A380, mais, à son bord, peu de passagers, parmi lesquels l’illustre Blaise COMPAORḖ. Autant souligner au passage que rien ne résiste au temps : après son vrai-faux départ, son vrai-faux exil, le Grand Maître est de retour en son Royaume. Sans avoir nul besoin de citer Aimé Césaire, il pourra rédiger tranquillement son Cahier d’un retour au pays natal. Le bijou du ciel qui le transporte n’aura même pas eu besoin de prendre sa vitesse de croisière, et encore moins de s’aventurer dans la stratosphère. Il n’aura eu qu’à caresser de ses grandes ailes quelques nuages et à survoler quelques caïlcédrats et quelques baobabs bicentenaires, puis, le voilà à sortir son train d’atterrissage et à amorcer sa longue descente vers le sol ferme du pays des Hommes intègres.

A l’aéroport international de Ouagadougou, l’accueil est des plus chaleureux : toutes les têtes couronnées sont là, sans oublier le Corps diplomatique. Et c’est sans surprise que je vois nos deux Généraux vénérés, à savoir Gilbert DIENDḖRḖ et Djibril Yipéné BASSOLḖ, en tenue d’apparat, tout juste sortis de leur prison dorée, attendre leur Maître de toujours.

BLAISE COMPAORḖ EST DE RETOUR AU PAYS NATAL !

A ma grande surprise, Monsieur le Président, je vous vois esquisser quelques pas majestueux, passant en revue les troupes, au premier rang desquelles figure le R.S.P, entièrement reconstitué. Personne ne manque à l’appel. Bientôt, la famille C.D.P., au grand complet, pourra fêter dignement ses retrouvailles, ou, fallait-il dire courageusement les choses que je dirais plutôt : pour laver son linge sale en famille, à moins que ce ne soit pour aiguiser ses longs couteaux. Toujours est-il que je vous vois aux pieds de la passerelle, Monsieur le Président.

Naturellement, à sa descente d’avion, personne ne commettra le crime de lèse-majesté en demandant à l’illustre hôte son passeport, puisqu’il ne saura lequel fournir. En effet, pour ceux qui ne le sauraient pas, tout ancien chef d’Etat possède au minimum deux passeports : celui de sa patrie d’origine et celui de sa patrie d’adoption. Dans cette perspective, on ne peut que donner raison aux Romains, lorsqu’ils disaient : « Ubi bene, ibi patria » (Là où l’on est bien, là se trouve sa patrie).

Quittons maintenant l’aéroport international de Ouagadougou pour un autre lieu.

Ailleurs, une autre cérémonie se prépare : le cardinal Philippe OUḖDRAOGO, en sa cathédrale, tout de pourpre vêtu, sourire en coin, tel un moine libidineux, partagé entre les plaisirs terrestres et les plaisirs célestes, savoure la solennité du moment. Les novices des sœurs de l’Immaculée Conception, accompagnées de celles des sœurs de saint Camille, telles des bankweese, telles des rindibdu, de leurs jeunes corps frêles, se trémoussent pour ne laisser apparaître que ce qu’il y a d’ange en l’humain. Mon aîné du petit séminaire, Aloys NIKIḔMA, de ses doigts en or, arrache des notes sublimes de l’orgue qui nous plongent dans la ferveur du Te Deum. Nous sommes bien loin des rythmes endiablés de Faso Academy. On se serait cru à la fin des Temps. Si saint Jean venait à se réveiller, il eût troqué sa plume apocalyptique contre la flûte enchantée, invitant ainsi l’agneau et le dragon à chanter en chœur l’hymne à la joie.

Le prélat, comme pour se faire pardonner cette joie trop humaine, trop coupable, qu’il venait d’afficher – comme si, pour une fois, il partageait, avec Jacques Le Goff, cette remarque profane : « Le Verbe incarné n’a jamais ri » – change brusquement son attitude. Le regard vif, qui rappelle celui du faucon, il toise maintenant ses frères et sœurs en Christ. Puis, les yeux bien fermés, tel un varan repu, tel un ange en pleine lévitation, il se replonge dans une profonde méditation. Chacun sait in petto que le grand Prince de l’Eglise s’adresse à lui en particulier, selon la formule consacrée : « Venez, les bénis de mon Père ! ».

En simple observateur, j’ai suivi partout, dans nos villes et dans nos campagnes, les foules innombrables, qui, çà et là, fêtent le retour triomphal de Blaise COMPAORḖ. Ainsi, au cas où vous ne l’aurez pas remarqué, Monsieur le Président, je tiens à vous signaler que dans votre palais de Kosyam, les mères éplorées, ou mieux : les mères pleureuses des deux insurrections populaires de notre pays attendent sagement que vous veniez signer le décret qui leur permettra de faire ériger, avec les larmes qu’elles ont recueillies depuis des mois, un mur des lamentations, comme celui qui existe à Jérusalem. Cela leur permettra alors de se consoler et de trouver un peu de quiétude dans leur cœur meurtri.

Monsieur le Président,

Que me reste-t-il encore à vous confier si ce n’est que je ne cherche nullement à contester votre autorité ? Tout combat que j’engagerais entre vous et moi serait inégal et voué à l’échec. En bon Moaaga, je reste lucide : « Sên tar zùur ka gângd bugum ye » (Tout ce qui a une queue ne doit pas enjamber le feu). Autrement dit, quand on connaît son point faible, on doit se montrer très prudent.

Contrairement à vous, je suis né talga, et talga, je mourrai. Il paraît que chez les Français, à une certaine époque, on appelait les talse des « culs terreux ». Je suis donc né pour cultiver la terre, comme le faisaient naguère mon père et mon grand-père.

Il en va des hommes comme des astres dans le ciel : les uns, en bas, pas à pas, suivent la voie que le sort leur a tracée, les autres, en haut, tracent majestueusement leur orbite stellaire, dans l’infiniment grand, mais avec une précision sans faille.

Ainsi, donc, je n’habiterai jamais de ma vie aucun palais, fût-il celui de Kosyam. Mais, laissant libre cours à mon imagination, je devine ce que doit être la douceur amère du pouvoir. De ma modeste place de citoyen ordinaire, je n’aurai pas la prétention de vous écrire une sorte de Traité de l’âme, comme l’avait fait jadis le philosophe René Descartes, pour la reine Christine de Suède, laquelle était en proie au chagrin, face aux tourments de la vie.

Vos épaules à vous sont plus larges et plus solides, votre costume ample, et votre allure majestueuse. C’est pour cela que 17 millions de vos compatriotes vous ont confié leur destin. J’ai l’intime conviction que vous en êtes pleinement conscient. Votre peuple peut donc dormir tranquille, sachant que, jour et nuit, vous veillez sur lui. Toutefois, et sans nullement vous offenser, je ne voudrais pas qu’à son réveil le peuple en arrive à constater que le Roi est nu.

Ecrou (ecroupromo71@yahoo.fr)

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Source: LeFaso.net