L’homme n’est plus à présenter aux Burkinabè. Cependant, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, il a pour nom, Boukary Kaboré et pour surnom le « Lion ». Colonel de l’armée burkinabè à la retraite, et président de parti politique, le PUND (Parti pour l’unité nationale et le développement), le « Lion » fait encore parler de lui ces derniers temps. En effet, face aux mesures annoncées par le ministre de la sécurité, Simon Compaoré visant à recadrer l’action des groupes d’auto-défense, les Koglwéogo, le « Lion » est monté au créneau. Pour lui, le ministre Simon Compaoré a commis ni plus ni moins qu’une erreur. Nous l’avons rencontré pour échanger avec lui sur la question des Koglwéogo et des propos du ministre en charge de la sécurité.
Lefaso .net : Comment se porte votre parti politique, le PUND ?
Notre parti politique, vu vraiment les difficultés qui sont là, même si certains ne veulent pas reconnaitre qu’il y a des difficultés, est en train de vouloir se mettre en retrait pour observer. Sinon, nous sommes de l’opposition politique, mais nous préférons vraiment ralentir nos activités parce qu’on ne sait plus où on va. Tout est mélangé et on ne sait plus où on va.
Le travail est tellement hasardeux actuellement qu’on ne sait plus ce qu’on fait. Sinon le parti est là et vit bien. C’est le plus ancien des partis parce qu’il est né depuis 1998 et il n’a pas changé de ligne jusqu’à présent. Donc, il est le père des autres partis. Même si certains partis le dépassent, ils doivent reconnaitre qu’ils ont affaire à leur père.
Le ministre en charge de la sécurité a pris certaines mesures visant à recadrer l’action des Koglwéogo. Quel commentaire pouvez-vous faire à ce propos ?
Il faut carrément dire les choses. Un chat étant un chat, je pense que c’est une erreur qu’on peut d’ailleurs comprendre parce que l’erreur est humaine. Je pense que ces mesures ne sont pas pour aider ou pour canaliser mais plutôt pour arrêter les Koglwéogo.
Parce que quand on demande aux Koglwéogo de déposer les armes, je réponds qu’on ne peut pas attaquer les « coupeurs de routes » qui sont armés de kalachnikovs et cela est clair. C’est pour cela que je dis que c’est une erreur parce que ces mesures ne tiennent pas bien la route. Elles vont à l’encontre même de l’existence des Koglwéogo et c’est ça qui a amené la rencontre des Koglwéogo à Kombissiri avant hier (interview réalisée le 24 juin 2016) pour essayer de faire une lecture commune et globale de la situation. Et encourager aussi nos éléments parce que ça avait commencé à semer des problèmes dans les rangs des Koglwéogo.
Il fallait que les responsables puissent se retrouver et dire ce qu’ils pensent. Le mécontentement commençait à être grand et il fallait calmer les gens. Il s’est aussi agi d’appeler le ministre à une certaine retenue parce que les Koglwéogo sont là pour accompagner et non pour saboter.
Vous-vous êtes déclaré comme le président des « Wibsé » c’est-à-dire des Koglwéogo dans un contexte où ces derniers et l’État ne parlent pas le même langage. Comment doit-on comprendre vos propos ?
Non, ce n’est pas que l’État et les Koglwéogo ne parlent pas le même langage. C’est une autorité qui a parlé, ce n’est pas l’État. Parce que si c’était l’État, c’est le gouvernement qui devait prendre les décisions. Et dans ce cas, c’est en conseil des ministres qu’on allait prendre ces décisions alors que ce n’est pas le cas. Donc, c’est pour ça que nous nous en tenons à la personne du ministre pour dire qu’il y a eu une erreur. Les Koglwéogo accompagnent plutôt l’État. Aussi, ça sera bizarre que l’État combatte les Koglwéogo.
Mais c’est tout de même le ministre en charge de la sécurité qui a parlé. Est-ce qu’on peut dissocier ses propos de sa fonction et donc du gouvernement et de l’État car il nous semble que ça va de pair. Non ?
