Après les 27 ans du pouvoir Blaise Compaoré et la révolte qui a amené le changement, la jeunesse burkinabè a le droit de rêver à un vrai changement. Le Burkina respire, il est vrai, une nouvelle ère de démocratie, mais nous devons tout faire pour que cet enthousiasme ne vire à la désillusion. Les acteurs du nouveau pouvoir ont les moyens d’apporter de vrais changements s’ils le désirent. Ils ont les compétences intellectuelles nécessaires et ils ont la majorité au parlement.
Le pays était malade et nous ne pouvions le soigner, faute de diagnostic, car pour soigner un malade, il faut connaitre son mal, mais nous n’avions pas eu le courage de le faire durant ces 27 ans. Cependant avec la révolte populaire des 30 et 31 octobre 2014, qui a mis fin au règne du régime de Blaise, avec le soulèvement qui a mis en échec le coup d’état du 16 septembre 2015 et pour le prix que la jeunesse a payé, elle en droit de rêver d’un vrai changement pour elle et pour les générations futures.
Au plan de la justice
L’indépendance de la justice est l’un des plus grands acquis hérités par le nouveau pouvoir, car aucune vraie démocratie ne peut honnêtement fonctionner sans indépendance de sa justice au risque que le pouvoir en place ne s’en serve pour réduire les libertés ou réduire au silence toute opposition pour servir ses intérêts égoïstes.
En Afrique, rare de pays ont osé ce que la transition a fait en votant pour l’indépendance de la justice. C’est là l’occasion de féliciter le travail accompli par le CNT sous la conduite de Chériff SY à qui l’on peut rendre hommage, malgré les soubresauts qui ont jalonné cette période. Il serait impensable qu’un pouvoir quelconque d’où qu’il vienne remette en cause cette réforme qui a été acquise au prix d’énormes sacrifices. Il en est de même pour les victimes de l’insurrection et du coup d’Etat qui ont été élevé au rang de héros de la nation et les indemnisations des victimes et leurs ayants droit ; même si cela ne peut remplacer une personne arrachée à la vie de façon précoce.
Il est évident que dans l’immédiat, les retombées d’une justice indépendante ne peuvent être perceptibles que dans la durée, car il faudrait du temps pour que la justice s’accoutume à cette nouvelle disposition.
Dans les années 90, il y a eu tellement de cas d’abus que la presse en a fait ses choux gras, mais il y a eu aussi les cas qui n’ont pas été relatés par la presse et dont les victimes n’oublieront jamais. Un exemple banal mais qui illustre toute la problématique : à Bagré, un paysan a vu son champ être détruit par le troupeau d’un éleveur et comme ce dernier a été surpris par le propriétaire du champ, une dispute s’est déclenchée et il a reçu un coup de machette. L’affaire a été portée en justice et un dédommagement de 800000 Fcfa a été réclamé pour les dommages corporels et matériels. Mais l’éleveur est allé proposer 1 million au juge afin d’étouffer l’affaire. En effet à la surprise générale, ce juge a fini par dire au plaignant qu’il a transféré son dossier à Ouaga et l’affaire a ainsi été étouffée au détriment du paysan.
A mon sens il s’avère donc nécessaire qu’il y ait un organe de contrôle indépendant de la justice, afin que de tels cas soient dénoncés et si possible, punis.
Les groupes d’auto-défense surnommés « Koglwégos »
La naissance des groupes d’auto-défense dénommés « koglwéogos » est peut être due à cette méfiance vis à vis de la justice. Il est donc temps pour le gouvernement de rassurer la population et légiférer rapidement sur ce dossier avant que la situation ne devienne une poudrière et n’explose entre ses mains, car les dégâts pourraient être incalculables. Ces groupes pourraient même tomber facilement entre de mauvaises mains si le gouvernement ne s’emploie pas à y remédier.
Pourtant à y voir de près, les koglwegos auraient pu être un instrument en complément des forces de sécurité et de défense en cette période où l’insécurité peut venir de n’importe quel endroit.
Nous ne devrions pas chercher à copier dogmatiquement ce qui vient de l’occident, mais nous devons exploiter les bonnes idées locales. Même si les agissements actuels des Koglwétos suscitent l’indignation et la réprobation, nous devrions faire preuve d’intelligence pour transformer l’ivraie en bonne semence.
Pour cela, il suffirait au gouvernement de prendre en main le dossier et convoquer rapidement des assises pour définir un cadre unique pour ces groupes d’auto-défense et que le parlement légifère rapidement pour donner un cadre légal pour faire retomber la pression.
Au cours de ces assises, les délégués pourront réfléchir aux moyens à mettre à la disposition de ces groupes pour qu’ils puissent fonctionner normalement et être d’un secours déterminant aux forces de défense et de sécurité.
Au lendemain de l’attentat de Ouagadougou le 15 janvier 2016, dans notre adresse de condoléances aux autorités et aux victimes, nous avions déjà proposé la création de groupes d’auto-défense dans tous les villages du Burkina et dans les quartiers de Ouagadougou. La mission de ces groupes était d’avoir un point focal local de pré-alerte pour signaler tout mouvement suspect à un centre de coordination en relation avec les forces de défense et de sécurité. De cette façon, dans chaque village, chaque quartier lorsque quelqu’un trouve un comportement intrigant ou déviant d’une personne connue ou inconnue, il pourra prendre attache avec le point focal au travers d’un numéro vert. C’est pourquoi, il est nécessaire de doter de moyens ces groupes d’auto-défense pour accomplir la mission qui est la leur et qui sera définie par la loi.
