Le gouvernement ivoirien a récemment décidé d’engager les procédures en vue de la protection internationale de l’appellation ‘’attiéké ». Une sorte de réponse à l’attiéké made in China qui est en passe d’inonder le marché africain et international. Quelles seront les implications de cette mesure ? Le chapeau de Saponé, le Faso Danfani, le Babenda, ne sont-ils pas également ‘’protégeables » par le Burkina ? Ce sont autant de question que nous avons posées à Mathieu Hien, Conseil en propriété industrielle agrée à l’OAPI, expert en propriété intellectuelle agrée près la Cour d’appel de Ouagadougou, et membre de l’international Trademark Association.

Lefaso.net : Que faites-vous exactement dans votre cabinet ? Et que renferme la notion de propriété intellectuelle

Mathieu Hien : Le cabinet qui a été d’ailleurs le premier du genre au Burkina, offre des services spécialisés dans le domaine de la propriété intellectuelle. La notion de propriété intellectuelle est une création de l’occident, des économies du monde capitaliste. Le but est de créer des formules juridiques permettant de protéger les créations d’ordre intellectuel.

Pour schématiser, dans la propriété intellectuelle, on distingue la propriété industrielle (qui concerne la protection des inventions et des innovations à caractère technique ; les marques de produits, de services ; les noms commerciaux qui concernent la protection des dénominations d’entreprises, les indications géographiques, les brevets d’invention…), et la propriété littéraire et artistique (la protection de la musique, des livres, du cinéma). La propriété intellectuelle, c’est donc l’ensemble des formules juridiques mises en place par les pouvoirs publics pour assurer la protection des créations d’ordre intellectuel.

Quelle est l’étendue de la protection ? Est-ce au plan national, régional ou international ?

La propriété intellectuelle a une base juridique et il y a un principe fondamental en droit que tous les juristes connaissent, c’est la territorialité des droits. Lorsque vous effectuez une protection au niveau d’un Etat, elle n’est valable que dans l’Etat qui a accompli les formalités de protection. Au Burkina on a une particularité.

Nous sommes regroupés avec les Etats de la sous-région dans l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle(OAPI), basée à Yaoundé au Cameroun. Au sein de cette organisation, il y a un office commun chargé de délivrer les titres de protection au nom de tous les Etats parties. Donc les Burkinabè qui veulent protéger leurs œuvres industrielles, doivent s’adresser à l’OAPI en passant par un cabinet spécialisé.

Les formalités qui sont accomplies à l’OAPI permettent d’avoir un titre valable simultanément dans les 17 Etats membres, mais les droits demeurent indépendants. Les effets juridiques se produisent uniquement au niveau de chaque Etat membre.

Une fois que vous avez votre titre signé par le directeur général de l’OAPI qui vous reconnait un certain nombre de droits, si quelqu’un imite ou utilise votre marque, invention ou innovation dans un des pays membres de l’OAPI, vous avez la possibilité d’aller directement en justice.

Par contre, au Ghana par exemple qui n’est pas membre de l’OAPI, si votre produit y est imité et que vous ne l’avez pas protégé là-bas, il sera vous difficile d’y faire respecter vos droits.

Pour le cas spécifique du Burkina, vous avez dit être l’un des pionniers…

Je suis le pionnier. Je le revendique parce dans ce pays, il y a des gens qui prennent les idées des autres, j’insiste, je suis le premier. Je peux même dire que je suis le premier spécialiste en propriété intellectuelle au Burkina. Je ne me jette pas des fleurs, mais je veux qu’on me le reconnaisse.

C’est bien noté. Le Burkina Faso a-t-il une tradition de protection de ses inventions et innovations ?

Malheureusement Non. Quand j’arrivais de mes études en propriété intellectuelle, il n’y avait rien. Juste un petit service qu’on appelait structure nationale de liaison avec l’OAPI. Le service était composé de trois personnes, un chauffeur, la responsable et moi. Il n’y avait presqu’aucune activité. Les Burkinabè n’ont pas l’habitude d’aller vers les services de protection de leurs innovations ou inventions.