Non, il ne faut pas du tout qu’on puisse confondre les choses parce que le ministre ne peut pas parler ainsi au nom du gouvernement. Il doit parler en son nom personnel. Si ça peut arranger le gouvernement, c’est bon. Mais quand ça va nuire au gouvernement, il peut aussi écoper des sanctions et provoquer des dégâts. On a vu cela un peu partout où des ministres ont fait des interventions qui leur ont coûté cher. Si nous nous en tenons aux critiques des uns et des autres, même pas des Koglwéogo mais de l’homme de la rue et des intellectuels dont moi-même je fais partie, quand on fait l’analyse, on trouve que c’est une erreur. Donc c’est la personne qu’il faut incriminer et non l’État.
En tant que militaire de carrière, vous savez que les questions de sécurité relèvent exclusivement du domaine étatique. Un État démocratique peut-il tolérer la présence de groupes d’auto-défense armés et dont certaines pratiques sont contraires au respect et à la dignité de la personne humaine ?
Voilà qui est bien dit. Mais dans un État de droit, est-ce que la sécurité arrive à résoudre les attentes des populations ? J’espère que non et là il faut dire qu’il y a là un échec. La prolifération des vols et autres crimes est inquiétante et dépasse l’entendement. Donc, les populations en ont marre et le peuple s’est levé pour s’organiser et assurer sa propre défense. Voilà la raison de la naissance des Koglwéogo, des groupes d’auto-défense et d’auto-sécurité qui aident plutôt à résoudre les problèmes sécuritaires.
Est-ce que ce n’est pas mieux de chercher à les encadrer ou à mieux les organiser que de les combattre ? C’est un phénomène qui a commencé il y a longtemps. Un village qui s’organise pour arrêter les vols dans le village, en quoi l’État peut être contre cela surtout que les Koglwéogo ne demandent pas le soutien de l’État. Ce sont les villageois eux mêmes qui s’organisent et qui arrivent à mettre fin aux vols pour plus de quiétude. Est-ce que l’État peut être contre ça ? L’interprétation est ailleurs et non sur le plan sécuritaire. Si c’est sur ce côté, les Koglwéogo plutôt accompagnent la sécurité.
Et les sévices et autres bastonnades qui ont entrainé à certains endroits des morts d’hommes, est-ce-que cela est tolérable ?
Ce sont les journalistes qui disent toujours qu’il y a eu des morts. Il faut dire un mort. Depuis que les Koglwéogo existent, il y a eu un mort parmi les voleurs et deux morts parmi les Koglwéogo. Parce que les coupeurs de routes ont tué deux Koglwéogo à Fara. Mais le mort en question qui préoccupe les journalistes et qui fait crier tout le monde, c’est un voleur qui n’a pas supporté la sanction corporelle et qui est décédé. On peut dire qu’il s’agit d’une erreur.
Mais, si jamais on analyse, la sanction corporelle que celui qui est mort a subie, elle ne vaut même pas le tiers de ce que d’autres ont reçu et ils ne sont pas morts pour autant. C’est un cas qui est arrivé comme cela. Ce n’est pas qu’on voulait le tuer mais on voulait le sanctionner. En plus, il s’agissait d’un Koglwéogo qui volait. Sa sanction devait être double et il n’a même pas supporté le tiers et il est mort. Pour nous, nous n’avons aucun regret. Maintenant, les gens interprètent. Nous voulons alors savoir.