Ainsi on pourra clore le dossier des Koglwetos en leur affectant un autre nom, car le nom Koglwogo pourra encore susciter de la méfiance vis-à-vis de ceux qui ont subi des torts de leur part.
N’attendons pas d’autres victimes avant de faire de notre sécurité une priorité. Elle est une vraie priorité il ne serait-ce que pour neutraliser les bandits et autres coupeurs de routes qui rançonnent impunément les honnêtes citoyens.
Le pouvoir ne devra donc plus se contenter de bander les muscles ou de montrer de la faiblesse, mais plutôt montrer les dents par la rigueur, car force doit rester à la loi.
Au plan de la bonne gouvernance
Plus haut je disais que la jeunesse burkinabé a payé un prix élevé lors de la révolte et le coup d’état du 16 septembre et que pour cela elle a droit non pas de rêver mais d’avoir un vrai changement.
Pour moi, même s’il y a eu quelques dérapages pendant la transition, je trouve que le délai qui lui était imparti était court pour imposer un vrai changement dans le pays. L’avantage de la transition c’est qu’elle devait voter des lois pour le bien de la population sans avoir à la subir.
La crainte de tous les gouvernements c’est de prendre des décisions révolutionnaires sans pouvoir l’assumer. Alors que là on avait l’occasion de voter de vraies lois pour les dirigeants qui devaient être élus après la transition. Par exemple, l’indépendance de la justice aurait eu du mal à être votée dans les conditions où le nouveau pouvoir est rentré en fonction avec les dossiers pendants qui étaient très sensibles, sans que cela ne provoque des polémiques.
Il en est de même pour la bonne gouvernance, si la transition avait imposé un cadre clair on ne serait pas là à jeter la pierre au nouveau pouvoir.
Pour moi je reste convaincu que la transition a un goût d’inachevé et je ne parle pas du pouvoir exécutif où il est question de présomptions de malversations, mais du pouvoir législatif, le CNT qui, pour moi, a fait des avancées mais insuffisantes vu le délai imparti.
Ce n’est pas une question de confiance du nouveau pouvoir car celui-ci est survenu au terme d’une élection transparente, mais le problème est que beaucoup accourent dans les partis politiques, juste à cause des avantages qui pourraient leur être servis. Surtout pour une population en majorité analphabète, ne comprenant en rien le programme de son parti auquel il adhère.
Il était donc important que le CNT impose un cadre clair de fonctionnement des institutions surtout la réduction du train de vie de l’Etat.
Lorsqu’on parle de compétences et non de favoritisme, en dehors des membres du gouvernement qui sont nommés par le parti, le reste des institutions ne devait pas être contrôlé par le parti au pouvoir.
Les nominations doivent être faites par une commission indépendante qui reçoit les candidatures et procède à la sélection des dirigeants des grandes institutions comme le trésor, les sociétés d’état en fonction des compétences et de l’expérience (SONABEL, CNSS, SONABY, etc…).
Ces patrons doivent être nommés pour un mandat unique soit de 5, 6 ou 7 ans maximum. Ils doivent être audités à la fin de leur mandat et les cas de corruption flagrants sanctionnés par leur démission avant la fin de leur mandat. Il est difficile pour un parti de poursuivre un patron qu’il a nommé surtout si celui-ci est populaire et lui rapporte beaucoup de voix.
Toujours en matière de bonne gouvernance, je trouve indécent qu’après la révolte, le pouvoir n’ait pas pris de mesures fortes pour réduire drastiquement le train de vie de l’Etat en réduisant le parc automobile ainsi que les missions complaisantes qui grèvent le budget de l’état, pour financer des projets novateurs créateurs d’emploi pour la jeunesse.
Avant la fin de la transition, on s’attendait du nouveau pouvoir qui allait prendre le relais des mesures fortes car les besoins étaient très nombreux et pressants. A mon humble avis il est indécent que ceux qui sont bien payés aient droit à un véhicule de fonction qu’ils utilisent en dehors du service avec l’essence de l’état, pendant que ceux qui tirent le diable par la queue n’ont rien en retour.
Pour moi en dehors des trois têtes de l’Etat, le président, le premier ministre et le président de l’Assemblée nationale, chacun devrait acheter son propre véhicule pour rentrer à la maison. S’il vient au travail il peut utiliser son véhicule.
En Finlande des ministres vont au bureau à vélo, je ne demande pas à nos ministres d’aller au boulot à vélo parce qu’il fait très chaud, mais que chacun s’achète sa propre voiture pour aller au bureau.
Ce n’est donc pas un réquisitoire contre le pouvoir en place qui s’efforce de trouver des solutions pour l’emploi des jeunes, mais une contribution pour l’aider à aller dans la bonne direction en faveur de cette jeunesse qui a permis à ce pays d’être cité comme exemple de démocratie en Afrique.
NABI Benjamin
Bruxelles
Source: LeFaso.net
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