Même pas une faillite (puisqu’il n’a jamais prospéré) mais la vacuité du système judiciaire burkinabè favorise aujourd’hui les échappées et égarements les plus fous et dangereux dans un domaine séduisant qui se moque en réalité de la justice : le domaine de la morale. Mais dans la mesure où le Burkina Faso ne s’est jamais proclamé République de la morale et de la vertu (les récupérations prétendument « sankaristes » en ce sens moraliste sont, on va le montrer, des inepties), il est plus sain de ramener les polémiques et débats nés des « affaires » et des « scandales » à leur unique sphère légitime : la Justice.
On peut donc énoncer notre thèse ainsi : c’est parce que l’institution judiciaire au Faso n’existe que sur du papier que sont nombreux les « juges » et justiciers de la morale qui se multiplient au rythme des « scandales » et rapports, et qui se maquillent d’intégrité pour nous imposer en réalité un intégrisme moral parfois motivé par des convictions religieuses. Leur vocabulaire seul les trahit qui en dit long en un seul mot : ceux qui, comme moi, essayent de défendre résolument le défendable dans l’indéfendable moral sont accusés par nos intégristes moraux de… »sanctifier » tel ou tel, c’est-à-dire celui ou ceux que leur vertu religieuse ou religion de la vertu ne tolérerait jamais dans leur propre…sanctuaire privé (que nul n’y pénètre s’il n’est saint) ! Comment un tel vocabulaire religieux pourrait passer anodin s’il n’appartenait à et ne provenait d’individus qui s’y connaissent en religion et en sainteté (celles de la déesse Vertu), suffisamment pour en écarter et exclure des humains ordinaires en faute ?!
Le comble est que nos intégristes moraux croient s’autoriser du sankarisme ou même du nom de Sankara pour…sanctifier(!) leurs discours sur l’intégrité. Et depuis que la Révolution de 1983 a rebaptisé la Haute-Volta en « pays des hommes intègres », l’auto-proclamée et officieuse police intégriste des moeurs burkinabè s’est persuadée que les Burkinabè sont déjà intègres, naissent intègres, incorruptibles, vertueux et entiers. Au nom de quoi elle ne tolère aucune corruptibilité qui serait chute et déchéance morale. Le sankarisme, que beaucoup ne connaissent que par ouï-dire fabulateur serait la théorie du règne de la morale et de la vertu au Burkina Faso, autrement dit un intégrisme moral…
Mais l’intégrisme étant à l’intégrité ce que l’excès et la démesure bornés sont à la modération et à la mesure, autrement dit la maladie ou, pour le coup moral, le vice même de l’intégrité à son extrémité, on ne peut ni concevoir cet intégrisme sans injustice, ni par là même faire quelque tort au sankarisme et à la personne de Sankara Thomas Isidore. Car l’intégrisme même moral et religieux n’est jamais un humanisme, que le sankarisme au contraire est. Humanisme, le sankarisme l’est de poser par des actes que l’homme (le Burkinabè, l’Africain en l’occurrence) est perfectible et non pas parfait d’emblée, et encore moins saint. Il s’agit avant tout de de désaliéner et libérer l’Homme, pas de le rendre vertueux et saint.
L’intégrité oui, mais dans une logique humaniste de réformer et amender le citoyen fautif et coupable, par la discipline, non de le condamner et maudire, bannir, voire de l’éliminer physiquement : Thomas Sankara n’était pas Maximilien Robespierre, le prêtre révolutionnaire de la Vertu (même si, j’y arrive en conclusion, il pouvait parfois lui reprendre sa rhétorique, sur la justice et jamais sur la vertu). C’est le sens idéal de l’existence des Comités de Défense de la Révolution (CDR) et des Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR). Car, pensez-vous, si le sankarisme était un intégrisme qui tient l’homme pour vertueux, entier, infaillible et incorruptible, bref intègre d’entrée, on ne comprendrait plus l’utilité de ces deux instances révolutionnaires, en plus de la pratique de l’auto-critique qui permettait de revenir dans le droit chemin de l’intégrité véritable. Or ni les CDR ni les TPR n’étaient, même pour ceux d’entre nous qui les combattaient, des instances de morale et d’un règne de la vertu au pays des hommes intègres.