Avec ce que nous avons fait comme travail, ça commence à venir, parce qu’entre temps les services ont grandi. Le service dont je parlais est devenu une direction, le Centre national de la propriété intellectuelle. Petit à petit, on sent venir ce réflexe.

Qu’est-ce qu’un innovateur ou un inventeur a à perdre en ne protéger pas sa propriété ?

Aujourd’hui le monde est ouvert, il y a l’internet, des grands salons, comme le SIAO organisé tous les deux ans. Une manifestation de promotion de l’artisanat où on invite des artisans, des opérateurs économiques d’autres pays. Normalement, on devrait assurer la protection des œuvres avant de les exposer, sans quoi les produits seront plutôt exposés à la copie.

En tant que conseil, nous avons toujours demandé au SIAO de faire en sorte que les produits exposés ne soient pas à la solde des copies, des imitations frauduleuses des tiers. Il faudrait pour se faire, sensibiliser et ne pas attendre le SIAO pour le faire.

Dans quelle catégorie de la protection place-t-on les denrées alimentaires ?

Elles sont classées dans la catégorie de la propriété industrielle. Les formules juridiques les plus adaptées aux denrées alimentaires sont à rechercher dans le droit de la propriété industrielle.

Le gouvernement ivoirien a récemment décidé de protéger juridiquement l’appellation ‘’Attiéké », qu’est-ce qui pourrait expliquer cette décision ?

Je ne suis pas un service de l’autorité ivoirienne pour parler à sa place. Mais ce que je peux dire en tant que spécialiste, c’est que nos Etats ont souvent un réveil tardif. Ce n’est pas aujourd’hui que tous les Etats de la sous-région connaissent l’attiéké, ce n’est pas non plus maintenant qu’en France ou en Chine qu’on parle de l’attiéké. J’ai même entendu dire que ce sont des Chinois qui vendent l’attiéké en France.

Donc je dis que c’est un réveil tardif, mais qui vaut mieux que rien. La décision a été prise en conseil des ministres et il est dit qu’en raison de la notoriété de l’attiéké, la production de cette denrée tend à se développer hors de notre pays et à être commercialisée sous l’appellation attiéké ».

L’attiéké malgré sa notoriété n’était pas protégé. La Côte d’ivoire, peut-être par regain d’orgueil veut qu’on reconnaisse que c’est un produit qui vient de son terroir. Mais au-delà de cette lecture qu’on peut avoir, on peut dire qu’il y a des raisons d’ordre économique. Si l’attiéké est beaucoup consommé, ce sont des recettes importantes en perspective pour la Côte d’ivoire et les communautés qui produisent cette denrée.

Autre chose à mon avis, c’est le côté préservation de la culture ivoirienne, parce que l’attiéké est un mot qui vient d’une certaine communauté ivoirienne. C’est donc par souci de la préservation de la culture ivoirienne à travers le savoir-faire des populations, les connaissances issues des savoirs traditionnels ivoiriens. Il ne faut surtout pas qu’on dise un jour que l’attiéké est un mot qui vient d’ailleurs.

La production de l’attiéké est pourtant un secteur très ouvert, il n’y a pas une structure unique qui le produit, comment le protéger alors ?

Ne faisons pas de confusion. On utilise le blé pour faire beaucoup de choses, le pain, du couscous…l’attiéké est fait à base de manioc, mais on peut aussi faire du couscous, du foutou, à base du manioc. Le couscous de manioc qui se présente sous plusieurs formes n’est pas forcément de l’attiéké. En Chine on produit beaucoup de manioc, ils feront du couscous ou quelque chose qui ressemble à l’attiéké, mais ils ne devraient pas utiliser le mot attiéké pour le désigner. S’ils le font, ça veut dire qu’ils trichent sous la notoriété du mot attiéké, c’est là où justement l’Etat ivoirien ne peut pas laisser faire. Ils peuvent appeler le produit autrement, mais pas attiéké.

