Je m’appelle « Kinkirga ». Chères majestés du village, chers parents, je vous demande des excuses pour briser l’habitude. Il n’est pas d’ordinaire qu’un enfant ait la parole sous l’arbre à palabre des adultes. Mais j’ai éprouvé la nécessité « de crier fort aujourd’hui pour faire taire ce qui crie en moi ». Merci de votre compréhension.

Je voudrais chers parents, vous demander de ne pas être fiers de l’image que vous donnez de nous. Le 1er Septembre 2009, une grande pluie s’est abattue sur le village. Une très rare pluie dont les dégâts surprenants à remuer les cordes sensibles de la compassion du monde entier. Un SOS avait été lancé pour secourir les sinistrés.

Tomber n’est pas un drame, mais il est abominable de rester couché et à loisir. Je m’attendais à ce que des stratégies soient conçues et réalisées pour ne plus permettre que la même catastrophe naturelle reproduise les mêmes dégâts. Mais hélas ! Ce serait mal nous connaître. Nous nous étions contentés d’appliquer du sparadrap sur la plaie. « Quand la plaie de l’idiot se cicatrise, il proclame haut qu’il est guérit définitivement » (Philosophie ancestrale).

Je me demande comment les bailleurs de fonds nous regardent depuis que nous avons du loisir à nous afficher volontairement comme victimes des mêmes causes ? Des mendiants professionnels ? On trouve du plaisir à ne pas boucher le trou dans lequel nous sommes tombés hier. Pire, on semble travailler à l’élargir. Nos ancêtres distinguaient deux catégories de personnes par la stratégie suivante : Si son toit est perforé en pleine saison pluvieuse, habituellement, on se sert d’un récipient pour cueillir l’eau qui tombe à travers la faille. Dès la fin de la saison pluvieuse et immédiatement après les récoltes, le plus consciencieux fabrique un nouveau toit dont il coiffe sa case. Celui de l’autre catégorie dont je tairai le qualificatif ici, oublie sans aucune trace, le souvenir douloureux. C’est seulement la première pluie de la prochaine saison pluvieuse qui viendra encore lui rappeler du mauvais état de son toit. Comme palliatif, il recourt au même moyen de bord pour se sauver momentanément de la situation et ainsi de suite pour les années à venir.

Chers Parents, je ne voudrais pas que nous soyons de ce lot d’Hommes.

Notre ville se présente avec fierté, souvent exagérée, qu’elle est parmi les plus belles parées des villes africaines. De dehors oui ! Son état extérieur serait juste une apparence qui couvrirait les « défauts » de l’intérieur. Comment voulez-vous qu’une ville sans caniveaux puisse résister à la moindre pluie ? Sans en tirer les conséquences, nous nous préoccupons plutôt de la construction des échangeurs. Ce qui n’est pas mauvais en soi, mais d’autres mesures devraient devancer. Sur ce, il me semble que nous souffrons de la même mentalité que certaines de nos sœurs africaines qui, au lieu de traiter leur cheveux naturels, courent passionnément derrière les mèches brésiliennes. Notre ville porterait aussi même des fesses artificielles pour séduire sans discernement tout passant. Que c’est vilain ! « La véritable beauté, c’est celle qui jaillit de l’intérieur pour illuminer l’extérieur », me répétait souvent mon père.

Dans ce village, les priorités indispensables sont négligées au profit des apparats de la démocratie. Vous objecterez à ce qui est dit plus haut en évoquant le manque de moyens financiers. Je voudrais bien croire, mais en période de consultation électorale, l’argent coule à flot. On est prêt à mobiliser des milliards pour organiser un référendum pour le changement de la Constitution. Un défi sans grand intérêt pour la plupart des masses paysannes, et même pour ceux qui vivent en ville. Si les hommes et leurs biens sont emportés par les eaux, qui votera ? Qui en seront les organisateurs ? Où allez-vous installer les bureaux de vote ? « Chaque peuple mérite ses dirigeants ». Si tu te fais âne, on te donne du foin.

Les gouvernants et les gouvernés sont tous responsables des malheurs qui nous frappent. Il est mécaniquement admis que ce sont les dirigeants politiques qui sont les seuls responsables des inondations car ils ne construisent pas des infrastructures adéquates. Sur ce, je recommande la prudence. Pour avoir vécu ici, je puis vous assurer que ces leaders ne font qu’utiliser nos esprits d’égoïsme pour nous exploiter. J’ai rarement entendu parler, pour ne pas dire pas dire jamais, d’une marche en face d’une mairie pour exiger la construction de caniveaux dans un secteur. Mais combien de fois nous protestons pour exiger des parcelles personnelles ? Le service de l’Ego au détriment du bien commun.

Les rares caniveaux qui existent, chacun en fait un dépotoir d’ordures. Conséquences, ils sont bouchés, bloquant le passage des eaux de pluie. Contraintes, ces eaux élisent domicile dans nos habitations. Là aussi, problème ! Sans pluie, nous nous plaignons de la chaleur. Une petite pluie, et nous crions à l’inondation. Dieu semble être perdu devant nos plaintes injustifiables.

Je pense que si nous ne renonçons pas au « théâtre » pour amorcer le développement par la base en attaquant les vrais défis, il ne faudrait plus qualifier d’inondation ce qui nous arrive. On ne devrait pas « piétiner deux fois les bijoux familiaux d’un aveugle ». S’il prend du plaisir à les exposer a tout passant, il ne devrait que s’en prendre a lui-même et non à la méchanceté des autres. Nous devrions plutôt instaurer des journées d’hommage à notre cécité volontaire et à notre « auto-malédiction » collective.

Selon l’histoire des peuples, les catastrophes naturelles ont poussé aux inventions scientifiques et humaines salvatrices. Dans mon village, ce principe ne s’y aventure pas car les consciences semblent être anesthésiées. Elles ne réagissent pas aux chocs naturels par le souci d’améliorer. Dieu peut-Il nous sauver sans notre volonté et notre collaboration ? Moi, Kinkirga, j’en ai fini.

Sibiri Nestor SAMNE

Email : sasimastor@hotmail.com

Source: LeFaso.net