Faire du sankarisme un intégrisme moral est une ineptie historique et intellectuelle pour esprits incultes et mal renseignés. Car, à la différence de l’humanisme sankariste de l’intégrité, l’intégrisme moral ou religieux condamne sans attendre, et délivre sa sentence forcément morale, avant l’institution judiciaire : les rumeurs sont déjà des chefs d’accusation pour nos intégristes de la morale incorruptible, pour nos ayatollahs de l’incorruption, nos muftis de l’intégrité et nos Robespierre de la déesse Vertu, dont les désirs sont des fatwa irréversibles…
La justice de l’intégrisme moral est une justice à la lettre, que les Maliens sous occupation des intégristes religieux ont expérimentée, c’est-à-dire éprouvée : si vous volez une cigarette on vous coupe la main voire les mains ! Il n’y a pas d’indulgence pour celui qui quitte la sainteté vertueuse pour trébucher volontairement ou pas dans la faute et le mal. L’intégrisme religieux ne va jamais sans intégrisme moral, et celui-ci peut à son tour déboucher sur une religion, comme chez Robespierre, le culte religieux de la Vertu au nom de laquelle on décapite, et égorge aujourd’hui.
Voilà pourquoi il n’y a pas et n’y aura pas une République de la morale et de la vertu au Faso, nous y ferons barrage. Ce qui ne veut absolument pas dire que nous soyons des mécréants vicieux et licencieux prêchant la corruption et le vice : il n’est pas besoin d’ayatollahs, de muftis ni de Robespierre de l’intégrité pour former et imposer une police de la vertu et des moeurs au Burkina Faso ; il y a des instances de lutte contre la corruption (à renforcer et multiplier au besoin), il y a la Justice et les lois pour cela. Si elles n’existent pas il faudrait qu’elles existent.
Jamais ni nulle part la « moralisation » de la vie publique dans un État laïque et de droit n’a signifié le règne et l’absolutisation de la morale (ce terme de « moralisation » est alors un faux ami, car cette moralisation se fait non par la morale ni la religion mais par les lois lesquelles, si elles ne sont pas la morale, ne manquent pas de moralité mais sont la seule moralité publique). La rigueur des lois y suffisent. L’ ancien président français, Nicolas Sarkozy, est en passe de gagner la primaire de son parti pour de nouveau briguer un mandat légitime à la tête de la France, alors que les affaires judiciaires le concernant sont légion. Personne de sérieux et d’intelligent n’en conclura que les Français ignorent morale et vertu, et qu’ils sont vicieux et pervers : c’est qu’il existe en France, la patrie même de l’incorruptible Robespierre, des lois et une Justice qui fonctionnent sans besoin d’une police des moeurs et de la vertu.
Comme exemples contraires plus proches de nous :
1/ C’est cette logique intégriste parée d’intégrité qui est à l’oeuvre dans les excitations disproportionnées autour des « affaires Zida », comme si la justice ne suffisait pas, ou même n’existait pas. Des individus ou des associations qui n’ont jamais porté plainte contre quelqu’un dans ces « affaires » demandent à la justice de poursuivre qui ils veulent, comme si les hommes de loi ne savaient pas ce qu’ils ont à faire. C’est la justice, pardon la police morale qui donne ses ordres et directives à l’institution judiciaire. (On remarque au passage que les vociférations contre le grade du Général Zida se sont essoufflées et épuisées d’elles-mêmes, les attentes de sa dégradation vaines et déçues, le grade de Général lui étant maintenu, ce qui est sain et honorable pour notre pays et notre armée).
2/ Cet intégrisme moral se trouve aussi dans les milices Koglweogo où certains pensent (re)trouver une justice morale en phase avec leurs convictions religieuses, voire leur religion dans ce qu’elle aurait de vertueux et de saint. Alors le vol n’est pas seulement illégal mais surtout immoral ou amoral : si vous volez un boeuf on vous pend par les jambes, tout comme les intégristes religieux musulmans de Gao, Mopti ou Tombouctou ne toléraient pas qu’on vole une cigarette ou même en fume (!), ou comme fonctionne une certaine justice religieuse dans des États théocratiques. L’intégrisme moral est un théocratisme, jamais un humanisme…
J’oppose donc ici la justice judiciaire par essence et par vocation humaniste à une une justice morale théocratique qui, même laïque, ne jure que par la déesse Vertu. On ne s’étonne pas assez de constater qu’en même temps que la police officieuse des moeurs burkinabè veille et surveille le sanctuaire de sa déesse Vertu, l’incivisme nous dit-on croît au pays des hommes intègres comme le désert du nihilisme (Nietszche). C’est que l’incivisme concerne avant tout les lois et pas les moeurs, et relève du non respect des premières plus que de la profanation des secondes : voilà pourquoi l’intégrisme moral et vertueux est remarquable dans son mutisme devant les violations des lois mais bruyamment excité devant les rumeurs de corruptions…
La justice judiciaire devrait donc suffire à moraliser la vie publique. Mais elle n’existe pas au faso. Il existe à coup sûr des magistrats, des avocats, des juristes burkinabè, mais ils ne sont que les paillettes et les flonflons d’une justice décorative et postiche. Nous en avons la preuve : le président du troisième parti politique du Burkina, Achille Tapsoba du CDP, vient de rendre une visite d’ « obligation morale » (c’est de lui) à l’ancien président du Faso Blaise Compaoré aux côtés duquel ils s’affichent, lui et le trésorier du parti, sur une photo « joviale » : rien de…moralement condamnable à cela, mais judiciairement triste et scandaleux, puisque Blaise Compaoré est inculpé et recherché par la justice burkinabè qui n’a pas interdit à Achille Tapsoba et son trésorier tout contact avec le président fuyard.