Le but visé par la Côte d’ivoire, ce n’est certainement pas de faire la guerre à nos femmes ici, mais c’est de mettre de l’ordre dans l’utilisation du mot attiéké. Si cela peut rapporter des devises, il faut le faire et c’est normal.

Est-ce à dire par exemple que les groupes de femmes au Burkina qui produisent cette recette et qui la mettent en sachet avec l’étiquette ‘’Attiéké » devront changer le nom ?

En tant que spécialiste, voilà comment je vois la réaction des autorités ivoiriennes. Si effectivement la marque est protégée sur le plan international, elles vont élaborer un programme d’action à mener. Si elles veulent aller jusqu’au bout, elles devront concevoir un programme dans le temps. Quand on parle de la protection internationale d’une marque, l’autorité ivoirienne demande au ministre de l’industrie et à l’ensemble des ministres concernés, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection juridique internationale de l’appellation attiéké. Là c’est pour acquérir des droits, quand on acquiert des droits, il faut les défendre.

Il se pourrait que ceux qui ne veulent pas se mettre dans cette logique, que l’Etat ivoirien leur fasse la bagarre. Mais je répète encore que le but ce n’est pas contre les populations locales, de la sous-région, mais plutôt pour défendre l’attiéké au plan international.

Ces derniers temps, on a vu que les Chinois s’étaient également engagés dans la production de l’Attiéké et pourraient inonder le marché africain de l’Attiéké made in China, ne serait-ce pas cela qui a motivé la décision des autorités ivoiriennes ?

C’est bien une réponse à cela. Je lisais quelque part que la Chine est le premier producteur d’attiéké. Ils fabriquent certes des produits à base de manioc, mais ne peuvent pas utiliser le terme attiéké pour désigner le produit. C’est justement ce que la Côte d’Ivoire veut faire, empêcher la Chine d’utiliser le mot attiéké pour désigner les produits qu’ils fabriquent à base de manioc. Mais ce n’est pas seulement la Chine. Et je trouve cela normal.

Justement quels sont les produits typiquement burkinabè qu’on pourrait protéger…


Jusqu’à présent il n’y a effectivement pas de mets burkinabè protégés. Actuellement on ne parle plus de brevet en ce qui concerne les produits alimentaires. Si on veut prendre des initiatives au Burkina, c’est bien le moment. Il y a des produits qu’on peut défendre et promouvoir, promouvoir et valoriser. Quand je disais que nos autorités ont l’habitude de se réveiller tard, vous voyez comment elles battent des pieds et des mains pour le Faso Danfani.

Pourtant ça ne date pas d’aujourd’hui, la cotonnade a toujours existé, les boubous que nous portons aussi. Le comportement officiel date de la période de Thomas Sankara. Très vite on est revenu au costume et maintenant on est en train de revenir au Danfani.

Il y a le boubou traditionnel Dagara que tout le monde connait, parce qu’il y a eu de l’innovation, les dessins sont plus nets, les couleurs sont plus vives. Il y a ces produits qu’on peut valoriser et vendre dans le monde. Il y a des formules de protection qui sont là pour cela.

Pour les mets, il y a le Babenda que les gens aiment bien. Lorsqu’on veut protéger un produit de ce genre à l’international, il faut dire ce que cela contient, comment c’est fabriqué, les calories que cela peut contenir. Il y a le Djôdjô bien prisé en pays Dagara. Est-ce qu’on trouve tout cela dans les restaurants ?mais on trouve de l’attiéké. Donc il ne fait pas attendre que les autres nous viennent nous montrer ce qu’on peut faire. Ce n’est pas moi qui l’a dit, produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons.

