Les habitants de Ouagadougou vivent depuis plusieurs semaines, une pénurie d’eau. Des journées entières sans une goutte d’eau. Telle est la situation que connaissent certains Ouagalais. Pour résoudre cette situation, l’ONEA a décidé de la distribution alternée de 12h par quartier et par camion-citerne. Dans cette interview, nous avons en trois questions, recueilli l’avis d’IRC, une ONG qui œuvre pour la promotion de l’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène.
Lefaso.net : Les habitants de Ouagadougou vivent depuis quelques semaines une pénurie d’eau. Comment réagissez-vous face à cette situation ?
Juste Hermann Nansi : C’est bien dommage qu’on en arrive à une situation aussi difficile. En réalité, la dégradation de la qualité des services de l’ONEA dans la ville de Ouagadougou a été progressive. Certains quartiers périphériques faisaient face à cette crise saisonnière depuis quelques années. Nous avons toujours espéré que des solutions durables seraient trouvées. Mais visiblement, ce n’est pas le cas. Bien au contraire, la situation s’est aggravée en se généralisant.
Cette situation est une violation du principe de non-régression qui régit la réalisation du droit de l’homme à l’eau, à savoir qu’une fois que les services sont améliorées pour une population donnée, la variation positive (ou le niveau de service atteint) doit être maintenue et les défaillances et régressions doivent être impérativement évitées. Au-delà du drame humain, cette situation est vraiment regrettable pour l’image de l’ONEA, car il s’agit de l’une des entreprises publiques d’eau potable citées en exemple dans la sous-région ouest-africaine pour son professionnalisme.
Comment avons-nous pu en arriver là ? Bien sûr, l’alerte était lancée au moins depuis 2014. Donc il ne s’agit pas d’un incident mais d’un événement entièrement prévisible et qui pouvait être anticipé. L’ONEA a bel et bien vu venir la saturation de sa capacité. L’État burkinabè savait depuis de bien longues années qu’il y a besoin d’augmenter la capacité de production avec un projet Ziga 2. Pour votre information, ce projet consiste à la réalisation d’une station de traitement qui devrait permettre de disposer de plus d’eau potable et donc de répondre à la demande.
Pourquoi ces investissements n’ont pas été engagés à temps pour éviter la crise ? Comment peut-on se retrouver victime d’un problème prévisible et dont on connait bien la solution ? Il est nécessaire de situer les responsabilités. Est-ce l’ONEA qui n’a pas établi à temps le projet d’investissements ? Est-ce le gouvernement qui n’a pas traité à temps la recherche de financement ? Est-ce le partenaire de financement qui n’a pas respecté les délais ou tenu ses engagements ? Il y a eu des dysfonctionnements et donc il faut situer les responsabilités. C’est à cette condition que nous allons limiter, voire éviter dans les années à venir, les crises similaires à la pénurie actuelle d’eau à Ouagadougou.
Pour juguler cette pénurie d’eau, le gouvernement a décidé de la distribution alternée de l’eau par quartier et aussi à l’aide de camions citernes. Est-ce la meilleure formule selon vous ? Si non, qu’aurait-il fallu faire ?
Je salue l’ensemble des mesures prises pour juguler la crise. C’est la preuve qu’en dépit de toute critique, l’ONEA et le gouvernement sont attentifs et préoccupés. La distribution alternée est une mesure qui respecte l’équité. Ainsi tous les usagers de la ville bénéficient d’une même qualité de service. Il s’agit d’une mesure responsable qui respecte le droit de l’homme à l’eau dans ce contexte de crise. Je salue également la qualité de la communication de l’ONEA et des autorités, sans laquelle, cette crise pourrait avoir des conséquences plus dramatiques sur la paix sociale.
Je salue la mesure exceptionnelle de la distribution d’eau avec les camions citernes qui permet de corriger les défaillances dans la mise en œuvre de la distribution alternée. Somme toute, les mesures prises pour juguler la crise sont judicieuses et nous rassurent quant au sens de responsabilité des autorités nationales. Cependant, on disposait de tout pour ne pas en arriver là. Je n’ai pas d’inquiétude sur l’adéquation de ces solutions pour passer la période critique. Mais la population doit savoir que nous ne sortirons de cette crise qu’après la mise en service de Ziga 2 prévue pour le premier semestre 2017. Il est donc impératif que toutes les mesures soient prises afin que le chantier soit livré dans les délais.
L’accès à l’eau potable est un droit reconnu par la Constitution. Que fait votre ONG pour la défense de ce droit des citoyens ?
Effectivement, l’accès à l’eau est reconnu depuis l’an dernier comme un droit fondamental par la Constitution du Burkina Faso et il s’agit d’une avancée remarquable. Cette reconnaissance ouvre la voie à une exigence accrue des citoyens vis-à-vis des autorités pour la réalisation de ce droit, pour la priorisation des investissements pour l’eau dans les dépenses publiques, etc. A IRC, nous sommes des experts militants.
Notre expertise nous permet de développer les solutions pour l’organisation et la gestion efficace des services d’eau et ces solutions sont destinées aux autorités publiques nationales ou locales, aux opérateurs travaillant dans le secteur, aux bailleurs, etc. Mais l’expertise ne nous suffit pas pour réaliser notre ambition qui est la réalisation des droits humains à l’eau et à l’assainissement. Les solutions existent, mais elles ne sont pas souvent utilisées.
Nous sommes conscients que cela prendra du temps, mais en même temps, l’eau est une priorité vitale. C’est là que nous mettons en action notre engagement militant pour la défense du droit à l’eau. L’opinion nationale et même internationale s’émeut actuellement de la pénurie d’eau à Ouagadougou. Et pourtant cette pénurie frappe au quotidien plus 75% de la population burkinabè qui vit dans les zones rurales et dans les villes secondaires.
C’est la triste réalité contre laquelle nous nous mobilisons. Les systèmes d’approvisionnement en eau tombent en panne dans nos villages pendant des mois. S’il est aujourd’hui possible de mobiliser des camions citernes pour soulager les populations de Ouagadougou,ne pourrait-on pas en faire autant pour les autres qui sont aussi en détresse, en attendant les gros investissements ? Nous sommes parfaitement conscients des coûts, mais il s’agit de nos parents, de nos frères, de nos tantes, de nos oncles.
En tant que citoyens, nous avons un devoir de solidarité vis-à-vis de ces populations. C’est bien cela qui rendra crédible notre exigence vis-à-vis des autorités pour qu’elles en fassent chaque jour un beaucoup plus. Pour ce qui concerne IRC, c’est ainsi que nous œuvrons,à travers nos témoignages, nos déclarations, nos propositions et notre plaidoyer avec tous nos partenaires afin d’éradiquer la misère de l’eau.
Jacques Théodore Balima
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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