Entre le voleur qui est mort et le propriétaire du bœuf qu’on a volé, on doit prendre parti pour qui ? Et les coupeurs de routes qui tuent ? Pendant que des Koglwéogo sont aussi morts, les journalistes ne font que parler des morts de voleurs et de coupeurs de route. Est-ce que quelque part, il n’y a pas maldonne ? Il faut qu’on essaie de remettre les pendules à l’heure parce qu’il y a des craintes injustifiées des Koglwéogo qui sont pour arranger et non pour gâter. Là où les Koglwéogo se sont bien installés, les vols se sont dissipés d’une manière ou d’une autre. Et nous souhaitons que ça soit ainsi partout au Burkina Faso. Parce que ça c’est la reconquête de notre dignité qu’on a perdue. Le Burkinabè sera effectivement l’homme intègre après la disparition du vol.
Vous êtes donc pour les bastonnades qui peuvent entrainer la mort d’homme ?
Justement, parlant des bastonnades, j’insiste, je persiste et je signe. C’est la méthode des Kolgwéogo pour éradiquer les vols. Les gens se plaignent. Les défenseurs des droits de l’homme parlent des bastonnades et oublient les gens que les voleurs tuent. On dit que les Koglwéogo sont des hors-la-loi parce qu’ils ont des armes sans papiers alors que les voleurs aussi ont des armes qui n’ont pas de papiers.
On nous dit de ne plus bastonner mais on a oublié de dire aux voleurs de ne plus voler. S’ils ne volent plus, nous aussi on ne va plus bastonner. Mais tant que quelqu’un va voler, c’est lui-même qui s’est bastonné lui-même et pas nous. En matière de dissuasion, c’est la sanction corporelle et la sanction pécuniaire qui amènent les gens à abandonner le vol. Ce sont des méthodes qui portent des fruits et c’est probant. Il ne faut donc pas leur dire d’arrêter leurs règles. Parce que même à la gendarmerie et à la police, on frappe mais on ne dit pas.
Vous avez soulevé le problème de l’État qui n’arrive pas à assurer la sécurité des citoyens ce qui justifie à vos yeux la naissance des Koglwéogo. L’autre solution ne serait pas de recruter suffisamment les forces de sécurité, les former et équiper convenablement ?
Non ça fait une charge supplémentaire pour l’État. Les koglwéogo demandent seulement qu’on les accompagne. Par exemple, on est en train de dire que les armes n’ont pas de papier. Qu’on nous accompagne à avoir les papiers. Parce que nous n’allons pas poursuivre les voleurs à mains nues. Cela est une évidence. Maintenant pourquoi certains cachent les armes qu’ils ont ? C’est parce que c’est trop dur pour avoir les papiers.
Mais le voleur est armé et moi par exemple, j’ai besoin d’une arme pour la protection de ma cour. Par exemple dans votre zone là-bas, il y a des fusils qui sont cachés dans les maisons pour garder les cours de vos parents. Mais si on doit chercher les papiers, ça sera compliqué. Il faut prendre en compte que les voleurs sont armés.
Est-ce-que ce n’est pas mieux de faire les papiers pour les gens et les Koglwéogo afin qu’ils puissent sécuriser les populations ? C’est ce que nous demandons à l’État. Sinon, si l’État veut prendre tous les Koglwéogo en charge, ça risque d’être difficile parce qu’ils sont trop nombreux et le nombre ne fait que augmenter. Mais ce sont les villages qui sont en train de se sacrifier pour prendre les Koglwéogo en charge. Vous savez au temps de la révolution, les populations étaient militairement formées. Je ne sais pas si ça n’a pas été fait dans votre localité là-bas à Dissin.
On peut mettre par exemple les armes à la disposition des points Koglwéogo et quand ils vont aller en opération, ils prennent ces armes pour y aller. Et qu’ils soient encadrés par les forces de sécurité et même formés par eux en matière de techniques opérationnelles. Dans ce cas, en cas de besoin sécuritaire relatif à la défense nationale, on peut leur faire appel.
Il y a aussi l’inquiétude de leur récupération par le politique. Dans certains pays, c’est ainsi que les mouvements rebelles et djihadistes ont vu le jour. Ce risque n’est-il-pas réel ?