Il ne suffit pas d’arguer que les deux responsables du CDP n’étaient pas interdits de contact avec Blaise Compaoré et que, au nom de la liberté d’aller et venir (il est du reste curieux de rappeler volontiers le Droit quand il s’agit des droits et pas des devoirs !), et même s’ils devaient se montrer eux-mêmes patriotes et respectueux de la justice de leur pays en observant une neutralité discrète et distante vis-à-vis du fuyard inculpé recherché (cela s’appelle responsabilité, éthique de la politique que nos ayatollahs, bizarrement silencieux à cette occasion, confondent avec la morale), la question qui demeure est pourquoi la justice burkinabè n’interdit pas ce contact avec l’homme qu’elle recherche ! D’où ma conviction que cette justice n’existe pas, elle n’est même pas fautive d’injustice, elle n’a aucune réalité ni existence.
Davantage, c’est même le président du Faso, M Roch Kaboré, qui a dû s’excuser auprès du CFOP de Zéphirin Diabré pour accorder le laissez-passer aux deux responsables CDP visiteurs de l’ancien président. Alors que M Roch est le ministre de la justice militaire qui inculpe et recherche Compaoré. Autrement dit, avec l’aval de son président et ministre de la défense, le Burkina et sa justice militaire autorisent ses hommes politiques à commercer avec un ancien président qui les fuit pourtant : plus il fuit et plus le pays lui fait la cour, à défaut de l’avoir devant une cour de justice !
Et surtout, Blaise Compaoré continue donc ainsi de s’impliquer dans la politique du Burkina à travers son parti CDP, alors que les burkinabè avaient cru comprendre, de la part de leurs mêmes autorités, le président Kaboré en tête, qu’il n’était pas souhaitable que Compaoré continue de s’impliquer dans la politique du Burkina au risque de déstabiliser le pays. Eh non, Blaise Compaoré est toujours le président fondateur du troisième parti politique du Burkina, et deuxième parti d’une opposition politique burkinabè dirigée par l'(ex)insurgé Diabré qui a contribué à le chasser du pouvoir et du pays (décidément, où sont les insurgés ?)…
Au-delà de ce pied de nez à la justice burkinabè qu’a été la visite exhibitoire des deux responsables CDP à l’ancien président inculpé et recherché (nous dit-on) il y a trois choses à noter : 1/ du côté de l’ancien président Compaoré une incohérence manifeste à fuir la justice de son pays, sinon son pays, tout en s’impliquant, avec la complicité du CDP, dans la politique de ce même pays qui le recherche et qu’il fuit. Blaise Compaoré ne considère apparemment que son parti CDP au Burkina, pas la justice du pays où le même cdp qu’il conseille fait sa politique. Étrange !
2/ Du côté des autorités burkinabè et du président Roch il y a un double langage qui n’a rien de diplomatique (puisqu’il se contredit dans le diplomatique même) et qui est tout aussi manifeste : il jure que Blaise Compaoré rendra « des comptes tôt ou tard » (cf.interview Jeune Afrique), et en même temps il délivre en quelque sorte un laissez-passer à nos deux responsables du CDP pour exposer leur mépris jovial à l’encontre de notre système judiciaire militaire sous tutelle de Roch en s’ex-posant avec Compaoré. Autant comprendre que le « tôt ou tard » du président Kaboré veut dire « jamais » en langage non diplomatique !