On peut également parler du Chapeau de Saponé…

Justement, il a du succès. On a vu les athlètes Burkinabè aux Jeux Olympiques au Brésil le porter. On peut facilement le valoriser. Et s’il s’agit de la protection, nous sommes là pour cela.

Y a-t-il également des valeurs traditionnelles qui peuvent être protégées ?

Si, mais disons qu’en ce qui concerne les valeurs traditionnelles, il s’agit de droits collectifs, dont la création n’est pas simple. Un individu, s’il n’a pas le mandat de la collectivité, ne peut s’engager dans cette procédure. Pour le cas de l’attiéké, il n’est pas possible de voir une entreprise solitaire qui dira être titulaire de la marque. Les droits collectifs sont exercés de manière collective. C’est ce qui est intéressant pour ce qui concerne ce qui touche aux savoirs traditionnels, aux mets collectifs.

Est-ce qu’on peut savoir qui a été le premier à faire connaitre ou fabriquer tel ou tel savoir traditionnel ? C’est difficile. Au niveau de l’Organisation mondial de la propriété intellectuelle(OMPI), la réflexion est engagée depuis des décennies pour sortir des textes en vue de la protection des savoirs traditionnels. Mais ça prend du temps, quand on va pour un traité, c’est pour harmoniser les points de vue, et c’est difficile.

Cela englobe les savoirs sur les pratiques médicinales, les éléments du patrimoine cultuels. Mais selon moi, chaque Etat doit prendre ses responsabilités pour identifier les éléments culturels qui ont de la valeur et qui peuvent être protégés en attendant qu’au niveau international les dispositions soient prises. Sinon si on attend, pendant ce temps, la technologie se développe, on aura plus de savoirs traditionnels, tout va se diluer dans la mondialisation.

Faut-il mener des études en vue de la protection des mets ?

Pas forcément. Il y a au moins deux ou trois types de protection pour les mets traditionnels. Il y a le brevet d’invention qui porte sur la composition du met. Aujourd’hui la pratique n’est plus la protection par brevet des mets traditionnels, parce que vous êtes obligés décrire complétement comment vous procédez.

Pour les marques, les signes distinctifs qu’on appose sur les emballages, c’est ce qui est plutôt intéressant pour les mets traditionnels.

Il y a un autre type de protection. La formule de protection qui vous oblige à identifier la localité où la matière première est produite et à créer un signe propre à cette localité. On peut par exemple dire Attiéké de telle localité, qui est réputée produire du manioc de bonne qualité pour faire de l’attiéké de bonne qualité. C’est ce qu’on appelle les identifications géographiques protégées. Pour les mets à nous, on peut utiliser la marque, l’indication géographique et là c’est plus intéressant. Et c’est à ce niveau que les études dont vous parlez doivent être faites, dans un cahier de charge, avec un système de contrôle.

La protection de l’appellation attiéké s’accompagnera-t-elle forcément d’une marque ?

Non, ça peut être un logo. Mais pour que la protection soit efficace, forte, en général il faut associer les logos et les signes distinctifs. Les marques verbales et les marques figuratives pour arriver à une protection forte.

Le secteur, les circuits de distribution et les producteurs seront réorganisés. C’est ce qu’on appelle les chaines de valeur, une succession d’actions qui génèrent des revenus. Et cela peut créer beaucoup d’argent

Un dernier mot ?

Nous avons intérêt à protéger nos créations personnelles, l’Etat aussi doit s’y mettre. Vous voyez que pour le cas de l’attiéké c’est l’Etat ivoirien lui-même qui a pris l’initiative. Il y a des produits pour lesquels on ne peut pas laisser les individus défendre, ça devient une préoccupation nationale. Ne disons pas que c’est cher. C’est parce qu’on ne peut pas évaluer ce qu’on perd immédiatement, qu’on dit souvent que c’est cher.

L’innovation est la base de tout le développement. Si vous innovez et que vous ne protégez pas, vous perdez vos droits sur l’innovation. Toute création mérite protection.

Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo

tigacheick@hotmail.fr

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