Vous parlez de ce risque. Mais moi j’ai précisé que les Koglwéogo n’étaient pas une affaire politique. Normalement, la préoccupation des populations doit aussi être celle des politiques. Donc, ils doivent être eux aussi des Koglwéogo. Tout le monde doit être en fait Koglwéogo. Mais, il faut qu’on sache que ça n’a rien de politique, c’est du social. C’est comme si on aidait les gens pour cultiver leur jardin ou leur champ dans un village.
Si le vol est fini, le travail s’arrête. Si les Koglwéogo peuvent aider encore à résoudre d’autres problèmes, c’est tant mieux. Parce que les Koglwéogo, dans les perspectives d’avenir, peuvent empêcher que nos forêts ne brûlent encore. Avec les Koglwéogo, le Burkina Faso sera sans feu et les animaux auront à manger parce qu’il y aura l’herbe. Cela accompagne l’État ou pas ? Il y a donc plein de possibilités avec les Koglwéogo sans avoir à les combattre. Le politique qui va chercher à récupérer la situation, on verra concrètement ce que ça peut donner. Mais, je ne pense pas que les responsables que moi je connais vont accepter.
De toutes les façons, moi je suis là. Il y a des gens qui disent que je vais utiliser les Koglwéogo pour faire une rébellion. Alors que moi, je suis militaire et je n’ai pas utilisé les militaires pour faire une rébellion. Ça ne sera pas en tout cas avec moi. Et si ce n’est pas avec moi, ça sera avec qui ? Ceux qui vont s’amuser à exploiter politiquement les Koglwéogo me trouveront en face. On va lui faire comprendre que c’est lorsqu’on va finir d’attraper nos voleurs qu’il va faire sa campagne politique. Sinon, il est hors de question que les Koglwéogo fassent le jeu des politiques. Je pense même que c’est cela l’inquiétude des gens.
Plusieurs fois, vous avez utilisé le terme nous pour parler des Koglwéogo. Est-ce à dire que le « lion » est Koglwéogo ?
Le lion est Koglwéogo depuis. Nous avons installé les Koglwéogo à Makognadougou, dans le département de Koumbia. Et depuis, j’interviens dans toutes les opérations qui se font. Mais, comme il n’y a pas eu de communiqué, c’est pourquoi c’est comme une surprise. Mais moi-même, je suis surpris que les gens soient surpris. Je suis au village et personne ne demande d’après moi. Quand je suis rentré dans les Koglwéogo, on avait commencé à parler de ça, mais l’envergure que ça prend, maintenant me surprend moi-même. Mais, il faut que l’on sache que je n’ai jamais eu de mauvaises intentions. Où le peuple est et où le peuple lutte, il verra toujours le « Lion » présent et sans arrière pensée.
Il est de plus en question de passer à une cinquième République. Êtes-vous de ceux qui estiment qu’il faut aller à une cinquième République ?
Principalement non. Qu’est-ce qui amène le passage à une cinquième République ? On dort comme cela pour se lever et passer à une République ? Dans ce cas, est-ce que vous n’allez pas faire beaucoup de Républiques ici ? L’occasion était donnée pour faire la 5ème République et on a refusé. Le temps est passé, on a fait des élections et vous parlez maintenant de passer à une autre République.
Le non-sens, moi je ne suis pas dedans et je suis direct. C’est vraiment un non-sens parce que la transition devait être exceptionnelle. On faisait alors le balayage du terrain et on faisait la 5e République avec les élections. Et cela, même si la transition devait durer deux ans. On ne devait pas faire d’élection sans que la transition ne fasse le nettoyage. Vous avez refusé ça et vous avez fait des bêtises pour venir maintenant dire qu’on va à une 5e République.
Moi le « Lion », je ne suis pas fondamentalement contre mais je ne suis pas dedans. Si on se lève pour voter cette constitution, je serai un abstentionniste mais je ne combattrai pas pour ça. Même si vous passez à une 8e République, ça ne me fais ni chaud ni froid.
Interview réalisée par Angelin Dabiré
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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