3/ Pour une fois, ce n’est donc plus la Côte-d’Ivoire qui empêche et obstrue la justice au Burkina, mais plutôt le système judiciaire burkinabè qui de lui-même renonce à la justice. À moins qu’il ne s’auto-censure pour ne pas irriter les autorités ivoiriennes qui auraient prié le président de finalement laisser voyager Tapsoba et son trésorier. Mais dans ce cas, quelle serait encore la souveraineté du Burkina Faso ?! Cette question de la souveraineté même du Burkina, nos intégristes et champions en patriotisme ne se la posent pas, on ne les entend ni ne les lit la poser, eux qui se réclament pourtant de…Sankara Thomas : une insulte, une grimace de sankarisme !
Ce qui est sûr et certain en revanche, et alors que Blaise Compaoré inculpé et recherché continue d’être impliqué dans la politique burkinabè par le biais du CDP dont il reste le père conseiller, nos Robespierre et ayatollahs de la morale vertueuse et de l’intégrité n’accepteraient jamais, par exemple, que le général Isaac Y. Zida, qui n’est inculpé de rien à ce jour, continue de diriger, coacher, influencer et manipuler, depuis le Canada, une partie de notre armée !! N’est-ce pas ? Mais on ne les entend pas ni ne les lit quand il s’agit de justice judiciaire et du mépris fait à notre système judiciaire : la morale et la vertu d’abord et par dessus tout, pas la justice ; celle-ci n’est pas leur « truc », pas leur affaire, eux qui aiment les « affaires » pour mieux rendre culte à leur déesse Vertu …
La courageuse citoyenne Safiétou Zongo Lopez est convoquée et entendue par la justice parce que des propos d’elle menaceraient non pas les citoyens et l’ordre public mais un palais de justice (la justice contre-attaque alors par instinct défensif de survie, et non parce qu’elle existerait suffisamment pour attaquer ceux qu’il faut attaquer), en même temps que Achille Tapsoba et son trésorier rentrent tranquillement d’Abidjan pour au contraire…poursuivre l’Etat burkinabè devant la justice d’avoir été empêchés de circuler (le cdp, de la modification du 37 à aujourd’hui, ne connaît et ne parle que droits et prérogatives) : autre preuve que le système judiciaire burkinabè n’existe pas, et que ce qui en tient lieu n’est qu’un éther vide où des demi-habiles « surfent » au gré de leurs droits et intérêts d’abord, et au mépris de leurs devoirs envers le peuple burkinabè.
Que la déesse Vertu me souffle donc ne pas critiquer ces deux responsables du CDP : ce n’est pas leur faute, ils sont allés rencontrer en terre ivoirienne des compatriotes militants de leur parti qui n’est pas interdit au Burkina. Mais, à moins d’y être allés par mission officielle pour rencontrer Blaise compaoré et négocier avec lui son retour au pays (ce n’est pas le cas), c’est une insulte pour la justice burkinabè d’avoir ainsi mis en scène ses propres discrédit et vacuité, et confirmé sa propre inexistence. À ceux qui parlent d’indépendance de la justice au Burkina je répondrais qu’elle n’existe même pas…
On ne peut donc conclure sans revenir à Thomas Sankara dont se réclament à tort des intégristes de la morale, à travers un texte de Robespierre qu’il ne pouvait évidemment pas ignorer puisque l’une de ses phrases célèbres y fait directement écho. Toutefois, le Robiespierre de ce texte n’est pas l’incorruptible adorateur de la déesse Vertu, mais l’avocat de métier qui est aussi l’avocat de la justice révolutionnaire et judiciaire :
« La lenteur des jugements équivaut à l’impunité ; l’incertitude de la peine encourage tous les coupables, et cependant on se plaint de la sévérité de la justice ! on se plaint de la détention des ennemis de la République ! ».
Puis il poursuit :
« Malheur à celui qui oserait diriger vers le peuple la terreur, qui ne doit approcher que de ses ennemis ! Malheur à celui qui, confondant les erreurs inévitables du civisme avec les erreurs calculées de la perfidie, ou avec les attentats des conspirateurs, abandonne l’intrigant dangereux pour poursuivre le citoyen paisible ».
Cette mise en garde de Robespierre, qu’un Sankara aurait pu reprendre aujourd’hui, est d’une actualité aussi brûlante qu’étonnante pour nous burkinabè, lorsque nous quittons l’intégrisme moral parfois teinté de ferveur religieuse pour parler de justice judiciaire : 1/ Ne pas confondre les erreurs inévitablement liées à l’exercice de sa citoyenneté et de son patriotisme avec les attentats des conspirateurs de l’intérieur et de l’extérieur. Et donc : 2/ Ne pas abandonner l’intrigant dangereux pour poursuivre le citoyen paisible !
Que cela se médite sans souhaiter malheur à personne…
Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE
Source: LeFaso.net
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